Commission des affaires sociales

Réunion du 10 février 2016 : 2ème réunion

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La réunion

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Au cours d'une seconde réunion tenue en fin de matinée, la commission entend la communication de Mme Patricia Schillinger et de M. André Reichardt sur le régime local complémentaire d'assurance maladie d'Alsace-Moselle et son articulation avec la généralisation de la complémentaire santé en entreprise, suite au rapport remis au Premier ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Deux députés et deux sénateurs, Patricia Schillinger et André Reichardt, ont remis au Premier ministre un rapport sur les conditions de mise en oeuvre de la généralisation de la complémentaire santé en entreprise dans les départements alsaciens et en Moselle.

Cette question avait déjà fait l'objet au printemps 2014 d'un rapport du Gouvernement, en application d'une disposition de la loi de juin 2013 sur la sécurisation de l'emploi.

En effet, la généralisation de la complémentaire santé en entreprise soulève une difficulté particulière dans ces trois départements où existe déjà un régime complémentaire obligatoire.

Patricia Schillinger et André Reichardt vont nous présenter les conclusions de ce récent rapport au Premier ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

Comme vous le savez, j'ai été chargée aux côté de notre collègue André Reichardt et des députés Philippe Bies et Denis Jacquat d'un rapport au Premier ministre sur l'articulation du régime local d'assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle et la généralisation de la complémentaire santé en entreprise.

Notre rapport a été remis le 15 décembre 2015. Il fait suite à un premier rapport du Gouvernement remis au Parlement en juin 2014 et s'appuie sur les concertations qui ont été engagées avec les acteurs locaux en vue de déterminer les modalités d'application de la généralisation de la complémentaire santé d'entreprise en Alsace-Moselle.

Un amendement adopté au Sénat dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé a d'ailleurs reporté l'entrée en vigueur du dispositif du 1er janvier au 1er juillet 2016 afin de permettre à ces discussions d'aboutir.

Afin de vous présenter les enjeux de la généralisation de la complémentaire santé d'entreprise pour le régime d'Alsace-Moselle il me semble nécessaire de vous en rappeler brièvement certaines caractéristiques.

Le régime local est d'abord un héritage historique ; il résulte de l'application des lois de Bismarck sur les assurances sociales lorsque les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle étaient intégrés à l'Empire allemand.

Après la Première Guerre mondiale, comme après la Seconde, les autorités françaises ont judicieusement décidé de ne pas faire table rase de cet héritage et ont, au contraire, permis de conserver les dispositions protectrices du droit local dans différents domaines, notamment lorsqu'elles étaient plus favorables pour les habitants.

C'était le cas de la couverture du risque maladie en 1945 au moment des ordonnances qui ont créé la sécurité sociale en France ; le régime local est alors devenu complémentaire au nouveau régime de base et est resté obligatoire, contrairement aux autres organismes complémentaires.

Aujourd'hui, 2,1 millions de personnes en bénéficient ; le régime s'appuie sur un principe contributif : ceux qui cotisent ou ont suffisamment cotisé y sont affiliés. Il couvre principalement les salariés du secteur privé, les retraités et les titulaires de certains autres revenus de remplacement, principalement les chômeurs. En sont donc exclus les fonctionnaires, les exploitants agricoles et les professions indépendantes.

La cotisation, assise uniquement sur la part salariale sans contribution de l'employeur, est identique pour tous les revenus mais des exonérations similaires à celles qui s'appliquent pour la CSG bénéficient aux retraités et aux chômeurs.

En outre, cette cotisation est déplafonnée, ce qui contribue au caractère très solidaire de notre régime et qui l'éloigne encore plus des caractéristiques des autres organismes complémentaires.

Enfin, l'une des particularités essentielles du régime local d'Alsace-Moselle est le rôle de son conseil d'administration qui, loin d'être une chambre d'enregistrement, joue un rôle déterminant.

Dans la limite des tarifs de la sécurité sociale, il détermine la liste des prestations prises en charge et le taux de leur remboursement : il a par exemple décidé de ne pas abonder le financement des médicaments à service médical rendu faible ou insuffisant.

