Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’agriculture est un secteur stratégique, singulièrement en France.
La proposition de résolution européenne qui vous est soumise aujourd’hui est importante, car les agricultures européenne et française ont des dimensions économiques, sociales et culturelles essentielles. Les dispositions qui les concerneront dans le cadre d’un futur accord commercial ne doivent pas être les variables d’ajustement de concessions obtenues sur d’autres secteurs, comme l’ont excellemment exprimé les deux précédents orateurs.
Notre collègue Daniel Raoul et moi-même avons rapporté cette proposition devant la commission des affaires européennes, en ayant en tête le fait que le solde de nos exportations sur nos importations vis-à-vis des États-Unis était positif de 7 milliards d’euros et que la crise de l’élevage français, qui affleure largement notre débat, est, par définition, préalable aux éléments d’un éventuel accord.
Nous avons souhaité insister sur trois points, et conclurons en vous demandant, monsieur le secrétaire d’État, de nous donner des garanties quant au rôle du Parlement français, si l’accord devait être signé.
Premier point : dans certains secteurs agroalimentaires, la suppression négociée des droits de douane se fait dans un climat de compétitivité déséquilibrée entre l’Union européenne et les États-Unis.
Aujourd’hui, les droits de douane moyens appliqués aux produits agricoles et agroalimentaires dans l’Union européenne sont supérieurs à ceux des États-Unis. La négociation en cours a pour but de les réduire au maximum, voire de les supprimer. Pour autant, certains produits « sensibles » ne seront pas concernés par la réduction immédiate des tarifs douaniers. Pour la France, mais pas seulement pour elle, il s’agit notamment de la viande de bœuf, de porc et de la volaille. Le sort de ces produits sensibles est déterminé souvent en fin de négociation et peut aboutir à l’octroi au partenaire d’un contingent limité, à droit réduit ou nul.
L’accès de certains produits agricoles européens au marché des États-Unis est freiné par un fort écart de compétitivité. Les données ayant déjà été présentées, je serai bref.
Le secteur de la viande bovine est particulièrement exposé, tant sont différentes les pratiques respectives dans nos systèmes d’élevage. Elles placent l’Europe, mais plus singulièrement la France, dans une posture défensive.
En France, vous le savez, l’essentiel des aliments de troupeau bovin est produit sur l’exploitation. La ration de base est majoritairement composée d’herbe.
Je relève également que les États-Unis et le Canada bénéficient déjà de contingents d’exportation de viande bovine vers l’Union européenne, sans hormones ni accélérateurs de croissance. Mais ces deux pays n’utilisent à ce jour qu’assez peu lesdits contingents…
Enfin, des embargos interdisent encore l’exportation européenne des viandes bovine, ovine et caprine vers les États-Unis à la suite de l’épidémie dite d’encéphalite spongiforme bovine. Les États-Unis n’ont récemment levé cet embargo que pour les seules viandes d’Irlande et de Lituanie.
Deuxième point : les intérêts offensifs de la filière laitière.
Les professionnels français du secteur considèrent que le développement de la production laitière passe par l’exportation, notamment vers les États-Unis. Mais il y a au moins deux obstacles.
Le premier est tarifaire. Les droits américains sur les produits laitiers dépassent le niveau des droits moyens.
Le second obstacle concerne les règles sanitaires. Les États-Unis ont des exigences extrêmement strictes, assimilables à des barrières non tarifaires, qui imposent des contrôles plus rigoureux encore que dans l’Union européenne. Les exportations de fromages européens pâtissent évidemment de cette situation.
Les régulateurs de l’Union européenne et des États-Unis ont bien sûr en commun le souci de la protection des consommateurs. Mais les démarches respectives pour y aboutir sont très différentes et la disparité des normes freine les échanges. Côté américain, une approche « basée sur la science » ; côté européen, le principe de précaution, conforme à des choix sociétaux et culturels regroupés sous les termes de « préférences collectives ». Ainsi, les promoteurs de croissance, les OGM, la décontamination chimique des viandes et le clonage animal sont un enjeu majeur.
Les négociateurs doivent prendre en compte, en complément de l’évaluation scientifique, les choix exprimés par les consommateurs européens. L’accord ne devra donc pas remettre en cause la capacité de l’Union et de ses États membres à faire respecter ces choix collectifs.
Je rappelle d’ailleurs que le mandat de négociation confié à la Commission indique explicitement que, dans l’accord éventuel, les États-Unis et l’Union européenne devront respecter de hauts niveaux de protection de l’environnement et des consommateurs, « conformément à l’acquis de l’Union européenne et à la législation des États membres ».
Troisième point : les indications géographiques sont pour nous un enjeu central.
Notre système d’indications géographiques s’oppose au système américain des marques commerciales. L’indication géographique est ancrée dans un territoire ; elle n’est pas transférable. Elle est liée à un savoir-faire, à un mode de production, défendus et entretenus par les fabricants mais aussi, bien entendu, par les producteurs.
La marque ne répond pas aux mêmes critères. Elle peut avoir une durée limitée et être vendue, tous éléments que l’on ne peut bien sûr retrouver pour une indication géographique.
La France a donc un intérêt offensif majeur à faire reconnaître et protéger une liste ciblée d’indications géographiques dans le cadre de l’accord. S’il n’était pas reconnu dans le traité transatlantique, il ne figurerait à l’évidence dans aucun des autres accords commerciaux à venir : c’est bien un sujet stratégique.
Vous le savez, mes chers collègues, la discussion de cette proposition de résolution européenne tombe à point nommé, au moment où les négociations entre la Commission et ses interlocuteurs américains devraient entrer, avec le douzième round, dans le vif du sujet.
Je voudrais conclure en évoquant une question à laquelle je faisais référence dans l’introduction de mon propos.
Nous savons que, le moment venu, il reviendra successivement au Conseil, et donc aux gouvernements nationaux, puis au Parlement européen et surtout enfin – espérons-le ! – aux parlements nationaux d’évaluer le contenu du traité, avant de le ratifier ou non.
Monsieur le secrétaire d'État, c'est sur ce point que je souhaiterais vous interroger pour que le Sénat ait une réponse, mais surtout pour que nos concitoyens sachent avec certitude si le traité sera ou non soumis à examen.
En effet, nous ne savons toujours pas aujourd’hui si les accords conclus avec le Canada ou avec Singapour seront ou non considérés comme des accords mixtes, c’est-à-dire intégrant des éléments de la compétence commerciale exclusive de la Commission ou relevant de compétences partagées entre elle et les États membres. Nous ne savons donc pas ce qu’il en irait du traité transatlantique s’il devait être conclu.
C’est une véritable interrogation puisque de la réponse à cette question dépendra la saisine, ou non, des parlements nationaux pour autoriser leur ratification.
En attendant la décision que devrait enfin rendre la Cour de justice sur l’accord avec Singapour et la jurisprudence qu’elle établira, pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous indiquer les critères qui, pour la France, gouvernent la qualification d’accord mixte ? Qu’adviendrait-il si un tel accord était rejeté par au moins un parlement national ? Serait-il applicable pour les dispositions relevant de la compétence exclusive de la Commission, lesquelles sont souvent les plus importantes ?
Pour être plus direct, monsieur le secrétaire d'État, quelles garanties pouvez-vous nous donner que l’éventuelle signature du TTIP donnera lieu à une approbation préalable par notre Parlement ?