Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette intervention ne participera évidemment pas d’un exercice d’autosatisfaction.
C’est peu de dire que la mission « Enseignement scolaire » constitue un élément fondamental de mesure des choix politiques d’un gouvernement : l’école, c’est tout simplement le vécu quotidien de douze millions de jeunes de notre pays et c’est bien à l’aune de la qualité d’un système éducatif que l’on mesure la réalité du progrès social.
Si l’on sait agir pour la santé, pour l’école, pour le logement et pour répondre aux besoins des plus vulnérables, alors on mène une politique de progrès social.
Rapporteur spécial de la commission des finances, qui a adopté le rapport présenté par notre collègue Gérard Longuet, je ne peux partager la logique comptable qui préside, et ce de plus en plus, à la définition de la politique éducative de notre pays.
Nous trouvons, dans ce projet de budget pour 2010, la traduction brutale de cette logique comptable : suppression de 16 000 emplois ; précarisation renforcée des conditions de formation initiale des enseignants ; recherche permanente d’économies diverses tendant à comprimer autant que possible la dépense d’éducation – le débat sur le baccalauréat professionnel en trois ans en est une illustration.
En étant limité à un niveau inférieur à 60 milliards d’euros, le budget de l’enseignement scolaire n’échappe pas à la règle imposée : dans la logique gouvernementale, l’école, et singulièrement l’école publique, doit payer sa part dans l’effort de réduction des déficits, et tant pis pour nos jeunes !
Je le regrette, parce qu’on ne peut réduire la demande sociale d’apprentissage, d’enseignement, d’éducation à de quelconques moyennes, statistiques ou données chiffrées.
Vingt-cinq élèves dans une école du sixième arrondissement de Paris, même si celle-ci n’est pas forcément exempte de subir le processus de suppression de postes observé un peu partout, ce n’est pas pareil que vingt-cinq élèves dans une école du Val-Fourré, ou même vingt élèves dans une classe accueillant les enfants de différentes communes d’un même canton, dans le cadre d’une école de campagne fonctionnant en regroupement pédagogique intercommunal.
De mon point de vue, il faut à chaque fois partir du terrain et ne pas se contenter de la « règle à calcul », si facilement maniée par ceux qui décident des fermetures et ouvertures de classes.
Ce qui est vrai dans ce domaine, c’est que les quelques secteurs où l’on va constater une augmentation des effectifs des équipes éducatives, notamment lorsque le développement démographique l’exige, n’auront pas le nécessaire pour la mise à niveau de leurs moyens, tandis que les secteurs victimes des ajustements à la baisse se retrouveront dangereusement dépourvus. Par exemple, pour les postes qu’il faut créer dans les académies d’outre-mer ou dans celle de Montpellier, on est loin du compte !
Là où l’on ferme des écoles, où l’on réduit l’offre éducative dans les collèges et les lycées, les dégâts risquent fort de s’annoncer irréversibles, notamment dans les zones urbaines sensibles où jouent à plein les effets d’éviction découlant des politiques menées depuis plusieurs années.
Je souhaiterais faire état, ici, de notre légitime inquiétude devant la suppression progressive de la carte scolaire et les aménagements des rythmes scolaires, avec, entre autres, la suppression de l’école le samedi.
Comme on pouvait s’y attendre, la suppression progressive de la carte scolaire a favorisé les effets d’éviction, dont on pouvait craindre qu’ils ne se produisent dès l’annonce de l’expérimentation.
D’ores et déjà, des rapports mettent en évidence que, comme on pouvait le penser, les établissements présumés les plus « difficiles » ont perdu leurs élèves les plus brillants ou les mieux intégrés, phénomène qui permet à quelques établissements plus réputés de se donner bonne conscience tout en ghettoïsant un peu plus encore les établissements d’origine de ces élèves. Même la Cour des comptes le souligne !
En vérité, la mobilité des élèves, que la suppression de la carte scolaire est censée encourager, joue toujours dans le même sens et s’avère susceptible de justifier, demain – et même dès aujourd’hui, dans bien des cas –, la suppression de moyens humains et matériels dans les établissements délaissés. Il s’agit d’une sorte de mobilité asymétrique, que l’on peut rapprocher de la fongibilité asymétrique des crédits de personnel théorisée par la LOLF…
Ce que le Gouvernement attend d’ailleurs des parents d’élèves, c’est qu’ils contribuent « à l’insu de leur plein gré », par les choix et les options qu’ils auront finalement arrêtés eux-mêmes, à la maîtrise de la dépense publique pour l’éducation, dont d’aucuns se félicitent aujourd’hui.
La fermeture de l’école le samedi, alors même que les rythmes scolaires en France ne sont pas aussi insupportables que certains l’affirment et que le nombre de jours de classe y est souvent moins élevé qu’ailleurs – 140 jours de classe par an contre 185 en moyenne dans les pays de l’OCDE –, participe de la même logique.
Outre qu’elle ne change pas grand-chose à la vie des familles, cette fermeture de l’école le samedi permet quelques menues économies – en termes de décharges d’enseignement, par exemple – qui, mises bout à bout, finissent par constituer une source de réduction des dépenses budgétaires.
Je ne suis aucunement convaincu que ces choix politiques, qui trouvent leur traduction budgétaire dans le projet de loi de finances pour 2010, soient les plus propres à nous permettre d’atteindre les objectifs ambitieux de la loi Fillon pour l’avenir de l’école, singulièrement pour ce qui concerne le niveau de formation initiale des élèves. En tant que co-rapporteur spécial des crédits de l’enseignement scolaire, je pense même que c’est tout le contraire qui risque de se produire.
J’aurais pu également évoquer les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, dont l’efficacité, en termes de progression dans les acquisitions scolaires et d’amélioration des compétences cognitives, a été objectivement prouvée. Or vous décidez de ne pas pérenniser le dispositif et continuez de « bricoler » avec les accompagnants scolaires.
Tels sont les commentaires que je souhaitais faire à propos des crédits de la mission « Enseignement scolaire ». On l’aura compris, je n’invite pas le Sénat à aller dans le sens de la commission.