Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, au nom de mon groupe, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Michel Billout et le groupe CRC, qui sont à l’origine de cette proposition de résolution européenne. Au-delà de ses conséquences sur l’agriculture et l’industrie agroalimentaire, nous considérons que le TTIP nécessite de la part de la représentation nationale une attention et une vigilance particulières, eu égard aux enjeux économiques, démocratiques, sanitaires et sociétaux qu’il engendre.
Quels sont les enjeux chiffrés de cette question ?
Pour l’agriculture et les industries agroalimentaires françaises, l’enjeu de ce traité est de l’ordre de 2 milliards d’euros, soit 18 % du solde positif du commerce extérieur avec les États-Unis, qui atteint 11 milliards d’euros. Le TTIP va-t-il nous permettre d’accroître ce solde positif avec les États-Unis, ou pas ? Telle est la question !
Un rapport du département américain de l’agriculture sur les conséquences du TTIP, rapport évoqué par M. le secrétaire d’État il y a quelques instants, permet de faire un constat sans appel : en cas d’abolition des droits de douane, les États-Unis gagneraient 5, 5 milliards de dollars, soit une augmentation de 2 % de leurs exportations agricoles, quand, dans le même temps, l’Union européenne enregistrerait une baisse de ses exportations de 0, 25 %.
Pire, en cas d’abolition des droits de douane couplée à la suppression des mesures non tarifaires, les États-Unis gagneraient presque 10 milliards de dollars, contre 2 milliards de dollars pour l’Union européenne, avec, une nouvelle fois, des exportations en hausse pour les États-Unis et en baisse pour l’Union européenne.
Toutefois, ce rapport américain précise que si l’Union européenne obtenait gain de cause sur les questions sanitaires et de qualité, alors les États-Unis ne tireraient pas réellement de bénéfices de l’accord, ce qui, bien évidemment, ne les encouragerait pas à le voter dans ces termes.
En tout état de cause, et particulièrement au vu de ces données, agriculture et agroalimentaire ne doivent pas être, comme cela a été dit à de nombreuses reprises, les variables d’ajustement de ce traité qui, on le sait, ne concerne pas seulement l’agriculture.
Pour notre groupe, un certain nombre de points doivent absolument être pris en compte dans la négociation. Je développerai plus particulièrement trois d’entre eux.
Le premier concerne les préférences collectives relatives aux normes sanitaires, phytosanitaires, environnementales et à la protection des consommateurs, qui doivent rester un point incontournable.
Des obstacles sanitaires à l’exportation de nos produits sont maintenus aux États-Unis. En effet, les règles sanitaires américaines ne permettent pas l’exportation de nos productions de lait cru et de fromages qui en sont issues, en raison de la non-reconnaissance des normes de pasteurisation européennes. Cette situation a conduit les États-Unis, dans les négociations, à classer comme produits sensibles les fromages ou le beurre.
Dans ce cadre, la question de l’harmonisation des réglementations européenne et américaine est donc centrale, ainsi que la reconnaissance d’équivalence, notamment en matière de systèmes de contrôle. Si nous voulons sécuriser nos consommateurs et préserver nos producteurs, des accords doivent être trouvés. Ce point devrait constituer un préalable aux négociations de volume.
Le deuxième point s’attache à la reconnaissance et à la protection des indications géographiques de type AOP, AOC, etc., essentielles pour le fleuron de nos exportations que sont les vins et spiritueux. La diplomatie des terroirs que permet l’indication géographique vise à reconnaître nos spécificités et nos savoir-faire.
Aujourd’hui, le système des indications géographiques européen s’oppose au système américain des marques. Une marque a une durée de vie limitée et peut être vendue, alors qu’une indication géographique a, par définition, vocation à perdurer.
L’un des objectifs prioritaires de l’Union européenne doit être la reconnaissance et la protection du plus grand nombre possible d’indications géographiques. À cet égard, le refus des États-Unis de constituer un groupe à haut niveau, comme l’avait proposé la Commission européenne en amont du onzième tour de négociation en octobre 2015, est révélateur.
Troisième et dernier point : la sauvegarde des produits classés sensibles est essentielle, avec l’enjeu majeur pour la France de préserver notre filière bovine et ses 50 000 emplois. À cette fin, il ne faut pas accorder aux États-Unis des contingents tarifaires à droits réduits ou nuls.
Le contexte du marché américain est aujourd’hui caractérisé par une forte demande en viande hachée, des producteurs américains ont donc tout intérêt à se spécialiser dans les morceaux nobles pour l’exportation. Or c’est justement le secteur dans lequel l’activité française est la plus rentable et la plus réputée.
La compatibilité de nos modes de production pose question. En France, 90 % des aliments de troupeau bovin sont produits sur l’exploitation et 80 % de la ration de base est composée d’herbe. L’alimentation du cheptel bovin aux États-Unis se fait à base d’additifs alimentaires, de maïs OGM, de farines animales, d’antibiotiques, de traitements aux hormones pour activer la croissance, de traitement à l’acide lactique des carcasses avant export. Les deux tiers des bovins sont engraissés dans des feedlots, des espaces artificiels pouvant contenir jusqu’à 30 000 bêtes. En outre, la réglementation en matière de bien-être animal est bien moins exigeante aux États-Unis qu’en Europe.
Ces barrières non tarifaires constituent donc un obstacle de taille pour le secteur bovin français. C’est pourquoi, dans le cadre des négociations, la Commission européenne a classé la viande bovine comme produit sensible, compte tenu des difficultés économiques du secteur. Ce classement permet aux produits de ne pas être concernés par la réduction des droits de douane. À l’heure actuelle, il permet surtout à chaque partie de protéger ses intérêts.
En parallèle, les États-Unis ont choisi, je l’ai dit, de classer sensibles les produits présentant un intérêt offensif pour l’Union européenne : fromage, beurre, sucre, vin, huile d’olive, etc.
Filière bovine, filière laitière, indications et signes géographiques de provenance, les enjeux de cette négociation sont considérables pour nos agriculteurs, nos transformateurs et nos metteurs en marché.
Sur le fond et pour conclure, l’analyse fine des conséquences possibles sur les différentes filières agricoles et agroalimentaires de ce traité se heurte à l’absence de données chiffrées résultant des différentes hypothèses de négociation. Faute d’étude d’impact, nous sommes dans l’impossibilité d’apprécier les effets de la levée, progressive ou non, des barrières non douanières.
Libéraliser les échanges apparaît ici comme une fin en soi. Ce principe n’est pas le nôtre !
Certaines filières de notre pays ont des intérêts offensifs, comme celles des produits laitiers et des vins et spiritueux, d’autres doivent absolument se défendre, comme celle de la viande.
À ce stade donc, on peut craindre que la filière agricole ne soit la variable d’ajustement de cette négociation, ce qu’il faut bien entendu éviter.
Je tiens à saluer l’investissement personnel du secrétaire d’État au commerce extérieur, Matthias Fekl, qui s’est fortement engagé sur ces sujets.
Nous avons, nous parlementaires, comme nos concitoyens, besoin de connaître tous les éléments de contexte et de problématique de cette négociation, afin de soutenir notre agriculture, ses emplois et les territoires ruraux, qui en sont grandement dépendants.
Cette proposition de résolution européenne s’inscrit dans cette ambition nationale et c’est la raison pour laquelle le groupe socialiste et républicain la soutiendra.