Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre école ne va pas bien. Elle ne répond pas à nombre d’attentes, comme le prouvent la réalité de l’échec scolaire, trop lourd dans tous les cycles, et la multiplication des réformes auxquelles elle est soumise depuis quelques années, la dernière faisant toujours apparaître que la précédente n’avait pas atteint l’excellence…
L’enseignement scolaire, qui est au cœur de notre socle républicain, doit être une priorité nationale, et non pâtir d’arbitrages budgétaires. Si le budget de la mission « Enseignement scolaire » demeure le premier de l’État, il témoigne, comme les années précédentes, de peu d’ambition. Certes, il s’élèvera à 60, 84 milliards d’euros en crédits de paiement, contre 59, 9 milliards d’euros en 2009 et 59, 1 milliards d’euros en 2008, soit une hausse de 1, 5 %, mais ces crédits sont largement inférieurs à ceux qui étaient prévus au titre de la programmation pluriannuelle pour 2009-2011, soit quelque 63 milliards d’euros.
Ce projet de budget pour 2010 reste marqué par le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux : 16 000 suppressions d’emploi viendront s’ajouter aux 13 500 de 2009 et aux 11 200 de 2008. Depuis 2003, près de 45 000 postes ont été supprimés dans les collèges et les lycées, ce qui va à l’inverse de la poussée démographique qui se poursuit à l’école.
Les conséquences de cette situation sont lourdes pour le personnel, pour les élèves, ainsi que pour les conditions de travail, d’étude et d’enseignement, qui ne s’améliorent pas. Suppression des options, surcharge de classes, alourdissement de la charge de travail, baisse de l’offre éducative, remplacements non assurés, multiplication des heures supplémentaires et des compléments de service, non-scolarisation des enfants de deux ans, réduction des possibilités de formation professionnelle pour les enseignants : excusez cette litanie ! Un regard sur l’enseignement privé permet de constater que le principe de parité n’est pas respecté, puisqu’on supprime inégalement les postes dans le privé, que la loi Carle conforte encore en instaurant une relation marchande entre usager et commune, avec ou sans accord du maire.
Les mesures prises par M. Darcos dans le cadre de la réforme de l’enseignement primaire – semaine de quatre jours, évaluations, nouveaux programmes, stages de remise à niveau, accompagnement éducatif – suscitent bien des critiques. L’inspection générale a récemment pointé les perturbations de rythme, l’alourdissement des conditions de travail, la désorganisation des écoles par la multiplication des dispositifs hors et pendant le temps scolaire et les interrogations portant sur l’efficacité même du dispositif de l’aide personnalisée, quand les écoles qui rencontrent les plus grandes difficultés ne disposent d’aucun moyen supplémentaire.
Le démantèlement des RASED, dont l’efficacité a pourtant été prouvée, ou les incertitudes concernant les emplois vie scolaire ou les auxiliaires de vie scolaire, personnels indispensables à la scolarisation des enfants handicapés, ajoutent encore une note négative. L’absence de statut de ces intervenants, depuis longtemps dénoncée, les empêche d’être reconnus dans le monde de l’éducation, où ils atténuent pourtant les discriminations.
Les nouvelles évaluations nationales sont également sur la sellette : confusion sur la finalité des évaluations, calendrier inadapté, manque de concertation avec les enseignants, absence d’accompagnement des équipes. Ces constats sont partagés par les enseignants, les parents d’élèves et nombre d’autres acteurs de l’école.
Force est de constater, une fois de plus, que tout dispositif imposé dans la précipitation soulève de nombreuses difficultés.
Quant aux lycées, dont la réforme a déjà fait l’objet de débats, les persistantes mobilisations ont poussé le Gouvernement à répondre à des demandes fortes, s’agissant par exemple de la reconnaissance de la voie technologique – la technologie étant plus proche de la société que la science –, de la prise en compte de la diversité des publics scolarisés et du rééquilibrage des séries générales, avec une rénovation de la série L.
Quelques mesures nouvelles doivent être signalées.
En seconde, sont introduits deux enseignements d’exploration d’une durée hebdomadaire d’une heure et trente minutes chacun, dont au moins un enseignement d’économie, le second devant être choisi parmi diverses matières : sciences médicosociales, biotechnologies, littérature et monde contemporain, arts, etc. La nouvelle seconde a pour objectif de devenir une véritable classe de détermination.
La classe de première bénéficiera d’un ensemble d’enseignements communs – français, langues vivantes, histoire-géographie – représentant 60 % de l’emploi du temps et de stages « passerelle », censés permettre les corrections de trajectoire. Les lycéens auront désormais un droit à l’erreur et la possibilité de changer de série en cours de première. À cette fin, un tronc commun à toutes les filières est donc créé.
La classe de terminale offrira un choix élargi d’enseignements spécialisés pour projeter l’élève vers l’enseignement supérieur.
