Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 9 février 2016 à 14h30
Prorogation de l'état d'urgence — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Bernard Cazeneuve, ministre :

Sachez cependant que, en tant que ministre de l’intérieur, je serais d’une intransigeance totale si des manquements étaient commis par ceux qui, sous ma responsabilité, sont chargés de faire respecter l’ordre républicain.

Monsieur Zocchetto, vous vous êtes interrogé sur la durée de la prolongation de l’état d’urgence et sur la pénalisation de la fréquentation des sites faisant l’apologie d’actes terroristes. Comme Michel Mercier, vous vous demandez comment sortir de l’état d’urgence.

Je prépare bien entendu la sortie de l’état d’urgence tous les jours en prenant des mesures. À titre d’exemple, un certain nombre des personnes qui ont été assignées à résidence et qui présentent un danger ne sont pas de nationalité française. Il serait légitime de les expulser vers leur pays au terme de l’état d’urgence. Nous devons manifester notre détermination et faire preuve de fermeté à l’égard d’individus qui vivent en France, mais qui ne sont pas de nationalité française et qui enfreignent la loi.

Des mesures de droit commun pourront prendre le relais de l’état d’urgence, lorsque celui-ci aura cessé, pour assurer la sécurité des Français, comme les interdictions de sortie du territoire, lesquelles relèvent de la loi du 13 novembre 2014.

Le projet de loi pénale, dont vous aurez à débattre, et la proposition de loi que vous avez vous-même portée sont autant de textes préparant la sortie de l’état d’urgence par des mesures de droit commun. Il s’agit d’assurer, dans le respect rigoureux des principes constitutionnels et des libertés publiques, la sécurité des Français.

La pénalisation de la consultation des sites faisant l’apologie d’actes terroristes a été envisagée, monsieur Zocchetto, lors de l’examen de la loi visant la pédopornographie, mais le Conseil d’État a considéré qu’une telle mesure n’était pas constitutionnelle. Cette disposition n’a donc pas été retenue. Votre proposition présente donc un intérêt, en même temps qu’elle pose un problème de constitutionnalité, qu’il faudra examiner de près.

Monsieur Richard, vous avait repris dans votre intervention l’ensemble des interrogations que j’avais moi-même exprimées sur la dimension internationale et les risques qui s’y attachent. Je partage bien entendu vos propos.

Le président Mézard a posé des questions extrêmement justes, avec l’esprit de nuance et la sagesse qui le caractérisent toujours, sur le nécessaire équilibre entre la sécurité, que nous devons assurer, et l’état d’urgence, que nous ne pouvons pas prolonger indéfiniment. Au-delà de la période de trois mois, nous souhaitons pouvoir prendre des mesures, soit de police administrative, soit de droit commun, inscrites dans la loi pénale, pour prendre le relais de l’état d’urgence.

Enfin, madame Benbassa, madame Assassi, je n’ai pas eu le sentiment que vous adhériez à ce que nous proposions. Vous avez exprimé avec sincérité, et parfois avec beaucoup de passion, votre opposition à l’état d’urgence.

Très sincèrement, nous faisons face à une menace inédite, qui ne ressemble en rien, madame Benbassa, à ce que nous avons eu à affronter jusqu’à présent. Je rappelle que près de 2 000 ressortissants français sont concernés, de près ou de loin, par les activités terroristes de groupes situés en Irak et en Syrie, une partie d’entre eux vivant sur le territoire national. Le défi auquel nous sommes confrontés n’est donc pas du tout le même que celui que nous avons dû relever au milieu des années quatre-vingt-dix, face, par exemple, au GIA, le Groupe islamiste armé. Il est d’une tout autre nature.

Par conséquent, face à l’ampleur de ce phénomène, nous ne pouvons pas raisonner comme nous l’avons fait il y a de cela vingt ou trente ans. Face à ce niveau de menace élevé, et alors que le nombre d’interpellations intervenues depuis le début du mois de janvier dernier est extrêmement élevé – j’ai rappelé les chiffres –, le raisonnement qui est le vôtre, que je peux comprendre et que je respecte, est le suivant : « Le danger, c’est la manière dont l’État s’arme pour faire face à la menace et le risque que cela fait peser sur nos libertés ».

Pour ma part, je considère, et là se situe le désaccord de fond que j’ai avec vous, que si la République ne se dote pas, dans le respect des principes constitutionnels et du droit, des moyens de faire face à la menace qui se présente à elle et qui a l’acuité que je viens d’indiquer, alors les libertés publiques s’en trouveront très fortement vulnérabilisées et remises en cause. Un État qui, avec toute la rigueur et tous les scrupules que je viens d’indiquer, se prépare à affronter, avec lucidité, une telle menace, en prenant toutes les précautions en droit pour éviter toute dérive, ne remet pas en cause les libertés publiques, il les protège.

C’est parce que j’ai la conviction profonde que nous ne pouvons pas ne pas réagir face à une telle violence à l’égard de ce que nous sommes et de ce que sont nos valeurs que je présente aujourd'hui le projet de loi prolongeant l’état d’urgence, non pas avec la conscience tranquille – lorsque l’on est confronté à une telle menace, on interroge à chaque instant sa conscience pour savoir si l’on fait bien et si l’on prend les bonnes mesures –, mais avec la sincérité d’un Républicain.

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