Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 9 février 2016 à 14h30
Prorogation de l'état d'urgence — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Bernard Cazeneuve :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le 13 novembre 2015, notre pays est confronté à une menace terroriste d’une gravité sans précédent au cours de notre histoire.

Voilà maintenant trois mois, 130 victimes innocentes ont perdu la vie, en plein cœur de Paris et aux abords du Stade de France, tandis que des centaines d’autres resteront longtemps marquées dans leur chair, parfois même pour le restant de leurs jours. Jamais, jusqu’alors, nous n’avions connu des attentats d’une telle nature et d’une telle ampleur sur le sol national.

Sous l’autorité du Président de la République, le Gouvernement a pris toutes les mesures qui s’imposaient, décrétant notamment l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national, afin de donner aux autorités de l’État les moyens, dans de telles circonstances, de préserver l’ordre public et de prévenir la commission de nouveaux attentats.

Le 20 novembre, le Parlement a adopté à la quasi-unanimité la loi modernisant la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et en prorogeant l’application pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015.

Aujourd’hui, en raison de la persistance de menaces susceptibles de nous frapper à tout moment, le Gouvernement soumet à votre examen une nouvelle loi de prorogation de l’état d’urgence pour une durée supplémentaire de trois mois.

À cet égard, je veux saluer le travail réalisé en commission des lois du Sénat autour du constat de la nécessité de cette nouvelle prorogation, et remercier tout particulièrement le président Philippe Bas. Je tiens également à remercier le comité de suivi de l’état d’urgence et son rapporteur spécial, Michel Mercier, qui ont d’ores et déjà fourni un travail très important d’évaluation des mesures que nous avons prises dans le cadre de l’état d’urgence.

Je crois utile de commencer par rappeler l’état d’esprit dans lequel nous proposons au Parlement d’adopter cette nouvelle loi de prorogation.

L’exception au droit commun fait partie intégrante de l’histoire républicaine française. Tout État démocratique a en effet le devoir de prévoir un dispositif d’exception susceptible de lui donner les moyens de droit pour faire face à une situation d’une extrême gravité. Mais il doit bien évidemment le faire dans le respect scrupuleux des principes démocratiques et en prévoyant les garanties permettant de s’assurer qu’il en sera fait un usage strictement nécessaire.

La loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence vise ainsi à nous permettre de lutter contre tout « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou contre des « événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Nul ne conteste ici, j’en suis convaincu, que les attentats du 13 novembre s’inscrivaient dans ce cadre.

Mais si nous devons faire preuve de fermeté et de détermination, nous devons également agir dans la pleine conscience de la responsabilité qui est la nôtre. L’état d’urgence n’est pas le contraire de l’État de droit : il en est au contraire, dès lors que la situation l’exige, le bouclier.

Contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là parfois dans la presse, l’état d’urgence n’est donc pas synonyme d’arbitraire. Les raisons justifiant d’y avoir recours, sa déclaration comme sa prorogation, ainsi que les actes et les décisions pris sur son fondement, sont tous prévus et strictement encadrés par la loi.

Par principe, l’état d’urgence n’a pas vocation à durer plus longtemps qu’il est nécessaire. Sa légitimité réside précisément dans ce caractère provisoire, déterminé par la persistance du péril imminent qui a justifié sa déclaration. Je vous présenterai dans quelques instants les données factuelles qui amènent le Gouvernement à juger que ce péril persiste.

J’ajoute enfin que, avec la loi du 20 novembre 2015 et cette nouvelle loi de prorogation, nous demeurons fidèles à l’ambition républicaine et progressiste qui animait les rédacteurs de la loi de 1955 – je veux bien sûr parler de Pierre Mendès France et d’Edgar Faure –, lesquels considéraient en effet que l’état d’urgence constituait une alternative libérale à l’état de siège.

C’est dans ce même esprit que le Gouvernement a pris l’initiative, dès la loi du 20 novembre, de supprimer certaines mesures relatives au contrôle des médias qui apparaissaient inadaptées aux réalités contemporaines et susceptibles de porter atteinte aux libertés publiques.

C’est également pourquoi le Gouvernement a souhaité prévoir des garanties supplémentaires, telles que l’interdiction de procéder à des perquisitions administratives « dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes », la nécessité d’information du procureur de la République avant et après la perquisition ou encore le contrôle du juge administratif, y compris dans l’urgence.

