Intervention de Michel Raison

Réunion du 4 février 2016 à 10h30
Conséquences du traité transatlantique pour l'agriculture et l'aménagement du territoire — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Michel RaisonMichel Raison :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, madame le rapporteur, mes chers collègues, les marchés anciens s’effritent et les marchés nouveaux se dérobent, il faut se rendre à l’évidence, 2016 est bien l’année de tous les dangers. Les bonnes perspectives annoncées se sont envolées.

La question qui se pose à nous désormais est la suivante : souhaitons-nous que le partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis porte le coup de grâce aux agriculteurs européens ?

Ce risque existe, il est parfaitement explicité par nos collègues Michel Billout, Philipe Bonnecarrère et Daniel Raoul. L’opportunité de la proposition de résolution européenne ne fait aucun doute. Celle-ci s’inscrit dans le prolongement des précédentes résolutions adoptées par le Sénat.

Sur la forme, je partage tout d’abord vos inquiétudes et vos demandes d’une plus grande transparence et d’une meilleure association des parlements nationaux au processus de négociation de ce traité.

Il est en effet inacceptable pour les secteurs d’activités concernés qu’aucune étude d’impact, ni au niveau national ni au niveau européen, n’ait été fournie. Plus généralement, le manque de transparence – je pense notamment à l’absence de publication des offres américaines – contribue largement à alimenter la méfiance des professionnels et des élus, comme le souligne notre excellente collègue Sophie Primas dans son rapport fait au nom de la commission des affaires économiques. Il est toujours plus douloureux de se cogner la nuit qu’en plein jour !

Cette méfiance est renforcée par le peu d’études réalisées sur la question, d’autant que la plupart d’entre elles prédisent, hélas, un avenir relativement sombre aux agriculteurs européens. Je parle bien des agriculteurs européens, car – il faut le rappeler de temps en temps – la France n’est pas une île isolée.

Selon une étude du Parlement européen réalisée en 2014, le traité entraînerait en effet une diminution de 0, 5 % de la valeur agricole au sein de l’Union européenne, contre une augmentation de 0, 4 % outre-Atlantique. Des constats similaires émanent du département de l’agriculture des États-Unis. Au vu de ces conclusions, je ne peux que m’associer aux doutes liés au risque d’un accord déséquilibré au détriment de l’Europe.

Permettez-moi d’insister sur la filière laitière, pour laquelle l’échéance du traité commercial transatlantique est évidemment cruciale. Peut-être même en sous-estime-t-on les conséquences.

Monsieur le président de la commission des affaires européennes, vous m’aviez demandé de réaliser un rapport sur le lait, d’une façon plus générale. J’ai remis ce rapport en juin 2015. J’avais auditionné de nombreuses personnes, en particulier la Fédération nationale de l’industrie laitière, qui m’avait, à l’époque, alerté sur les transformations de la concurrence internationale et plus précisément sur le réveil du géant américain, ancienne puissance laitière qui s’exprime peu, pour le moment, mais qui est dotée d’un outil de production très important – plus de 50 % du lait est issu de fermes de plus de 10 000 vaches. Le traité d’échange est un signe clair de la volonté américaine de revenir sur le marché mondial.

Enfin, dans la confrontation entre le droit des marques, étendard des Américains, et les indications géographiques, apanage des Européens, ainsi que Jean-François Longeot vient de l’illustrer à partir de l’exemple d’une région où les AOP sont importantes, notre formidable système de protection pourrait se voir très affaibli.

L’industrie laitière américaine produit en effet de nombreux fromages européens, créés sans usurpation, mais simplement à partir de notre propre savoir-faire au cours des siècles passés. Elle estime que certains termes sont devenus génériques : feta, gouda, emmental, gruyère… Notez qu’il en va de même pour les couteaux : aujourd’hui, on peut se procurer un laguiole pour pas cher ! Cette industrie refuse, dès aujourd’hui, d’être freinée par un système d’indications géographiques qui l’empêcherait de fabriquer, par exemple, du munster – dont notre collègue Gremillet est un spécialiste – : 74 000 tonnes en sont fabriquées aux États-Unis, alors que nous en exportons 20 tonnes à destination de ce pays. Les négociateurs parviendront-ils à protéger chaque type de fromage comme une spécialité ?

« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté », a écrit Winston Churchill.

Appartenant à la seconde catégorie, je rappelle que les négociations ne sont pas terminées et qu’il est donc difficile d’imaginer exactement les conséquences du partenariat. Je souligne également que le TTIP a vocation à donner aux producteurs européens l’opportunité d’accéder au marché américain. Plus grande sera la qualité d’un produit – La France est renommée dans ce domaine ! –, plus ses perspectives de vente seront prometteuses aux États-Unis.

Je suis conscient des enjeux industriels, régionaux et nationaux et de la sensibilité politique du sujet, mon optimisme a donc des limites.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion