Intervention de Patricia Schillinger

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 février 2016 : 2ème réunion
Régime local complémentaire d'assurance maladie d'alsace-moselle et son articulation avec la généralisation de la complémentaire santé en entreprise suite au rapport remis au premier ministre — Communication

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Comme vous le savez, j'ai été chargée aux côté de notre collègue André Reichardt et des députés Philippe Bies et Denis Jacquat d'un rapport au Premier ministre sur l'articulation du régime local d'assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle et la généralisation de la complémentaire santé en entreprise.

Notre rapport a été remis le 15 décembre 2015. Il fait suite à un premier rapport du Gouvernement remis au Parlement en juin 2014 et s'appuie sur les concertations qui ont été engagées avec les acteurs locaux en vue de déterminer les modalités d'application de la généralisation de la complémentaire santé d'entreprise en Alsace-Moselle.

Un amendement adopté au Sénat dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé a d'ailleurs reporté l'entrée en vigueur du dispositif du 1er janvier au 1er juillet 2016 afin de permettre à ces discussions d'aboutir.

Afin de vous présenter les enjeux de la généralisation de la complémentaire santé d'entreprise pour le régime d'Alsace-Moselle il me semble nécessaire de vous en rappeler brièvement certaines caractéristiques.

Le régime local est d'abord un héritage historique ; il résulte de l'application des lois de Bismarck sur les assurances sociales lorsque les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle étaient intégrés à l'Empire allemand.

Après la Première Guerre mondiale, comme après la Seconde, les autorités françaises ont judicieusement décidé de ne pas faire table rase de cet héritage et ont, au contraire, permis de conserver les dispositions protectrices du droit local dans différents domaines, notamment lorsqu'elles étaient plus favorables pour les habitants.

C'était le cas de la couverture du risque maladie en 1945 au moment des ordonnances qui ont créé la sécurité sociale en France ; le régime local est alors devenu complémentaire au nouveau régime de base et est resté obligatoire, contrairement aux autres organismes complémentaires.

Aujourd'hui, 2,1 millions de personnes en bénéficient ; le régime s'appuie sur un principe contributif : ceux qui cotisent ou ont suffisamment cotisé y sont affiliés. Il couvre principalement les salariés du secteur privé, les retraités et les titulaires de certains autres revenus de remplacement, principalement les chômeurs. En sont donc exclus les fonctionnaires, les exploitants agricoles et les professions indépendantes.

La cotisation, assise uniquement sur la part salariale sans contribution de l'employeur, est identique pour tous les revenus mais des exonérations similaires à celles qui s'appliquent pour la CSG bénéficient aux retraités et aux chômeurs.

En outre, cette cotisation est déplafonnée, ce qui contribue au caractère très solidaire de notre régime et qui l'éloigne encore plus des caractéristiques des autres organismes complémentaires.

Enfin, l'une des particularités essentielles du régime local d'Alsace-Moselle est le rôle de son conseil d'administration qui, loin d'être une chambre d'enregistrement, joue un rôle déterminant.

Dans la limite des tarifs de la sécurité sociale, il détermine la liste des prestations prises en charge et le taux de leur remboursement : il a par exemple décidé de ne pas abonder le financement des médicaments à service médical rendu faible ou insuffisant.

En parallèle, il fixe les taux de cotisations, dans une fourchette comprise entre 0,75 % et 2,5 %.

Il a donc, plus généralement, un rôle en termes de gestion du risque et il a promu des expériences qui ne pouvaient l'être que du fait de l'autonomie dont il dispose, par exemple en ce qui concerne les médicaments ou la prévention.

Face à ces spécificités, l'article 1er de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi qui prévoit la généralisation d'une complémentaire santé à tous les salariés doit être articulé avec le fonctionnement du régime d'Alsace-Moselle.

En effet, là où le régime d'Alsace-Moselle prévoit un financement uniquement par l'assuré, la loi de sécurisation de l'emploi prévoit un financement pour moitié par l'employeur. Il y aurait donc un risque de rupture d'égalité entre les assurés qui financent intégralement leur assurance maladie complémentaire dans le régime d'Alsace-Moselle et ceux qui n'en paieront que la moitié, ailleurs sur le territoire national.