Tous les élèves pourront bénéficier d’un tutorat, et des groupes de compétences seront constitués au profit des élèves, qui bénéficieront de deux heures d’accompagnement individualisé par semaine, en seconde et en première. C’est peut-être la meilleure mesure, si les moyens affectés sont à la hauteur. Mais les modalités restent floues, et il reviendra aux établissements eux-mêmes de les définir. Toute tentative de confier aux établissements la gestion d’une partie de la dotation horaire, qui serait globalisée, ne fera que renforcer autonomie et mise en concurrence.
En outre, il reste des zones d’ombre, s’agissant en particulier de la formation des enseignants et de la prise en compte égalitaire bien affirmée des quatre voies du lycée : générale, professionnelle, technologique et agricole. L’un de mes collègues évoquera tout à l’heure l’enseignement agricole, dont le projet de budget fera l’objet d’un amendement. Les crédits destinés à financer les actions pédagogiques complémentaires à l’enseignement des langues vivantes et des technologies de l’information et de la communication à l’école ont baissé de moitié en une année, de même qu’ont été réduits les partenariats dans les domaines artistique, littéraire, culturel et scientifique.
Malgré quelques mesures intéressantes, cette réforme ne paraît guidée que par la volonté d’économiser des moyens. Ainsi s’accentue le caractère sélectif du lycée et se ferment les portes de l’enseignement supérieur aux lycéens qui ont le plus de difficultés.
L’aide aux élèves ne doit pas être renvoyée et résumée à un accompagnement personnalisé, assuré hors temps scolaire et financé par une réduction des horaires d’enseignement.
Le lycée professionnel est vraiment peu promu dans cette réforme. Le Président de la République a affirmé qu’il n’y aurait pas de nivellement par le bas, pas d’abaissement du niveau d’exigence. On en prend note ! Il n’est pas inutile qu’une exigence de qualité soit affirmée si elle s’accompagne de moyens supplémentaires, ce qui signifie pas de suppressions de postes, des pratiques pédagogiques plus étudiées en matière d’orientation et de parcours de formation, ainsi que l’élargissement de filières aujourd’hui insuffisamment ouvertes, au point que des élèves n’ont pu y trouver de place.
Quant à l’assouplissement de la carte scolaire, il a accentué les phénomènes de ghettoïsation et d’évitement de certains établissements. La réforme de la sectorisation a entraîné une perte d’effectifs – jusqu’à 10 % – et une concentration des élèves en difficulté dans nombre d’établissements, notamment ceux qui relèvent de l’éducation prioritaire.
Pis encore, au mépris des constats sur les effets positifs d’une scolarisation précoce, le désengagement de l’État à l’égard des plus petits se traduit par la création des jardins d’éveil, nouvelles structures d’accueil des enfants de deux à trois ans. Celles-ci ne sauraient remplacer l’école. Le jardin d’éveil, forme de halte-garderie sans grande ambition éducative, va soustraire les enfants les plus fragiles à un premier lieu de socialisation et d’éducation.
Avec la disparition programmée des instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM, et la « mastérisation », on peut légitimement s’interroger sur les moyens qui seront consacrés à la formation des enseignants. Le principe de base est de relever le niveau de recrutement de bac+3 à bac+5. Mais le Gouvernement veut surtout, on le dit moins, revenir à une formation disciplinaire et à la certitude que ce métier s’apprend. Les enseignants se formeront sur le terrain. Cependant, rien, dans le détail, n’est bien établi, en particulier la définition des masters qui seront préparés par ces étudiants. Les jeunes professeurs risquent d’arriver fort démunis devant leurs élèves.
L’école subit une crise qui suit l’évolution des connaissances nécessaires à l’entrée dans la vie. Dans cette perspective, il faut lui donner les moyens de réhabiliter l’ascenseur social, grippé par des inégalités criantes, par des disparités qui sautent aux yeux dès le départ, mais qui sont tolérées d’abord, et aggravées ensuite ; il faut aussi reconsidérer les savoirs professionnels, qui méritent mieux que l’intérêt qu’on leur porte actuellement.
L’école publique doit être considérée non pas comme une charge, mais comme un investissement pour l’avenir. La politique de restriction budgétaire menée selon une logique purement comptable, alors qu’il s’agit d’un pilier essentiel de notre République et d’un instrument majeur de l’égalité des chances – toujours réaffirmée, mais toujours plus lointaine –, affiche sans complexe votre volonté de faire de l’école une machine à sélectionner, avec une stratégie éducative de tri social : réussite pour les uns, avenir incertain, réduit au minimum, pour les autres.
L’État doit développer une offre de qualité, diversifiée et répartie sur l’ensemble du territoire. Oubliant cette obligation essentielle, le système éducatif peine à réduire les inégalités sociales.
Au moment où l’on parle d’identité nationale, l’école doit donner une densité nationale à tous ses élèves, surtout là où la nationalité est découplée ; elle doit marquer la volonté du « vivre ensemble », que Renan appelait fort justement et joliment le « plébiscite permanent ». On peut craindre, au contraire, que votre école ne porte en elle les prémices d’une école à deux vitesses, ce qui va à l’encontre des objectifs de l’école républicaine.
Tout cela nous conduira à ne pas voter les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».