Intervention de Patricia Schillinger

Réunion du 17 février 2016 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 18 et 19 février 2016

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, crise grecque, crise migratoire, terrorisme : autant de périls qui ont révélé les lacunes de l’Europe libérale.

Rongée en son sein par la montée des extrémismes, la tentation du repli sur soi, le déficit de confiance et de solidarité, l’Europe est en proie à une véritable crise existentielle. Aussi, le combat européen qui devra être mené cette année devra l’être, nécessairement, sur tous les fronts.

Alors que l’Europe fait face à une crise migratoire sans précédent, elle s’est révélée incapable de faire respecter le simple droit humanitaire d’aide aux personnes vulnérables. Faute de solidarité entre les États membres, elle ne parvient pas à respecter la feuille de route qu’elle s’est fixée aux mois de septembre et de décembre 2015.

Premières victimes de cette mésentente : les enfants. En effet, près de 10 000 enfants migrants, non accompagnés, seraient actuellement portés disparus selon Europol. Seuls, ils font des cibles idéales pour les groupes criminels spécialisés dans la traite d’êtres humains. Nous devons améliorer l’identification de ces mineurs et leur protection.

La réponse à ce problème passe nécessairement par le rétablissement des conditions de fonctionnement de l’espace Schengen, qui doit être la première priorité de ce Conseil européen.

La stratégie proposée par le gouvernement français est la bonne : seule une réelle maîtrise du contrôle et de la gestion des flux migratoires aux frontières de l’Union peut nous permettre de sortir de cette situation.

Nous avons une responsabilité commune : le renforcement des frontières extérieures de l’Union européenne, aux fins tant d’un meilleur accueil des migrants que de la lutte contre le terrorisme. Il est illusoire de penser pouvoir assumer ces flux seuls – nous n’avons d’autre choix que de le faire ensemble –, comme il est illusoire de prétendre y remédier en fermant nos frontières.

Les décisions prises en septembre dernier en matière de relocalisation doivent s’appliquer sans délai ; les centres d’enregistrement doivent être rapidement multipliés ; leur financement doit être clarifié et renforcé.

Le maintien du contrôle aux frontières intérieures de Schengen n’est pas un objectif, mais une solution transitoire, que seul un renforcement significatif du contrôle aux frontières extérieures de l’Union, avec la création, d’ici le mois de juin, d’un corps européen de gardes-frontières, pourra lever.

Les États membres doivent sans plus attendre prendre leurs responsabilités. Le coût de leur désunion sera plus élevé que celui de la gestion commune des crises. Ils devront tout faire, d’ici la fin du mois d’avril, pour offrir les garanties nécessaires au rétablissement du fonctionnement de Schengen.

L’urgence est donc extrême. Il nous paraît essentiel que le Conseil européen qui s’ouvre demain ne se contente pas de confirmer les décisions prises depuis septembre, mais établisse également un calendrier de mise en œuvre, d’ici au mois de juin, des engagements forts pris par les États membres.

Concernant la situation du Royaume-Uni vis-à-vis de l’Union, une solution est bien sûr souhaitable, mais pas à n’importe quel prix.

Face au risque d’éclatement, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a présenté, le 2 février dernier, un projet d’accord, rédigé sur la base de ce que le Royaume-Uni considère comme des améliorations du fonctionnement de l’Union européenne. Cette proposition est certes présentée comme l’offre maximale possible de l’Union au Royaume-Uni, mais les conséquences d’un tel accord seraient, en l’état, loin d’être anodines.

Premièrement, cet accord présente un risque d’affaiblissement du projet européen. Les dangers encourus sont ceux de la création d’un appel d’air, de la reconnaissance d’une dissociation des objectifs visés par les États membres au sein de l’Union, d’un traitement différencié des citoyens européens – ceux-ci ne seraient alors plus égaux en droits – et d’une préemption du processus législatif qui pourrait notamment affaiblir le Parlement européen.

