Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi, à titre liminaire, de regretter les conditions difficiles de préparation de mon avis sur le projet de budget de l’enseignement professionnel. Les documents budgétaires demeurent en effet déficients. Certains indicateurs de performance ne sont même pas renseignés. De plus, le ministère n’a pas été en mesure de me fournir en temps utile des données précises sur la rentrée de 2009.
Je me suis attachée, pour ce projet de budget, à faire notamment le point sur la mise en place du baccalauréat professionnel en trois ans. Je souhaite rappeler que je n’étais pas hostile, par principe, à la possibilité de conduire certains élèves en trois ans jusqu’au baccalauréat professionnel, mais que je m’étais inquiétée du sort des élèves les plus fragiles.
Je suis aujourd’hui convaincue que l’enseignement professionnel est profondément déstabilisé par l’onde de choc de la réforme. La précipitation avec laquelle elle a été menée et l’absence de doctrine pédagogique claire sont responsables des dysfonctionnements constatés dans les lycées.
C’est très net, par exemple, pour la mise en œuvre de l’accompagnement personnalisé. Laissés à eux-mêmes, les enseignants et les chefs d’établissement rencontrent de sérieuses difficultés d’organisation et de construction pédagogique.
Plus généralement, il faudra éviter deux écueils liés à l’extension de l’autonomie des établissements : d’abord, un risque majeur de rupture d’égalité entre les territoires et entre les élèves, que seul un cadre national fort permettra d’écarter ; ensuite, le danger d’une multiplication des marchandages entre les enseignants et les chefs d’établissement, qui ne peuvent que diviser les équipes éducatives et favoriser une concurrence stérile entre les projets.
La carte des formations est un enjeu crucial de la réforme. L’offre de CAP a été en effet accrue, afin d’absorber les flux dirigés jusqu’à présent vers le BEP. Mais cette stratégie ne doit pas conduire à une orientation excessive vers le CAP à l’issue de la troisième. Il serait particulièrement préjudiciable de restreindre d’emblée l’accès au baccalauréat, en le réservant à une minorité : cela risquerait de consolider les inégalités sociales dans l’accès à l’éducation et de freiner l’élévation du niveau général de qualification, à l’encontre des objectifs affichés par le Gouvernement.
De plus, il faudra porter une attention particulière aux élèves de troisième en difficulté, issus notamment de sections d’enseignement général et professionnel adapté – les SEGPA – ou de classes d’insertion : aucun d’entre eux ne doit être laissé de côté.
Enfin, la cohérence des formations doit être assurée : sur un même territoire, devraient coexister une offre de CAP et une offre de bacs professionnels dans des spécialités proches. L’efficacité des passerelles en dépend aussi étroitement : à défaut, les élèves ne se verraient pas offrir un véritable choix et opteraient pour le diplôme pouvant être préparé près de chez eux.
Le statut de la certification intermédiaire est le dernier point qui méritera une évaluation attentive. Le BEP est aujourd’hui un diplôme reconnu par les branches professionnelles et bien identifié par les entreprises, mais sa version rénovée et rebaptisée « certification intermédiaire » laisse planer beaucoup d’incertitudes, sans que l’on puisse prévoir la réaction des employeurs. L’articulation de la certification intermédiaire et des programmes scolaires menant au baccalauréat mérite d’être clarifiée. Le choix du contrôle en cours de formation peut remettre en cause l’égalité entre élèves et la valeur du diplôme.
J’évoquerai enfin la « mastérisation » de la formation des professeurs de lycée professionnel.
Le concours externe de recrutement ne sera plus ouvert, dans les spécialités professionnelles, aux candidats justifiant de huit ans de pratique professionnelle et d’un diplôme de niveau V. Cette fermeture du concours à des personnes peu qualifiées, mais bénéficiant d’une solide expérience, est injustifiée. Je demande donc le rétablissement de cette possibilité de présentation du concours de professeur de lycée professionnel supprimée par le décret du 28 juillet 2009.
Parallèlement à mon enquête sur la mise en œuvre du bac professionnel en trois ans, j’ai poursuivi l’évaluation des dispositifs de préparation à l’orientation mis en place au collège.
Les conditions d’une authentique éducation à l’orientation ne me semblent pas réunies. L’idée d’un parcours progressif tout au long du collège et du lycée n’est pas sans valeur, mais il faut admettre que les différentes séquences organisées actuellement de la cinquième à la troisième manquent de cohérence et présentent un intérêt limité. C’est pourquoi je reste convaincue qu’il faut prévoir un accompagnement dans la durée par un adulte référent, spécialement formé pour cela.
La mise en place d’adultes référents ne doit pas cependant se faire au détriment des conseillers d’orientation-psychologues, les COP, dont le statut et les missions doivent être confortés. L’action des COP est particulièrement précieuse, notamment auprès des élèves les plus fragiles. Je ne peux que m’inquiéter de l’extinction du recrutement des COP, alors même que leur effectif actuel est déjà trop bas. Je souhaite que cette tendance puisse s’inverser.
Devant la déstabilisation très réelle de la voie professionnelle et la déficience des dispositifs d’orientation, gouvernés par une logique utilitariste, je ne peux qu’émettre, à titre personnel, un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire ». §