Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 9 février 2016 à 14h30
Prorogation de l'état d'urgence — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Bernard Cazeneuve, ministre :

Par ailleurs, si 108 recours au fond ont été introduits, une seule annulation a été prononcée jusqu’à présent. Je précise qu’aucune annulation n’a concerné des personnes assignées à l’occasion de la COP 21. En effet, il a été jugé que ces assignations à résidence ne méconnaissaient pas le principe de proportionnalité, s’agissant d’individus présentant un risque pour l’ordre public dans le contexte que vous connaissez.

Aujourd’hui, 290 assignations à résidence sont toujours en vigueur, dont 83 % – je m’empresse de le dire – concernent des individus surveillés par nos services de renseignement au titre de leur activité dans le champ de l’islamisme radical. À la fin de l’état d’urgence, leur assignation à résidence cessera de plein droit, même si, bien sûr, des suites judiciaires et administratives de droit commun sont mises en œuvre lorsque les conditions sont réunies.

De même, je tiens à souligner que les interdictions de manifester décidées par les préfets jusqu’au 12 décembre 2015 étaient pleinement justifiées par l’impossibilité dans laquelle se trouvait alors le Gouvernement de garantir le maintien de l’ordre public dans ces circonstances particulières, alors que nos forces étaient mobilisées pour protéger les Français du terrorisme et assurer le bon déroulement de la COP 21.

La liberté de manifester, à laquelle nous sommes particulièrement attachés, demeure bien évidemment la règle dans notre pays. Chacun a encore pu le constater au cours de ces dernières semaines, à l’occasion de plusieurs mouvements sociaux. Le 30 janvier dernier, des manifestants ont même pu défiler, sous la protection des forces de l’ordre, pour dénoncer l’état d’urgence. Je trouve cela tout à fait légitime. À mes yeux, il est du rôle du ministère de l’intérieur, même dans le contexte de l’état d’urgence, de tout mettre en œuvre, en mobilisant les forces de sécurité intérieure, pour que le droit de s’exprimer et de manifester puisse s’exercer, sauf lorsque risquent de survenir des troubles graves à l’ordre public que nous ne serions pas en mesure de prévenir. C’est dans cet esprit que j’ai décidé d’interdire les manifestations prévues à Calais, qui menaçaient de donner lieu à des violences graves, comme cela s’était déjà produit auparavant.

Concernant les mosquées et les salles de prière, quarante-cinq d’entre elles ont fait l’objet d’une perquisition administrative et dix ont été fermées. Ces lieux, dont certains étaient des établissements recevant du public totalement clandestins, constituaient autant de bases arrière pour la propagande d’un islam incompatible avec les valeurs de la République, encourageant ou légitimant la commission d’actes mettant en péril l’ordre et la sécurité publics.

Je relèverai le cas particulier de la mosquée de Lagny, en Seine-et-Marne. Celle-ci a été la toute première à faire l’objet d’une mesure de dissolution, après l’adoption de trois décrets en conseil des ministres prononçant la dissolution des associations constituant les personnes morales sur lesquelles reposait la gestion des activités de la mosquée.

Enfin, je rappelle que l’état d’urgence est soumis à un contrôle parlementaire d’une portée inédite. Dans son principe, celui-ci avait été inscrit dans la loi du 3 avril 1955, mais il n’avait jamais été appliqué. Il a été indiqué d’emblée aux présidents des commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale que nous étions résolus à mettre en œuvre un tel contrôle, allant même au-delà de celui exercé par une commission d’enquête parlementaire.

J’ai affirmé d’emblée que j’étais prêt à apporter des réponses précises et circonstanciées sur tout cas individuel, à transmettre en temps réel et quotidiennement un bilan chiffré des mesures mises en œuvre. De même, je me suis engagé à exiger la plus grande transparence de la part de tous mes services à l’occasion de contrôles réalisés sur pièces et sur place par le président du comité de suivi parlementaire.