Deuxièmement, sous couvert de nouvel opt out, ces demandes engageraient en réalité toute l’Europe.

Troisièmement, les propositions qui sont faites ne contiennent aucune obligation de réciprocité de la part du Royaume-Uni.

Enfin, rien ne garantit, par définition, l’issue du référendum britannique qui devrait avoir lieu le 23 juin 2016, ce qui ouvre une période de fortes incertitudes.

Quant au principe du « carton rouge », il existe déjà, mais comme outil de dernier recours. Ce que propose David Cameron, c’est qu’il devienne un droit de veto de premier recours, au risque de menacer l’équilibre institutionnel du processus législatif européen, en particulier au détriment du Parlement européen.

Ce n’est clairement pas de cette façon que nous concevons le contrôle parlementaire : plutôt que de nous opposer, nous préférons bâtir et avancer. Nous soutenons donc la proposition d’un droit d’initiative des parlements européens. Son adoption constituerait un signal fort lancé par les Vingt-Huit, qui donneraient ainsi l’image d’une Europe qui se réforme et dont la construction se poursuit.

Il est évident que nous ne partageons pas la conception que se fait le Premier ministre du Royaume-Uni de ce que doit être une Europe réformée. Le Royaume-Uni, au fil des décennies, a pourtant déjà obtenu de multiples clauses d’opt out l’exemptant des principales politiques qui font l’Union. Ses nouvelles demandes, sous couvert de nouvelles mesures d’exemption, s’attaquent en réalité directement au projet européen. Dès lors que ces risques ne sont pas levés, nous ne sommes pas prêts à un accord à n’importe quel prix.

Pour autant, ce Conseil européen et, plus largement, la période qui s’ouvre jusqu’au référendum de juin doivent, à notre sens, être conçus comme une opportunité. Le « dialogue » engagé avec le Royaume-Uni doit être une occasion majeure non pas de dénaturer, voire de détricoter, l’Union, mais de réaffirmer nos principes et nos projets pour l’Europe.

L’année 2016 sera cruciale, mais aussi une année de transition. S’il est un mot à retenir de la dernière déclaration de Jean-Claude Juncker, c’est celui de « persévérance » et s’il faut démontrer une chose cette année, c’est bien que l’Europe n’est pas seulement secouée par des crises, mais qu’elle avance : elle seule peut porter les projets susceptibles de garantir protection et croissance.

Nous devons aujourd’hui rappeler une vérité fondamentale, à laquelle je crois : ce qui nous réunit – monnaie, frontières, marché intérieur, échanges économiques, Erasmus, investissements, infrastructures communes – est plus fort que ce qui nous divise. L’Europe ne doit pas être perçue comme une menace, mais comme une chance et comme un rempart contre les inégalités. Il ne s’agit pas seulement de préserver l’Europe telle qu’elle est, mais telle qu’elle peut être, c’est-à-dire porteuse de nouveaux projets.

Les réponses aux défis immenses qui sont aujourd’hui à relever devront respecter une seule condition : la poursuite de nos projets pour l’Europe, d’autant que deux des crises que nous connaissons sont le résultat de projets européens inachevés – Schengen et la zone euro. Le contexte présent et les échéances à venir appellent à les réaffirmer.

Nous devons ainsi poursuivre le renforcement de la zone euro. Celui-ci passera par la mise en place d’une réelle convergence fiscale et sociale, d’une véritable coordination des politiques économiques, et par la création d’un Parlement de la zone euro, doté d’une capacité budgétaire et d’investissement.

L’année 2016 pourrait également être une année clé pour le renforcement de la dimension sociale de l’Union économique et monétaire, avec la présentation par la Commission européenne des paquets législatifs « Mobilité sociale » et « Socle de droits sociaux minimaux ».

Il nous faut donc relancer et renforcer le projet européen.

Face aux défis migratoires, sécuritaires et économiques, dans un environnement mondialisé et multipolaire, ceux qui prennent des risques sont en définitive ceux que tente une autre aventure que l’aventure de l’Europe.

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