Intervention de Michel Mercier

Réunion du 9 février 2016 à 14h30
Prorogation de l'état d'urgence — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel MercierMichel Mercier :

Nous connaissons toutefois les limites d’un tel contrôle et nous savons qu’il faut parfois aller au-delà des simples éléments statistiques qui peuvent nous être communiqués. À cet égard, je relèverai qu’il y a eu quelque 350 assignations à résidence et de nombreuses perquisitions administratives. Cela nous amènera à nous interroger sur les modalités de contrôle des unes et des autres.

Il faut souligner une innovation fondamentale au regard des autres périodes d’état d’urgence qu’a connues notre pays : l’utilisation des technologies de l’internet, qui constitue pour les groupes terroristes un moyen particulièrement efficace de mener leurs actions. Nous avons affaire à des techniciens de l’internet de premier ordre et nous devons prendre en compte cette dimension technologique dans notre combat contre le terrorisme.

Je m’étendrai plus longuement sur le contrôle des actes et des mesures pris dans le cadre de l’état d’urgence, qui représente une question fondamentale. M. le ministre de l’intérieur a beaucoup insisté sur ce point : lorsque la République agit dans le cadre de l’état d’urgence, en recourant à des pouvoirs exorbitants du droit commun, l’État de droit est-il encore respecté ? Si tel n’était pas le cas, nous serions comme les terroristes et nous bafouerions la République. §Lorsque l’on veut réformer la Constitution, cela signifie que l’on est attaché à l’État de droit. Sinon, à quoi bon établir une règle suprême ?

Il ressort de l’analyse de la jurisprudence du Conseil d’État à compter du 11 décembre 2015 que la République a agi dans le cadre de l’État de droit, dont elle a respecté les règles fondamentales, auxquelles nous sommes particulièrement attachés.

Je souhaite évoquer cette jurisprudence s’agissant des mesures d’assignation à résidence, qui ont donné lieu au plus grand nombre de recours, ce qui peut s’expliquer. C’est à leur propos que le Conseil d’État a le mieux explicité ses pouvoirs et le niveau de contrôle qu’il souhaitait exercer.

Le Conseil d’État a tout d’abord choisi d’avoir largement recours au Conseil constitutionnel, en utilisant les questions prioritaires de constitutionnalité, mises en place par la révision constitutionnelle de 2008, à trois reprises : sur les assignations à résidence, sur les perquisitions et sur les pouvoirs éventuels dont dispose la juridiction administrative en matière d’injonctions au Président de la République.

S’agissant des assignations à résidence, le Conseil constitutionnel a répondu qu’elles avaient pour objet d’assurer la prévention des atteintes à l’ordre public et que la Constitution n’excluait pas la possibilité, pour le législateur, de prévoir la mise en œuvre d’un régime d’état d’urgence conciliant cet objectif avec le respect des droits et libertés que la République reconnaît à tous ceux qui vivent sur son territoire.

Le Conseil constitutionnel distingue donc mesures privatives de liberté, qui relèvent du juge judiciaire au titre de l’article 66 de la Constitution, et mesures restrictives de liberté, qui sont des mesures de police administrative relevant du seul juge administratif.

L’assignation à résidence est une mesure de police administrative, sauf à dépasser les douze heures de rétention dans le même lieu ou à imposer de se présenter plus de trois fois au commissariat ou à la brigade de gendarmerie. La durée et la composition de la mesure doivent être justifiées et proportionnées au danger.

De ce point de vue, le Conseil d’État s’est livré à un contrôle plein et entier des mesures prises au titre de l’état d’urgence. Ce point est à mon sens très important et témoigne que nous sommes toujours restés dans le cadre de l’État de droit.

J’évoquerai maintenant quelques points particuliers.

S’agissant tout d’abord des notes blanches, qui ont suscité un certain nombre d’articles de presse, le Conseil d’État a admis la possibilité, pour le ministre de l’intérieur, de les utiliser, dès lors qu’elles étaient soumises au débat contradictoire. Cette exigence étant posée, tout mode de preuve peut être discuté.

Ensuite, le Conseil d’État a admis les mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence, ainsi que des mesures visant à maintenir l’ordre public, mais ne présentant pas de lien évident avec l’état d’urgence, au motif que la situation ayant mené à la déclaration de ce dernier, à savoir la menace terroriste, était prégnante et avait pour conséquence de modifier toutes les règles relatives au maintien de l’ordre public. Ce point extrêmement important devra être précisé lorsque nous débattrons de la réforme constitutionnelle.

Concernant les perquisitions administratives, elles ont été nombreuses, mais n’ont donné lieu qu’à très peu de contentieux. En effet, par définition, elles ont déjà pris fin au moment où elles pourraient être contestées. Elles donneront peut-être lieu, ultérieurement, à un contentieux de la responsabilité. Nous aurons à débattre, le moment venu, de la façon dont peut être engagée la responsabilité de l’État ; ce sera peut-être en dehors du régime de la faute lourde, qui est celui aujourd’hui reconnu et qui empêche pratiquement toute intervention du juge.

J’en viens à la question de savoir s’il faut ou non proroger l’état d’urgence.

À deux reprises, le Conseil d’État s’est prononcé sur la notion de « péril imminent », estimant qu’un tel péril était toujours présent. Dès lors qu’il y a péril imminent, cela justifie suffisamment la prorogation de l’état d’urgence. C’est la position que la commission des lois proposera au Sénat de retenir.

Mais la question est aussi de savoir comment sortir de l’état d’urgence. Dès lors que le péril est permanent, on ne peut y répondre uniquement par des mesures exceptionnelles fondées sur l’état d’urgence.

Vient un moment où il faut renforcer les procédures de droit commun, pour permettre au juge judiciaire de retrouver tout son rôle. Il est essentiel de préparer dès maintenant les conditions du retour au droit commun, aux procédures habituelles, faute de quoi nous en serons toujours au même point dans trois ou six mois. Or nous ne pouvons pas vivre de façon définitive sous l’empire de l’état d’urgence.

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