Dans sa réponse aux voeux du président de la République, le président Debré a évoqué plusieurs évolutions possibles : le contrôle de la conventionnalité, un droit de saisine des autorités administratives indépendantes, et la question des membres de droit, les anciens présidents de la République.
Sur la conventionnalité, je défends une position classique. Certains pays ont une juridiction administrative qui n'est pas distincte du judiciaire et une cour suprême, ce qui n'est pas le cas de la France. Il faut tenir compte de nos réalités institutionnelles, mais les concilier avec l'importance croissance de la norme internationale, et singulièrement européenne. Le Conseil constitutionnel laisse le contrôle de conventionnalité à d'autres juridictions ; certains veulent le lui confier, cela pourrait se faire par décision prétorienne.
Pour ma part, je suis favorable au « dialogue des juges », comme dit, par opposition à la notion de « gouvernement des juges », le président Bruno Genevois, secrétaire général du Conseil constitutionnel puis président de la section du contentieux du Conseil d'État. Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel d'exercer le contrôle de conventionnalité mais il convient de prendre en compte l'importance de la législation européenne à travers ce dialogue des juges : c'est une réponse pragmatique et, me semble-t-il, juste. Cela n'empêche pas les évolutions, puisque le Conseil constitutionnel a renvoyé à une juridiction européenne une question qui lui avait été posée. Il faut utiliser cette souplesse, tout en restant, sur le principe, au contrôle de constitutionnalité.
Je vous sais gré, madame Tasca, de votre appréciation sur mon action diplomatique. Le rayonnement du droit français est une préoccupation à prendre en compte, dans notre monde compétitif où la norme est de plus en plus souvent anglo-saxonne. Il importe d'étendre et de défendre, sans arrogance, notre droit en faisant apparaître la qualité de ses solutions. Mon expérience précédente peut m'être utile dans ce domaine.
Il conviendra de faire un bilan de la QPC ; ce pourrait être pour les dix ans de la réforme constitutionnelle qui l'a instituée, soit en 2018. C'est un progrès indiscutable, donnant des droits nouveaux au citoyen et soumettant à l'examen de constitutionnalité des éléments qui y échappaient jusqu'alors. Le nombre de questions soumises a été très élevé avant une stabilisation naturelle, avec pour conséquence un surcroît de travail : 70 à 75 QPC par an, sur des questions souvent complexes, qui demandent une réponse dans les trois mois - un délai presque toujours respecté par le Conseil constitutionnel. Pour le moment, ce travail est mené à bien de manière satisfaisante.
Au premier abord, je ne suis pas favorable à une saisine du Conseil constitutionnel par les autorités administratives indépendantes. D'abord, elles ne sauraient être assimilées au Parlement ; ensuite, il convient de ne pas trop charger la barque du Conseil. Les QPC rencontrent un succès considérable, surtout dans les affaires les plus retentissantes ; mais, fidèle au principe de juger les affaires extraordinaires de manière ordinaire, j'estime que cela n'appelle pas de bouleversement dans l'organisation de l'instance. Le Conseil a su rendre, sur des QPC, des décisions qui ont pu surprendre mais étaient pragmatiques, jugeant par exemple qu'il convenait de continuer à appliquer, de façon transitoire, les conditions pourtant inconstitutionnelles de la garde à vue.
Vous m'interrogez, monsieur Vasselle, sur d'éventuelles décisions d'opportunité du Conseil constitutionnel. En prolongeant votre question, on peut se demander si le Conseil est une institution politique ! Ses décisions ont en tout cas une portée politique, et il convient d'éviter que le droit soit inopportun... Aux qualités d'indépendance, d'expérience et de compétence du juge constitutionnel il faut ajouter le bon sens, dont je ne sais s'il peut être assimilé à l'opportunité. Quoi qu'il en soit, on ne peut tordre le droit, et la première mission du Conseil constitutionnel reste de vérifier la conformité à la Constitution. Dans son discours à la jeunesse de 1903, Jaurès a donné du courage la définition suivante : « aller à l'idéal et comprendre le réel ». Je dirai à sa suite qu'il faut respecter le droit et comprendre le réel ; mais le droit reste le droit. Il est certes plus facile de vous en convaincre que de persuader l'opinion publique.
Je ne puis me prononcer à l'avance sur la question du dernier mot, longuement débattue lors de la discussion sur la loi relative au cumul des mandats. Pour les uns, la loi étant relative au Sénat, elle devait être votée conforme par celui-ci. Pour les autres, et c'est le point de vue qui a prévalu, les dispositions du texte concernant les deux assemblées, il ne devait pas être considéré comme une « loi organique relative au Sénat ». Au-delà de ces controverses, il appartient au Conseil constitutionnel de faire en sorte que le Sénat, qui apporte sa philosophie et son approche singulières sur certains sujets, soit entendu et respecté.