En outre, des réunions hebdomadaires ont été organisées avec les représentants des groupes parlementaires, sous l’autorité du Premier ministre ou sous la mienne. Jusqu’à présent, jamais un tel contrôle n’avait été mis en place ; les parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, l’ont d’ailleurs unanimement reconnu.

J’en viens à la prorogation de l’état d’urgence et aux raisons pour lesquelles nous la croyons absolument nécessaire.

Vous savez que la nécessité de cette prorogation s’apprécie à l’aune de la persistance d’un péril imminent. Or, je le dis devant vous avec gravité : force est de constater que, plusieurs mois après les actes terroristes du 13 novembre, le péril qui menace la France n’a pas disparu, tant s’en faut.

Je rappellerai tout d’abord que le Conseil d’État lui-même, jugeant en référé, a estimé, par une décision du 27 janvier dernier, que la persistance d’un péril imminent justifiait que le Président de la République s’abstienne, à l’heure actuelle, de prendre un décret mettant un terme anticipé à l’état d’urgence, et que ce faisant il ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales.

Par ailleurs, depuis le 13 novembre, des attentats, fussent-ils de moindre ampleur, ont été commis en France et à l’étranger, visant nos intérêts et nos ressortissants. Ils ont également visé des alliés directs de la France, au nom d’organisations terroristes telles que Daech ou Al-Qaïda au Maghreb islamique.

À la fin de l’année 2015, plusieurs attentats ont été évités en Belgique et en Allemagne. De même, au mois de décembre, deux projets terroristes en gestation sur le territoire national ont été déjoués : le premier à Tours, où un djihadiste tchétchène a pu être arrêté avant de passer à l’acte, et le second dans la région d’Orléans, où deux individus cherchaient à se procurer des armes en vue de s’en prendre à des représentants de la force publique.

Le 24 décembre 2015, un couple demeurant à Montpellier a été mis en examen et écroué pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme et financement du terrorisme. Des documents de propagande djihadiste et un faux ventre de femme enceinte recouvert d’une couche d’aluminium, qui aurait pu servir à dissimuler des explosifs, ont notamment été saisis au domicile des personnes interpellées.

Le 7 janvier 2016, un individu armé, apparemment porteur d’un engin explosif, qui s’est par la suite révélé factice, et d’un document de propagande faisant clairement référence à Daech a été neutralisé par des policiers en faction devant le commissariat du XVIIIe arrondissement de Paris alors qu’il s’apprêtait à passer à l’action.

Le 11 janvier 2016, à Marseille, un adolescent mineur a blessé à l’arme blanche un professeur des écoles, avant de revendiquer son action et son mobile antisémite.

Je rappelle également qu’au mois de décembre dernier, Daech a explicitement appelé à cibler nos écoles et à tuer des enseignants et des élèves.

En outre, depuis le 13 novembre et au cours des dernières semaines, les organisations terroristes ont démontré leur capacité à frapper dans de nombreuses villes étrangères – à Tunis, à Bamako, à Jakarta, à Istanbul, à Ouagadougou, sans même parler, bien sûr, de la Syrie et de l’Irak – et à viser notamment les ressortissants français et européens présents à l’étranger.

Le 20 novembre 2015, deux terroristes ont ainsi attaqué l’hôtel Blue Radisson de Bamako, au Mali, établissement essentiellement fréquenté par des Occidentaux. Ils ont assassiné vingt otages avant d’être neutralisés. Le groupe djihadiste Al-Mourabitoune, dirigé par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, a revendiqué la prise d’otages.

Le 12 janvier 2016, un attentat suicide perpétré à Istanbul et visant des touristes allemands a causé la mort de dix d’entre eux et en a blessé dix-sept autres.

De même, le 15 janvier, un triple attentat était perpétré à Ouagadougou, au Burkina Faso, visant un hôtel et des établissements connus pour être fréquentés par des expatriés et causant la mort de trente personnes, parmi lesquelles trois ressortissants français.

À l’heure actuelle, nous savons qu’environ 600 Français sont présents en Syrie et en Irak ; 254 sont d’ores et déjà revenus sur le territoire français et nous faisons preuve à leur endroit de la plus grande sévérité.

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