Enfin, c’est également ce gouvernement, et nul autre, qui a mis en place un contrôle parlementaire inédit et pleinement effectif de l’état d’urgence ; j’y reviendrai.

Je veux maintenant vous présenter un bilan précis des mesures que nous avons mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence et des résultats qu’elles ont d’ores et déjà permis d’obtenir.

Depuis le 13 novembre dernier, 3 336 perquisitions administratives ont été réalisées. Elles ont notamment permis la saisie de 578 armes, qui se répartissent de la manière suivante : 220 armes longues ; 169 armes de poing ; 42 armes de guerre ; 147 autres armes, présentant pour la plupart un caractère de dangerosité élevé. De plus, 395 interpellations ont eu lieu, entraînant 344 gardes à vue.

Au lendemain des attentats du 13 novembre, l’État a fait le choix de créer un effet de surprise pour éviter toute réplique éventuelle et déstabiliser les filières liées à des activités terroristes. Nous y sommes d’ores et déjà parvenus.

Néanmoins, je n’ignore pas que, depuis la proclamation de l’état d’urgence, des critiques ont été émises, notamment sur l’usage qui était fait de ces mesures. J’ai pour ma part identifié certains faits isolés, certaines perquisitions qui n’ont pas été accomplies avec le discernement qui aurait dû pourtant présider à leur mise en œuvre ou même à leur choix. Je pense notamment à une perquisition dans une ferme biologique du Périgord qui a eu lieu le 24 novembre dernier et qui était manifestement injustifiée. Je pense également aux conditions d’une autre perquisition, menée le 17 novembre, cette fois dans une mosquée à Aubervilliers. On peut perquisitionner un lieu de culte, mais rien ne justifie, au moment de cette perquisition, que l’on ne respecte pas un certain nombre de symboles de la religion concernée, au risque de choquer les fidèles.

J’ai par conséquent immédiatement donné des instructions extrêmement fermes pour que les opérations de perquisition ne concernent que des objectifs pertinents et qu’elles se déroulent de manière irréprochable. Ces instructions ont fait l’objet d’un télégramme, en date du 25 novembre dernier, adressé aux préfets. J’ai également demandé à la Direction générale de la police nationale et à la Direction générale de la gendarmerie nationale de transmettre les mêmes consignes auprès de leurs effectifs.

J’ai transmis l’ensemble des éléments communiqués à mes collaborateurs précisant les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence aux commissions de contrôle de l’état d’urgence instituées par le Parlement. Votre rapporteur, Michel Mercier, dispose depuis de nombreuses semaines de ces documents.

Je souhaite également vous informer des suites judiciaires qui ont été pour l’heure réservées à ces mesures, et tout particulièrement aux perquisitions.

À la date du 2 février, 563 procédures judiciaires avaient été ouvertes. Sur les 344 gardes à vue, 65 condamnations ont d’ores et déjà été prononcées et 54 décisions d’écrou ont été prises.

Si l’on s’en tenait au seul chiffre des procédures ouvertes sous la qualification terroriste – 28 procédures, dont 23 pour apologie du terrorisme –, le bilan pourrait sembler modeste, mais ce serait une erreur de méthode que de s’arrêter à ce décompte pour évaluer l’utilité des perquisitions effectuées.

En effet, les perquisitions administratives ont, par construction même, une finalité préventive et de renseignement. Les éléments collectés peuvent alimenter des dossiers de renseignement qui donneront lieu, le cas échéant, à judiciarisation plusieurs semaines ou plusieurs mois plus tard, après avoir été enrichis par d’autres sources d’information. C’est pourquoi ces résultats sont extrêmement précieux, sans être pour autant encore définitifs.

En outre, les perquisitions ont pour effet de désorganiser les réseaux qui arment et financent le terrorisme, en particulier à travers les trafics d’armes et de stupéfiants. C’est donc tout un environnement logistique permettant l’organisation et la commission d’actes terroristes que nous avons commencé à déstabiliser durablement.

Les saisies d’espèces, qui s’élèvent à plus de 1 million d’euros, permettent également aux services de Bercy d’ouvrir des enquêtes particulièrement utiles. Les données numériques qui ont été saisies et qui sont en cours d’exploitation déboucheront dans de nombreux cas sur de nouvelles mises en cause.

La mise en œuvre de l’état d’urgence a d’ores et déjà permis aux forces de sécurité d’accomplir un travail considérable. La lutte contre la menace terroriste se poursuit et elle se poursuivra sans trêve ni pause.

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