Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est sans doute judicieux et heureux que nous ayons ce débat puisque la tonalité de certaines interventions que nous avons entendues exprime clairement une méfiance, voire une hostilité de principe à l’encontre des autorités administratives indépendantes.
La proposition de loi de nos collègues, telle qu’elle ressort de la réflexion des uns et des autres et des débats de la commission, tranche l’affaire : les autorités administratives indépendantes sont légitimes ; elles ont été, pour l’essentiel, créées par le législateur. Il s’agit, à travers ce texte, de donner aux autorités et surtout aux membres de leurs collèges un statut plus homogène, ce qui en confirme la complète légitimité. De ce point de vue, si, comme je l’espère, cette proposition de loi est adoptée, il me semble que nous franchirons un moment significatif dans l’histoire de nos institutions administratives.
Quand on considère les compétences des autorités indépendantes, on voit que leur mission relève du champ de l’exécutif ; il s’agit de pouvoirs administratifs. Il y a par conséquent quelque paradoxe à considérer que ces autorités retireraient quoi que ce soit au législateur – j’y reviendrai – ; c’est au contraire au pouvoir hiérarchique du Gouvernement qu’elles retirent quelque chose : elles soustraient à ce pouvoir hiérarchique des matières relevant de sa compétence.
Permettez-moi d’évoquer un très lointain souvenir personnel : j’ai fait partie, voilà plus de quarante ans, de la petite équipe du Conseil d’État mandatée, je crois, par le ministre de la justice du premier gouvernement du septennat de M. Giscard d’Estaing. Celui-ci, dans une démarche de modernisation et d’ouverture de la société, souvenons-nous-en, s’était saisi de cette grande peur circulant dans la société des années soixante-dix à propos des fichiers et des traitements informatiques. L’idée d’un croisement des fichiers de personnes et d’un système de dispersion généralisée de leurs données prévalant à l’époque avait conduit le Gouvernement à chercher une solution nouvelle pour réguler les flux d’informations informatiques.
Le souvenir assez souriant que j’en conserve est celui de la recherche d’une nouvelle autorité qui serait assez légitime, socialement et culturellement, pour contrôler de façon assez intrusive le développement de ces traitements d’information. Dans le cadre d’une méthode typique du travail du Conseil d’État, nous avions procédé par tâtonnement et nous avions abouti à l’idée d’une institution mixte, comportant des représentations de divers institutions ou secteurs de la société et qui jouirait d’une indépendance vis-à-vis de l’exécutif.
Ainsi en sommes-nous arrivés, sous l’autorité du président Bernard Tricot, à définir ce modèle administratif, que nous appelions, entre nous, avant d’avoir construit le modèle complet, « l’instance », puisqu’il s’agissait d’une forme institutionnelle nouvelle. Cela me faisait penser à certaines formules que l’on trouve dans les romans de Julien Gracq pour désigner des institutions qui flottent dans l’espace et dont on a du mal à comprendre le rattachement.