En parallèle, il fixe les taux de cotisations, dans une fourchette comprise entre 0,75 % et 2,5 %.

Il a donc, plus généralement, un rôle en termes de gestion du risque et il a promu des expériences qui ne pouvaient l'être que du fait de l'autonomie dont il dispose, par exemple en ce qui concerne les médicaments ou la prévention.

Face à ces spécificités, l'article 1er de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi qui prévoit la généralisation d'une complémentaire santé à tous les salariés doit être articulé avec le fonctionnement du régime d'Alsace-Moselle.

En effet, là où le régime d'Alsace-Moselle prévoit un financement uniquement par l'assuré, la loi de sécurisation de l'emploi prévoit un financement pour moitié par l'employeur. Il y aurait donc un risque de rupture d'égalité entre les assurés qui financent intégralement leur assurance maladie complémentaire dans le régime d'Alsace-Moselle et ceux qui n'en paieront que la moitié, ailleurs sur le territoire national.

Le panier de prestations de la complémentaire santé du régime local est inférieur au panier minimal prévu par la loi pour la complémentaire d'entreprise. Les salariés qui bénéficient de celle-ci seront donc mieux couverts que ceux qui disposent de la seule assurance complémentaire du régime d'Alsace-Moselle.

Le rapport que le Gouvernement avait remis au Parlement en juin 2014 envisageait trois solutions pour résoudre la difficulté, solutions que nous avons examinées dans notre rapport de décembre dernier.

Soit l'employeur paye la différence entre l'assurance complémentaire locale et la complémentaire d'entreprise, soit on passe à un système de paiement moitié employeur, moitié salarié pour la complémentaire locale et alors -troisième hypothèse- on peut s'interroger sur une élévation du niveau de couverture.

La première solution présentée par le rapport gouvernemental serait de prévoir un paiement par le seul employeur pour la part de complémentaire santé d'entreprise qui dépasse celle prévue par le régime local. On ne changerait pas le financement de la complémentaire obligatoire du régime local et on prévoirait une règle spécifique pour les employeurs de salariés qui relèvent du régime d'Alsace-Moselle. Cette solution peut être mise en oeuvre par décret mais elle est cependant fragile du point de vue du respect du principe d'égalité.

Une autre solution serait donc de passer à un financement moitié employeur, moitié salarié de la complémentaire obligatoire assurée par le régime local. Ceci suppose cependant de faire un place aux employeurs au sein du conseil d'administration du régime et de déterminer quel sera le champ de leur compétence. Par exemple, interviendront-ils pour les seules décisions concernant les salariés ou pour toutes les décisions ?

Si l'on s'engage dans cette voie le rapport du Gouvernement envisageait aussi la possibilité de porter le niveau de la complémentaire santé du régime local au niveau du panier minimal de prestations prévu par la loi pour la complémentaire d'entreprise.

Les syndicats y sont favorables et cela aboutirait à faire de la complémentaire santé du régime local un substitut à la complémentaire d'entreprise prévue par la loi de sécurisation de l'emploi. Les entreprises qui voudraient offrir une meilleure assurance complémentaire à leurs salariés pourraient le faire sous la forme d'une sur-complémentaire.

L'introduction des employeurs dans le financement de la complémentaire santé du régime local suppose l'intervention du législateur et une réforme importante du fonctionnement du régime.

Le rapport que nous avons présenté avec André Reichardt et nos collègues députés souligne le risque juridique important que comporte ces trois solutions. En effet il convient de ne pas déstabiliser le régime local, ni de lui donner une place disproportionnée dans l'assurance complémentaire des salariés. Si le régime d'Alsace-Moselle devient un régime complémentaire obligatoire qui se substitue intégralement à la complémentaire d'entreprise, il y a un risque réel de rupture d'égalité par rapport au reste du pays.

Dès lors, notre rapport préconise d'appliquer strictement la loi dans le respect du cadre existant. La complémentaire locale payée par l'assuré sera inchangée et la complémentaire d'entreprise qui viendra s'y rajouter sera payée à 50 % par l'employeur. C'est, toutes analyses faites, la solution la plus simple et la plus sûre juridiquement.

