Intervention de Laurent Fabius

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 février 2016 à 10h05
Article 13 de la constitution — Audition de M. Laurent Fabius candidat proposé par le président de la république pour siéger au conseil constitutionnel

Laurent Fabius, candidat proposé par le Président de la République pour siéger au Conseil constitutionnel :

La QPC repose sur des conditions strictes : l'applicabilité de la loi au litige, l'absence de déclaration préalable de conformité et le caractère sérieux ou nouveau de la question, la troisième condition ayant pour objet d'éviter les manoeuvres dilatoires. Un équilibre semble avoir été trouvé. Après des réticences initiales, la Cour de cassation assure un filtrage satisfaisant. Les délais d'examen sont respectés. Un droit nouveau a été ouvert, mais sans que cette ouverture soit excessive.

Il ne me semble pas opportun de lier le chiffre de soixante parlementaires à la notion de groupes, qui reste très relative... Un chiffre doit être fixé indépendamment de situations politiques par nature changeantes. En ces matières, la décision appartient au constituant. Je reprendrai votre formule, monsieur Mézard : ni espoir, ni désespoir !

L'institution américaine de la Cour suprême est le produit d'une tradition très différente. En France, ce modèle impliquerait une fusion de la Cour de cassation et du Conseil d'État, rattachés au Conseil constitutionnel... L'équilibre français me paraît satisfaisant.

Les décisions de la Cour de cassation touchant à la notion de liberté individuelle n'appellent pas de commentaire de ma part. J'ai conscience de l'attachement du Sénat et de votre commission, et de la valeur de votre contribution, à la protection des libertés publiques. Témoins, le rôle remarquable de votre assemblée pour inscrire les activités de renseignement dans le cadre des principes juridiques fondateurs et vos discussions lors des deux lois de prorogation de l'état d'urgence. Ces préoccupations sont au coeur de l'activité du Conseil constitutionnel.

Le respect des délais d'examen des QPC par la Cour de cassation et le Conseil d'État d'une part, le Conseil constitutionnel d'autre part n'empêche pas la vigilance. Du côté de la juridiction administrative, l'affaire ne sera pas instruite tant que la question du contrôle ne sera pas résolue. Dans l'ordre judiciaire, les audiencements semblent avoir été perturbés mais aucune difficulté particulière ne m'a été signalée.

Les études d'impact doivent être conduites dans le cadre défini par la loi. Le Conseil constitutionnel a du travail mais, à ma connaissance, aucun de ses membres ne fait preuve de mauvaise volonté... Quant à moi, je n'ai pas la réputation de ne pas remplir pleinement les fonctions qu'on me confie - on me reprocherait plutôt le contraire ! Enfin, je ne vois pas à quels déjeuners vous faites allusion, monsieur Portelli. Nous sommes dans une société ouverte où un salut ne peut être tenu pour une atteinte à l'indépendance ! Quelqu'un a dit que les membres du Conseil constitutionnel n'ont rien à attendre, ni à redouter : voilà un bon adjuvant à cette indépendance.

Naturellement, je ne siégerai pas lorsque notre instance examinera une loi que j'ai portée ; toutefois, la jurisprudence n'appelle pas un déport automatique qui serait difficile à mettre en oeuvre, compte tenu de la composition du Conseil constitutionnel. Sur les QPC, la règle dit qu'en cas de demande de révocation par l'une des parties, le membre visé se déporte ou, s'il ne le souhaite pas, les autres membres du collège en décident. La décision doit être juste, mais aussi perçue comme telle.

La loi votée directement par le peuple français possède une force particulière dont il faut tenir compte dans le contrôle. Il serait difficile de revenir sur cette approche. L'expression directe a une force particulière. Dès lors que le Conseil constitutionnel sera probablement saisi des textes d'application de la réforme constitutionnelle, je ne saurais me prononcer devant vous sous peine de me trouver en porte-à-faux. Ces questions seront examinées au regard de la défense des libertés publiques et des nécessités de l'État, tout particulièrement dans les périodes les plus difficiles.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion