Lors de votre audition par la commission, monsieur le ministre, vous avez même reconnu l’existence de certains dysfonctionnements, mais vous n’en avez pas tiré les conséquences dans l’élaboration de votre projet de budget.
Vous avez aussi rendu hommage « à la politique de gestion des ressources humaines de l’éducation nationale, qui participe à l’effort de redressement des finances publiques de l’État ». Malheureusement, nos conceptions de l’effort à réaliser en matière de gestion du personnel divergent considérablement.
Vous vous placez dans la logique de la RGPP. Pour ma part, je la déplore, même si une rationalisation de la gestion des ressources humaines est un principe comptable à respecter –encore faut-il savoir au service de quels objectifs.
J’estime que l’effort budgétaire devrait justement porter sur le personnel, avec une ouverture du robinet des recrutements, de la formation et de la titularisation des contractuels. Il devrait aussi permettre de tourner davantage l’école, le collège et le lycée vers des activités complémentaires : partenariats culturels, scientifiques, artistiques ou éducation à la santé et à l’environnement.
Il est vrai que l’on ne peut pas reprocher son immobilisme au gouvernement auquel vous appartenez. L’examen du projet de loi de finances intervient en effet dans un contexte de réformes tous azimuts. Conduites dans la précipitation, en particulier depuis un an, celles-ci ne vont pas sans provoquer oppositions et incompréhensions, dans le monde enseignant comme dans les familles.
Vous avez lancé conjointement, au cours de l’année qui vient de s’écouler, plusieurs réformes de taille : à l’école primaire, le service minimum d’accueil, les nouveaux programmes, la semaine des quatre jours et un dispositif d’accompagnement scolaire personnalisé des élèves parallèlement à la suppression, dite « sédentarisation », des postes affectés aux RASED ; au collège, l’aide au devoir ; au lycée, la réforme des programmes avec pour objectif de conduire 50 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur, la rénovation de la voie professionnelle, le bac professionnel en trois ans, ainsi que l’amélioration des passerelles entre les différentes voies de l’enseignement secondaire, sans oublier la réforme des IUFM et celle des enseignements artistiques.
Ces réformes semblent plutôt creuser les inégalités. Sans pour autant dresser un catalogue à la Prévert des points noirs de votre budget, je voudrais évoquer plus longuement ceux qui me préoccupent. Mes collègues du groupe du RDSE compléteront ces interrogations par deux questions complémentaires, relatives au manque criant de remplaçants et à la carte scolaire.
Permettez-moi de commencer ma démonstration avec les emplois vie scolaire et les auxiliaires de vie scolaire. Le sort qui leur est réservé est symptomatique des effets d’annonce du Gouvernement.
Le nombre d’enfants handicapés accueillis en école banalisée n’a cessé d’augmenter, atteignant 185 000 élèves en 2009. Cependant, vos orientations budgétaires sont insuffisantes pour rendre possible cet accueil dans des conditions décentes.
Environ 1 300 accompagnants ont été licenciés en août dernier, à la fin de leur contrat. Vous nous avez affirmé avoir pérennisé les 17 000 contrats existants, mais il ne s’agira pas des mêmes personnes physiques. Je regrette que les compétences acquises se soient ainsi perdues dans la nature.
Se pose aussi la question des moyens qui pourraient être consacrés à la formation professionnelle. En effet, on n’intègre pas des enfants en difficulté avec du personnel qui n’est pas formé. Il est devenu urgent de mettre en place un véritable statut professionnel. Lui seul permettra de garantir un service d’accompagnement compétent et de qualité pour les enfants concernés.
J’en viens maintenant à la question des réseaux d’aide aux enfants en difficulté. Ils sont, eux aussi, traités selon la logique de la RGPP.
Comme je l’avais déjà exposé lors de l’examen des crédits de la mission pour 2009, le soutien scolaire ne peut pas remplacer le travail spécifique effectué par ces personnels spécialisés. Une équipe de chercheurs de l’université Paris-Descartes a d’ailleurs présenté les résultats d’une analyse comparative portant sur l’efficacité des aides personnalisées et des aides spécialisées du type de celle qui est apportée par les RASED.
Les aides personnalisées correspondent à deux heures hebdomadaires de soutien scolaire et permettent la révision de notions non acquises. Cette étude conclut que 20 % des élèves font effectivement des progrès grâce à cette méthode.
Les aides dispensées par les enseignants spécialisés des RASED sont beaucoup plus diversifiées et complexes. Parmi les élèves ayant bénéficié de cette forme d’aide, 70 % font des progrès, non seulement en matière d’acquisitions scolaires, mais également dans le domaine des compétences cognitives, sociales et relationnelles.