Le panier de prestations de la complémentaire santé du régime local est inférieur au panier minimal prévu par la loi pour la complémentaire d'entreprise. Les salariés qui bénéficient de celle-ci seront donc mieux couverts que ceux qui disposent de la seule assurance complémentaire du régime d'Alsace-Moselle.

Le rapport que le Gouvernement avait remis au Parlement en juin 2014 envisageait trois solutions pour résoudre la difficulté, solutions que nous avons examinées dans notre rapport de décembre dernier.

Soit l'employeur paye la différence entre l'assurance complémentaire locale et la complémentaire d'entreprise, soit on passe à un système de paiement moitié employeur, moitié salarié pour la complémentaire locale et alors -troisième hypothèse- on peut s'interroger sur une élévation du niveau de couverture.

La première solution présentée par le rapport gouvernemental serait de prévoir un paiement par le seul employeur pour la part de complémentaire santé d'entreprise qui dépasse celle prévue par le régime local. On ne changerait pas le financement de la complémentaire obligatoire du régime local et on prévoirait une règle spécifique pour les employeurs de salariés qui relèvent du régime d'Alsace-Moselle. Cette solution peut être mise en oeuvre par décret mais elle est cependant fragile du point de vue du respect du principe d'égalité.

Une autre solution serait donc de passer à un financement moitié employeur, moitié salarié de la complémentaire obligatoire assurée par le régime local. Ceci suppose cependant de faire un place aux employeurs au sein du conseil d'administration du régime et de déterminer quel sera le champ de leur compétence. Par exemple, interviendront-ils pour les seules décisions concernant les salariés ou pour toutes les décisions ?

Si l'on s'engage dans cette voie le rapport du Gouvernement envisageait aussi la possibilité de porter le niveau de la complémentaire santé du régime local au niveau du panier minimal de prestations prévu par la loi pour la complémentaire d'entreprise.

Les syndicats y sont favorables et cela aboutirait à faire de la complémentaire santé du régime local un substitut à la complémentaire d'entreprise prévue par la loi de sécurisation de l'emploi. Les entreprises qui voudraient offrir une meilleure assurance complémentaire à leurs salariés pourraient le faire sous la forme d'une sur-complémentaire.

L'introduction des employeurs dans le financement de la complémentaire santé du régime local suppose l'intervention du législateur et une réforme importante du fonctionnement du régime.

Le rapport que nous avons présenté avec André Reichardt et nos collègues députés souligne le risque juridique important que comporte ces trois solutions. En effet il convient de ne pas déstabiliser le régime local, ni de lui donner une place disproportionnée dans l'assurance complémentaire des salariés. Si le régime d'Alsace-Moselle devient un régime complémentaire obligatoire qui se substitue intégralement à la complémentaire d'entreprise, il y a un risque réel de rupture d'égalité par rapport au reste du pays.

Dès lors, notre rapport préconise d'appliquer strictement la loi dans le respect du cadre existant. La complémentaire locale payée par l'assuré sera inchangée et la complémentaire d'entreprise qui viendra s'y rajouter sera payée à 50 % par l'employeur. C'est, toutes analyses faites, la solution la plus simple et la plus sûre juridiquement.

Le Gouvernement a indiqué qu'il suivrait les recommandations du rapport pour que la couverture complémentaire en entreprise issue de la loi du 14 juin 2013 constitue un troisième étage de couverture par rapport à la protection apportée par les régimes de base et le régime local. Un décret en ce sens devrait être pris au premier trimestre 2016.

Je conclurai en soulignant qu'en 2011 le Conseil constitutionnel a consacré un nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République qui reconnaît la spécificité du régime d'Alsace-Moselle. Ce régime, qui a fait preuve de ses qualités de gestion, doit incontestablement s'adapter aux évolutions législatives, mais sans remise en cause fondamentale de ses caractéristiques.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion