Intervention de Christophe Béchu

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 février 2016 à 9h05
Modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Christophe BéchuChristophe Béchu, rapporteur :

Cela est presque devenu une habitude : une campagne présidentielle débute par une proposition de loi organique tenant compte des remarques portées sur la précédente. Nous ne dérogeons pas à la règle avec ces deux textes qui nous viennent de M. Urvoas. L'un organique et l'autre ordinaire s'appuient sur les remarques du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), du Conseil constitutionnel, de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), de la Commission des sondages et du ministère de l'intérieur.

Certains points abordés sont mineurs, comme la suppression des commissions de contrôle des opérations de vote dans les villes de plus de 20 000 habitants compte tenu du doublon avec les délégués du Conseil constitutionnel, d'autres ne le sont pas.

Premier sujet majeur : les « parrainages ». Dorénavant, les « parrains », dont la liste est actualisée, enverraient eux-mêmes leur « parrainage » au Conseil constitutionnel, y compris ultérieurement par voie électronique, afin d'éviter la pression des « chasseurs de parrainages ». Les candidats n'assurant pas l'envoi, ils ne seraient pas au courant du nombre de « parrainages » en leur faveur. Le texte prévoit, en conséquence, que le Conseil constitutionnel rende public le nom des « parrains » deux fois par semaine. À mon sens, cette publicité n'atteint pas l'objectif d'alléger la pression sur les « parrains ». Il faut plutôt publier le nombre de « parrainages » sans donner de nom, la transparence étant totale dès lors que les 500 signatures sont atteintes. La réforme a pour but d'accroître la transparence, en précisant néanmoins que les noms des « parrains » ne seraient pas publics en deçà des 500 signatures requises. Elle doit éviter les grandes tragédies jouées devant les caméras autour de la difficulté à recueillir des signatures à cause des pressions.

Deuxième sujet, le temps de parole et l'accès aux médias. La campagne présidentielle se divise en trois temps médiatiques. Lors de la phase préliminaire, celle de la collecte des « parrainages », un principe d'équité s'applique. Ensuite, le Conseil constitutionnel publie la liste de ceux qui remplissent les conditions de candidature à l'élection présidentielle - notez qu'il s'agit de vérifier leur consentement et non de leur demander de déposer leur candidature. Une période intermédiaire, qui prend fin trois semaines avant le premier tour, s'ouvre alors. Jusqu'en 2017, elle ne durait que le temps d'un week-end : le vendredi, la liste des candidats était publiée ; le lundi, la campagne officielle était lancée. L'égalité des temps de parole prévaut alors mais cette égalité est particulière car elle est soumise à la liberté éditoriale. Certains candidats passent entre 12 h et 13 h, d'autres entre 3 h et 4 h. La campagne officielle, troisième phase, impose l'égalité au cours de tranches horaires de même intensité médiatique. En 2006, juste avant l'élection présidentielle de 2007, l'Assemblée nationale et le Sénat ont allongé la période intermédiaire, en anticipant la publication des « parrainages ». Depuis, le temps d'antenne moyen consacré à la politique a été divisé par deux. Les médias ont fait savoir que, s'il était souhaitable pour eux d'évoquer la campagne, les modalités étaient compliquées. Guy Carcassonne a écrit que « le principe d'égalité dans les médias produit un effet paradoxal : comme les grandes chaînes répugnent à donner trop longtemps la parole aux plus petits candidats, elles la leur comptent chichement et alignent les grands sur ce contingent modeste. Comme, néanmoins, il faut bien meubler les informations, une large place est alors donnée aux faits divers. » La solution est soit une équité bonifiée s'appuyant sur un temps de programmation et d'antenne comparables, soit le retour au système prévalant jusqu'en 2007.

Troisième sujet, les comptes de compagne. M. Urvoas a pour idée de réduire la période des comptes de campagne à six mois, c'est-à-dire de ne pas inclure les dépenses des candidats antérieures à cette période. Le champ des comptes de campagne pose problème, notamment au regard des élections primaires. Lors de l'élection précédente, le parti politique du Président de la République de l'époque a insisté pour que les dépenses de la primaire adverse y soient incluses. Le résultat est une cote mal taillée : l'ensemble des frais d'organisation des primaires n'est pas regardé comme des dépenses électorales mais comme relevant des partis politiques, seule une fraction des dépenses du candidat vainqueur est réintégrée dans les comptes de campagne - cela a représenté moins de 300 000 euros pour François Hollande.

La CNCCFP dénonce un système bancal. Fixer à six mois le début de la prise en compte des dépenses de campagne pousserait les partis à organiser leurs primaires auparavant. Cette position de Jean-Jacques Urvoas a poussé les députés à se demander pourquoi réduire ce délai à six mois pour l'élection majeure de ce pays et le conserver à douze mois pour les autres élections. La commission des lois de l'Assemblée nationale a donc voté le passage à six mois pour toutes les élections. En revanche, en séance publique, l'Assemblée nationale a souhaité rester à douze mois pour l'élection présidentielle et six mois pour toutes les autres. Preuve de la nécessité du bicamérisme pour bien légiférer, je vous propose de ne pas aborder les autres élections que l'élection présidentielle. Limiter le délai de la campagne à six mois paraît a priori séduisant. Pour autant, c'est réduire la période pendant laquelle il est possible de négocier un emprunt ou de trouver des recettes, ce qui peut être difficile pour des élections locales. En l'état, la meilleure solution est de passer ce délai à six mois pour la seule élection présidentielle et après 2017. Sans quoi, on prêterait à la majorité sénatoriale l'intention d'être exonérée de l'obligation d'intégrer les dépenses de la primaire et aux sénateurs de l'opposition sénatoriale le souhait que le Président de la République puisse faire campagne avec les moyens de l'État. Je proposerai, en outre, une précision sur le contrôle des dépenses des partis politiques pour le compte des candidats.

Enfin, l'horaire des opérations de vote. En 45 minutes, on peut extrapoler de manière très fiable les résultats des « bureaux test » à partir des premières centaines d'enveloppes. En revanche, les sondages à la sortie des urnes présentent une grosse marge d'erreur. La Commission des sondages estime que le décalage de deux heures entre la fermeture des premiers et des derniers bureaux est trop élevé : les nouveaux moyens de communication et les réseaux sociaux peuvent entraîner une mobilisation soudaine qui inverserait un écart entre des candidats tenant dans un mouchoir de poche.

Il y a quelques années, l'organisation du vote outre-mer avait déjà été modifiée pour éviter que les résultats de la métropole ne soient connus avant que les bureaux n'y ferment. Le ministère de l'intérieur a décidé de ne rien changer mais l'Assemblée nationale a repoussé à 19 h l'horaire des communes qui fermaient habituellement leurs bureaux à 18 h. Je propose la même heure pour tout le monde : 19 h. Il n'est pas agréable que certains changent leurs habitudes et d'autres non. Si l'on retient 20 h, les résultats ne seraient pas connus avant 21 h. En outre, le nombre de personnes qui votent entre 19 h et 20 h est très marginal. Plus les bureaux ferment tôt, plus l'abstention est faible : la participation est d'autant plus forte que la commune est petite. L'horaire tardif n'influe pas sur l'abstention. En fixant la fermeture à 19 h pour tous, nous ne serons pas pris au dépourvu dans cinq ou dix ans, si l'on nous explique qu'une heure de décalage est trop gênante car les résultats de sondage s'extrapolent en trente minutes. Les préfets ont déjà la faculté de fixer un horaire commun de fermeture pour les élections locales. Celui de l'Ariège l'a imposé pour les dernières élections européennes. Puisque tous les bureaux ouvrent à la même heure, pourquoi serait-il choquant qu'ils ferment tous de même ?

Je propose enfin de reprendre la proposition de loi issue des travaux de nos collègues Sueur et Portelli modernisant la loi de 1977 sur les sondages. Nous l'avions votée à l'unanimité en 2011, l'Assemblée nationale ne l'a toujours pas examinée. L'application du principe d'équité avec un temps d'antenne comparable doit reposer sur des sondages fiables, apportant une garantie supplémentaire du respect du pluralisme.

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