Le Gouvernement a indiqué qu'il suivrait les recommandations du rapport pour que la couverture complémentaire en entreprise issue de la loi du 14 juin 2013 constitue un troisième étage de couverture par rapport à la protection apportée par les régimes de base et le régime local. Un décret en ce sens devrait être pris au premier trimestre 2016.

Je conclurai en soulignant qu'en 2011 le Conseil constitutionnel a consacré un nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République qui reconnaît la spécificité du régime d'Alsace-Moselle. Ce régime, qui a fait preuve de ses qualités de gestion, doit incontestablement s'adapter aux évolutions législatives, mais sans remise en cause fondamentale de ses caractéristiques.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Avec nos collègues députés, nous avons élaboré et déposé ce rapport de manière éminemment consensuelle. Je souligne que nous aurions tous souhaité que l'ensemble du dispositif, incluant le troisième étage de protection -ou panier minimal de soins- prévu par la loi du 14 juin 2013 puisse être pris en charge par le régime complémentaire d'Alsace-Moselle. C'est d'ailleurs ce que souhaitait le régime lui-même, l'ensemble des syndicats de salariés (à l'exception de FO) s'étant prononcés en ce sens. Nous étions en effet attachés à la préservation de la continuité et de la pérennité de la couverture complémentaire pour toutes les personnes concernées, quels que puissent être les aléas d'une carrière professionnelle (le régime d'Alsace-Moselle couvre en effet, outre les salariés, leurs ayants droits ainsi que les personnes sans activité, chômeurs comme retraités).

Cette solution n'a cependant pas pu être retenue en raison d'un double problème. Un problème d'ordre juridique tout d'abord, la jurisprudence constitutionnelle dite Somodia interdisant à notre régime local d'évoluer dans le sens d'une distanciation supplémentaire par rapport au droit commun. Un obstacle financier et gestionnaire ensuite : le surcoût de la mesure n'aurait pas pu être supporté par le régime complémentaire, puisque la gestion quotidienne de celui-ci est en fait assurée par les organismes de droit commun (caisses primaires d'assurance maladie et Urssaf) pour le recouvrement des cotisations et le versement des prestations. C'est pourquoi -loin de nous faire les fossoyeurs du régime local, comme d'aucuns l'ont prétendu-, dans le double souci de préserver le régime complémentaire d'Alsace-Moselle et d'étendre le bénéfice de la loi à ses bénéficiaires, nous n'avons pas eu d'autre choix que de préconiser le maintien du statu quo, moyennant l'introduction d'un troisième étage de protection complémentaire pour couvrir l'intégralité du panier de soins prévu par la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

Si je comprends bien vos explications, la solution que vous préconisez aboutira donc à un surcoût à la fois pour l'employeur, qui ne finance pas aujourd'hui la protection complémentaire des salariés, et pour les salariés, qui devront financer ce troisième étage en plus du régime déjà existant ? Dans ces conditions, n'aurait-il pas mieux valu laisser l'Alsace-Moselle en dehors de la réforme ? Je ne vois aucun intérêt pour personne dans cette solution.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

C'est ici une question d'ordre politique qui nous est posée. Une solution alternative avait été proposée l'année dernière par la commission d'harmonisation : élargir le périmètre du panier de soins pris en charge par le régime complémentaire local, et faire payer le surcoût par une cotisation des employeurs.

Votre proposition aboutira quant à elle à faire payer 86 % de leur couverture complémentaire par les salariés, et seulement 14 % par les employeurs. Il y aura donc inégalité par rapport au régime de droit commun, dans lequel est prévue une parité de financement ; gageons d'ailleurs que les employeurs du régime de droit commun s'interrogeront sur cette situation ! A ce titre, pourquoi n'avez-vous pas fait mention des risques énoncés par la note de la mission juridique du Conseil d'Etat, qui vous a été remise par la présidence du régime local ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

