Intervention de Jean Bizet

Réunion du 4 février 2016 à 10h30
Conséquences du traité transatlantique pour l'agriculture et l'aménagement du territoire — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me féliciter de la tenue de ce débat sur le traité transatlantique. Il me semble fondamental que le Sénat reste attentif à l’avancée des discussions et qu’il se saisisse régulièrement de la question en séance publique, ce qu’il fait aujourd’hui pour la quatrième fois depuis le lancement des négociations. Je remercie donc l’auteur de cette proposition de résolution européenne, M. Michel Billout, ainsi que le rapporteur, Mme Sophie Primas, et le rapporteur pour avis, M. Philippe Bonnecarrère, de s’être penchés sur cette question.

La proposition de résolution européenne qui nous est soumise se concentre sur un secteur qui cristallise tout particulièrement les inquiétudes de nos concitoyens. En effet, le TTIP est un accord de nouvelle génération. Comme tout accord commercial, il vise, certes, un abaissement des tarifs douaniers, mais il a surtout pour ambition d’aboutir à un rapprochement des normes et des règles des deux côtés de l’Atlantique.

Or, dans le secteur agricole et alimentaire, les normes ont, plus que dans d’autres domaines, un poids politique fort. Bien que parfois trop lourdes ou inadaptées, elles sont l’expression de préférences collectives auxquelles nos concitoyens sont très attachés et sur lesquelles ils n’accepteront pas de transiger.

Il me semble toutefois important de rappeler le contexte dans lequel s’inscrivent ces négociations. À ce jour, l’Europe et les États-Unis représentent près de 50 % du PIB mondial et environ 30 % des échanges commerciaux. Cette « position dominante » n’est cependant pas nécessairement appelée à durer indéfiniment, et nous constatons chaque jour un peu plus le glissement du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie.

La Chine, malgré ses difficultés actuelles, se lance ainsi à la conquête du monde. Songeons par exemple au projet particulièrement ambitieux lancé par Pékin et surnommé « une ceinture, une route ». Celui-ci prévoit des centaines de milliards de dollars d’investissement dans une soixantaine de pays d’Europe, d’Asie et d’Afrique, afin de constituer des routes terrestres et maritimes organisant le commerce de cette gigantesque zone autour de l’économie chinoise.

Face à cette nouvelle réalité qui se fait jour, nous devons regarder les choses en face et comprendre la loi de la mondialisation, dans laquelle nos économies sont aujourd’hui pleinement insérées. En clair, sans vouloir vous choquer, mes chers collègues, celui qui maîtrisera la norme maîtrisera le marché.

Dans ce contexte, la recherche d’une cohérence réglementaire, sans doute par la voie des reconnaissances d’équivalence plutôt que par l’harmonisation, est une entreprise particulièrement stratégique. Un accord équilibré constituerait un avantage décisif dans la compétition internationale et contribuerait à préserver l’Atlantique comme centre de gravité de l’économie mondiale.

Pour autant, nous devons nous garder de toute naïveté. La négociation du TTIP n’est pas différente de celle de tout autre accord commercial. Elle est le théâtre d’une confrontation d’intérêts, dont peuvent résulter autant d’opportunités que de risques.

La situation du secteur agricole et agroalimentaire de notre pays en est une parfaite illustration. La France dispose en effet de formidables atouts à faire valoir sur les marchés mondiaux, et certaines de nos filières ont des intérêts clairement offensifs dans ces négociations. Je pense par exemple à la filière fromagère ou à celle des vins et spiritueux, qui bénéficieraient grandement de la levée des diverses barrières non tarifaires américaines.

Pour concrétiser les opportunités de développement qui s’offrent à elles, la reconnaissance et la protection juridique sur le territoire américain de nos indications géographiques seront cependant un préalable incontournable, auquel nous ne pourrons en aucun cas renoncer, même si nos interlocuteurs semblent toujours totalement fermés sur ce sujet. Le président Jean-Claude Lenoir et moi-même avons rencontré voilà quarante-huit heures, à Paris, l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’OMC, M. Michael Punke. Nous avons été sur ce point extrêmement fermes.

A contrario, d’autres filières sont structurellement beaucoup plus vulnérables à la libéralisation des échanges avec les États-Unis. Je pense tout d’abord, bien évidemment, au secteur bovin, et tout particulièrement au cheptel allaitant. Comme le souligne à juste titre la proposition de résolution, des clauses de sauvegarde semblent indispensables pour ne pas mettre davantage en péril une filière déjà très durement touchée par la crise agricole actuelle.

La revendication de ces nécessaires mécanismes de protection ne doit toutefois pas nous exonérer d’une réflexion profonde sur l’orientation et l’organisation de ces secteurs aujourd’hui vulnérables.

Ceux-ci doivent bien sûr gagner encore en compétitivité, mais ils doivent également repenser leur position sur des marchés marqués par des habitudes de consommation ayant profondément évolué. La France est associée dans le monde à la très haute qualité agroalimentaire. Aux yeux des consommateurs et sur les marchés, cette identité fait l’objet d’une valorisation élevée.

Les secteurs aujourd’hui en difficulté doivent s’engager pleinement dans la voie de la très haute qualité. Ils devront également revoir l’organisation de leurs filières, souvent épuisées, notamment pour bâtir des stratégies offensives à l’export, par exemple autour d’une appellation commune clairement identifiable par les consommateurs étrangers.

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