Les chercheurs concluent que « la nature de la réponse institutionnelle apportée à la difficulté scolaire a des conséquences directes sur la nature et les finalités de l’école. L’école doit-elle permettre aux élèves d’utiliser des notions de base telles que la lecture, l’écriture et le calcul ou doit-elle également former des citoyens capables de vivre dans une société, d’y apporter une contribution personnelle, de développer leurs compétences et leurs talents ? » Je crois que tout est dit !
Permettez-moi d’évoquer la question des autres personnels spécialisés, dont le recrutement est insuffisant : je veux parler des infirmiers, des médecins ou encore des psychologues scolaires. Comment comptez-vous améliorer la prévention en matière de santé, ainsi que l’écoute des enfants et des adolescents, en dehors du cadre strict de la classe, sans y consacrer plus de moyens humains, et donc financiers ? La question reste en suspens…
L’adéquation des compétences du personnel se pose également en ce qui concerne les enseignements artistiques. Avec le recul, il s’avère que confier ces enseignements aux professeurs d’histoire-géographie est inapproprié, le programme de ces disciplines étant déjà très chargé. Il faut franchir une étape supplémentaire, en mettant en place un programme à part entière et en recrutant des enseignants spécialisés. Garantir l’égalité d’accès à la culture pour tous par le biais de l’école est à ce prix. Comme je l’ai d’ailleurs déjà indiqué vendredi au ministre de la culture, il ne suffit pas de prendre des engagements, les moyens doivent suivre.
Comme l’affirme l’académicien Pierre Rosenberg, « l’histoire de l’art est peut-être l’une des meilleures idées de ces dernières années, encore faudrait-il que le ministère se donne les moyens de dispenser un enseignement de qualité plutôt qu’une culture du saupoudrage. C’est une discipline à part entière, l’enseigner est un métier qu’on apprend, on ne s’improvise pas professeur d’histoire de l’art. »
Venons-en à la réforme des IUFM et à la « mastérisation » de la formation des enseignants, qui sera effective en 2011. Mes chers collègues, je vous prie d’excuser le côté répétitif de mes interventions, mais Mme Pécresse ne m’a pas répondu sur ce point hier.
Rapatrier les IUFM au sein des facultés et créer des masters pour revaloriser le diplôme, soit ! Cependant, le contenu est inadapté à la réalité de ce métier, qui nécessite, d’une part, la maîtrise de connaissances polyvalentes, et, d’autre part, une formation à la dimension didactique et pédagogique de la profession, permettant la prise en charge d’une classe.
Par ailleurs, je m’oppose farouchement à la suppression de l’année de stage rémunérée, tout comme au fait que les enseignements soient essentiellement théoriques.
La formation professionnelle des enseignants devrait désormais être placée sous la responsabilité de l’université. Or, selon l’université et le parcours choisis, elle ne sera pas organisée dans les mêmes conditions, ce qui engendrera une véritable fracture territoriale. Se pose aussi le problème des IUFM installés dans des villes moyennes où n’existe pas d’université. Que deviendront ces établissements ?
La rupture d’égalité, je la constate aussi au vu de la différence de traitement entre l’enseignement privé et l’enseignement public. Ainsi, les suppressions de postes au titre du projet de budget pour 2010 interviendront lorsque la diminution d’effectifs sera de soixante-seize élèves dans l’enseignement privé, contre seulement trente-six élèves dans l’enseignement public. Cela se passe de commentaires…
Concernant l’accueil de la petite enfance, point dont nous avons déjà eu à débattre grâce à une question orale posée par notre collègue Françoise Cartron en octobre dernier, la réponse apportée n’est pas satisfaisante. Je regrette vivement que davantage de moyens ne soient pas mobilisés pour financer un service public d’accueil gratuit, notamment par la scolarisation en maternelle à partir de deux ans.
Pour terminer sur une touche positive, j’évoquerai rapidement l’initiative heureuse lancée en faveur de l’école numérique rurale en 2009. Cette opération est destinée à attribuer aux communes de moins de 2 000 habitants un crédit de 10 000 euros en vue d’acquérir du matériel informatique pour équiper leurs écoles. Cette opération, limitée à un quota de 5 000 dossiers, a connu un très vif succès, avec plus de 8 000 candidatures déclarées. Monsieur le ministre, comptez-vous pérenniser cette opération ? Si oui, de quelle façon ?
En conclusion, les membres du groupe du RDSE déplorent la précipitation dans laquelle sont conduites toutes ces reformes et vous demandent de prendre désormais du temps pour l’évaluation, afin de permettre les ajustements nécessaires en concertation avec les personnes concernées.
Par ailleurs, nous serons particulièrement attentifs aux questions relatives à la laïcité dans l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur.
Eu égard aux insuffisances relevées, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».