N'oublions pas que ce type de réforme est souvent très complexe à mettre en oeuvre pour les mutuelles - je parle là d'expérience professionnelle. Avez-vous pu procéder à une étude d'impact qui permette d'évaluer clairement le niveau final des différences entre les régimes de protection du droit commun et le régime local ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Tourenne

Je trouve quant à moi que votre proposition est intelligente, en ce qu'elle permet à la fois de préserver un régime local auquel les salariés sont attachés, et de garantir l'application de la loi dans le respect de la Constitution. Qui plus est, sans doute sera-t-il possible de déterminer par la négociation la hauteur à laquelle les employeurs pourront contribuer au financement du troisième étage de protection, ce qui pourra permettre de mettre en place un panier de soins plus large que le panier minimal prévu par la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Si l'on voulait parvenir à une situation identique sur l'ensemble du territoire français, il n'y aurait pas d'autre choix que de supprimer le régime local d'Alsace-Moselle ! Je ne suis pas choqué par le surcoût mis à la charge des salariés, dans la mesure où il sera la contrepartie d'une prestation supplémentaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Evelyne Yonnet

Comment la réforme que vous préconisez s'appliquera-t-elle aux personnes en inactivité, pour lesquelles il n'y a par définition pas de cotisations employeur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Roche

Cette réforme correspondrait en fait à la situation qui existe sur l'ensemble du territoire, avec une inversion aux deux derniers étages de la protection. Je m'explique : dans le droit commun résultant de la loi de 2013, des salariés n'ont pas pu conserver leur complémentaire initiale dès lors qu'est intervenu un accord de branche désignant un autre organisme ; dans ce cas, certains ont choisi de conserver cette complémentaire initiale comme complémentaire de leur complémentaire, en assurant eux-mêmes son financement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

Je crois aussi qu'il s'agit là de la solution la plus raisonnable, qui permet à la fois une adaptation du droit commun et un rapprochement du droit local. En matière de protection sociale, l'uniformité n'existe de toute façon pas sur notre territoire, et ne me paraît pas souhaitable ; en matière de complémentaire en particulier, c'est la diversité qui prévaut.

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

Il existe en effet une spécificité forte du régime local d'Alsace-Moselle, dont j'avais d'ailleurs souligné dans le rapport que je vous ai présenté en 2012 qu'il n'était sans doute pas transposable à l'ensemble du territoire français. N'oublions pas, notamment, qu'il permet d'assurer une protection de plusieurs catégories de personnes qui n'en bénéficient pas dans le droit commun.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

L'un des principaux problèmes réside dans le périmètre du panier de soins garanti par la loi de 2013, qui n'est aujourd'hui couvert qu'à hauteur de 70 % par le régime local. Nous n'avons malheureusement pas pu faire réaliser d'étude de coûts de la réforme à ce stade.

La solution que nous préconisons entraînera certes une différence avec le régime de droit commun, mais ce ne sera pas la seule : je vous rappelle que les habitants de l'Alsace-Moselle bénéficient par exemple de deux jours de congé supplémentaires. Cette inégalité de situation est protégée par la jurisprudence Somodia, à la condition qu'elle ne s'accroisse pas. Dans le cadre de la commission d'harmonisation, j'avais d'ailleurs demandé -avant d'en être débarqué- que les salariés d'Alsace-Moselle fassent l'objet d'un traitement qui permette de préserver les spécificités locales.

Je rappelle par ailleurs que si ces salariés sont attachés à cette caisse complémentaire, c'est parce qu'elle fonctionne bien : non seulement elle ne présente pas de déficit, mais encore la décision a été prise au cours des dernières années de baisser le niveau des cotisations !

Jusqu'à présent, les chômeurs et les retraités cotisent au régime local d'assurance maladie et bénéficient à ce titre de ses prestations. Il ne sera malheureusement pas possible demain, pour des raisons de constitutionnalité, de les faire cotiser davantage pour leur ouvrir le bénéfice de prestations supplémentaires.

La commission nomme M. Philippe Mouiller et de Mme Claire-Lise Campion, en qualité de rapporteurs sur la prise en charge des personnes handicapées dans des établissements situés en dehors du territoire français.

La réunion est levée à 11 h 10.