Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui des conséquences d’un partenariat de commerce et d’investissement avec les États-Unis sur l’agriculture, ainsi que sur l’aménagement de notre territoire.
À l’heure où les agriculteurs de notre pays se mobilisent pour défendre leurs emplois et, surtout, une juste rémunération de leur travail, soyons très vigilants et prenons en compte leur détresse et leur désespoir, car beaucoup d’entre eux travaillent dur pour ne rien gagner.
L’ensemble des filières est touché. Notre agriculture est déstabilisée. Ce sont des milliers d’emplois et de vies qui sont menacés. En Bretagne, par exemple, 25 % des producteurs de porc sont en liquidation !
Les causes sont bien connues : démantèlement des outils de régulation, libéralisation des marchés, dumping social, concentration de l’agriculture au profit des géants de l’agroalimentaire et de la grande distribution.
Il faut s’attaquer aux véritables causes de la situation, en concertation avec l’ensemble des producteurs et des professionnels. La solidarité nationale doit s’exprimer par une intervention publique, pour sauver les producteurs des logiques de marchés et d’une concurrence dévastatrice.
Les agriculteurs ne doivent pas être les victimes de la chaîne de commercialisation. De nouvelles règles doivent être instituées afin de leur garantir des revenus dignes, de manière à assurer, sur nos territoires, une production alimentaire de qualité.
Parallèlement, c’est à l’échelle de l’Europe qu’il est nécessaire d’intervenir, pour que cessent les logiques de concurrence exacerbée et leurs conséquences sociales, économiques et environnementales.
Mes chers collègues, comment voulez-vous que je ne sois pas encore plus inquiet pour le devenir du monde agricole quand je vois une machine de guerre comme le TTIP en préparation ?
Nous savons que ce traité va être une voie royale pour les multinationales, remettant en cause les droits sociaux et environnementaux de l’ensemble des citoyens européens et américains.
Au travers de cet accord, ce n’est pas tant la baisse des droits de douane qui est recherchée que la suppression des barrières commerciales non tarifaires, laquelle se traduira par une révision à la baisse des normes dans tous les domaines, ce qui aura clairement des conséquences importantes sur notre santé, sur l’environnement, sur le développement durable et sur la condition animale.
Une étude menée par le département de l’agriculture américain met en évidence que les États-Unis seraient les grands gagnants de ce traité, notamment grâce à deux éléments : premièrement, l’abolition des droits de douane, qui rapporterait 5, 5 milliards de dollars aux États-Unis, là où l’Union européenne ne gagnerait que 800 millions de dollars, soit sept fois moins ; deuxièmement, l’ajout de la suppression des mesures non tarifaires, qui ferait gagner 10 milliards de dollars aux États-Unis, contre 2 milliards de dollars, soit cinq fois moins, à l’Union européenne.
Cette même étude montre que les États-Unis n’auraient rien à gagner dans cet accord si les citoyens privilégiaient la qualité et la sécurité sanitaire en en faisant des priorités. Les autorités états-uniennes expliquent que les consommateurs se tourneraient alors vers la production locale. Dans un tel cas, le TTIP n’aurait aucun intérêt pour eux.
Une autre étude, menée par l’association allemande UnternehmensGrün, qui défend plutôt l’économie verte, montre que l’agriculture européenne ne sortira pas indemne de cet accord. On peut y lire que « personne ne peut produire des produits tels que les céréales à un coût aussi bas qu’aux États-Unis », ou encore que « les fermiers européens sont, économiquement parlant, désarmés… cela signifierait la chute automatique de pans entiers du secteur agricole ». Cette enquête conclut que « le TTIP, en sa forme actuelle, renforce les positions des grandes entreprises agroalimentaires ». Ainsi, l’existence réelle de 99 % des petites et moyennes entreprises serait ignorée par la Commission européenne.
Cette disproportion entre les gains potentiels dans le domaine agricole, que l’on peut qualifier de « déséquilibre astronomique », aurait de lourdes conséquences pour notre agriculture. En effet, cette nouvelle concurrence risque de faire plonger les prix européens et donc de conduire à un grand nombre de faillites.
De plus, il existe une différence totale de conception des deux côtés de l’Atlantique. L’Union européenne organise la protection des animaux « de la ferme à l’assiette », c’est-à-dire sur l’ensemble des étapes de la production – élevage, transport, abattage. Elle interdit les hormones de croissance et elle est nettement moins tolérante avec les aliments génétiquement modifiés et les antibiotiques que les États-Unis.
En revanche, la législation états-unienne sur le transport des animaux date de 1873 ! Outre-Atlantique, le contrôle de la ferme à l’assiette n’existe pas. Désinfecter une carcasse une fois la bête abattue n’y pose donc aucun problème. Mais quelle garantie aurons-nous pour notre sécurité alimentaire ? Aucune.
Mes chers collègues, comment voulez-vous que l’Union européenne et les États-Unis arrivent à conclure un accord équitable, respectueux d’un certain nombre de principes fondamentaux pour nous, citoyens, quand on sait que le Conseil national des producteurs de porc des États-Unis déclare que le TTIP ne devrait permettre aucune restriction des importations européennes fondée sur le bien-être animal ? On sait aussi que ces mêmes producteurs utilisent la ractopamine, qui est juste interdite dans l’Union européenne et dans un peu plus de cent cinquante pays au monde pour ses effets secondaires…
Pourtant, l’Union européenne, dans son mandat de négociation, indiquait souhaiter « préserver le droit de chaque partie à protéger la vie humaine, animale ou végétale sur son territoire ». Mais cette intention était oubliée dès le point suivant, aux termes duquel « les mesures sanitaires et phytosanitaires ne devront pas créer de barrières inutiles au commerce ».
Continuer dans ce sens, c’est prendre beaucoup de risques. Il y va de l’avenir de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, de la souveraineté alimentaire et, si l’on considère les choses plus globalement, du devenir de notre territoire.
L’agriculture ne peut servir de variable d’ajustement dans les négociations de l’accord. L’enjeu est trop important pour qu’on laisse notre agriculture en proie à l’ultralibéralisation du secteur agricole !
Non, l’agriculture n’est pas une marchandise comme les autres.