Madame la présidente, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, traditionnellement, notre débat fiscal se concentre plutôt sur les textes financiers ; l’approbation des conventions fiscales bilatérales par le Parlement est moins commentée.
Pourtant, ce réseau de conventions est un élément constitutif majeur de notre fiscalité ; son importance est encore plus grande que par le passé dans une économie globalisée, où l’on relève de nombreux flux financiers transfrontaliers et où un nombre croissant de contribuables sont concernés par les frontières fiscales en raison de leur domicile, de leur activité professionnelle ou encore de l’origine de leurs revenus.
Les conventions fiscales visent à assurer à ces contribuables un traitement équitable et sans formalités excessives, sans pour autant sacrifier nos recettes et tout en prêtant la plus grande attention au risque de fraude.
Les deux accords qui vous sont présentés aujourd’hui sont emblématiques de cette démarche.
Le premier texte que je vous présente à cet instant est le projet de loi d’approbation de la nouvelle convention fiscale entre la France et Singapour. Nos deux pays étaient liés par une convention fiscale du 9 septembre 1974. Une modernisation en profondeur est cependant apparue nécessaire pour plusieurs raisons : l’intensité accrue des échanges économiques entre les deux pays, l’existence dans le texte de 1974 de stipulations coûteuses pour le Trésor français et l’absence de dispositif anti-abus.
Les négociations ont conduit au paraphe d’une première version le 20 juin 2011. Les derniers travaux d’actualisation ont été conduits entre les deux parties, aboutissant à un accord sur un texte complet le 8 janvier 2015. Le nouvel accord a été signé par Michel Sapin lors d’un voyage officiel le 15 janvier 2015.
Ce nouveau texte est pleinement conforme aux normes internationales les plus récentes. Il représente par ailleurs un progrès significatif pour les acteurs économiques de divers secteurs opérant entre la France et Singapour. Ce sont les deux points sur lesquels j’aimerais revenir.
Tout d’abord, sur le premier point, celui de la lutte contre l’optimisation, je souhaiterais insister sur les progrès du texte à travers les mécanismes qui permettent d’éviter que les stipulations favorables de la convention ne soient détournées.
Il faut rappeler que ces avancées interviennent dans un contexte où Singapour a fait d’importants progrès dans la coopération fiscale sur demande, ce grâce à l’avenant du 13 novembre 2009, qui a levé le secret bancaire. À titre d’exemple, en 2015, sur 12 demandes de renseignements adressées à Singapour, nous avons obtenu 10 réponses. Les délais de réponse sont passés de trois mois en 2013 et 2014 à 50 jours en 2015. Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales a d’ailleurs adressé une notation positive à Singapour. Enfin, cet État a pris l’engagement d’appliquer en 2018 l’accord sur l’échange automatique d’informations financières.
Le nouvel accord introduit plusieurs dispositifs anti-abus afin de diminuer les risques de fraude et d’évasion fiscale.
La lutte contre les situations de non-imposition est en premier lieu renforcée par l’introduction, à l’article relatif à la résidence, d’une nouvelle condition d’assujettissement à l’impôt qui conduira à refuser les avantages de la convention aux personnes qui ne seraient pas imposées dans leur État de domiciliation.
Deuxièmement, la convention ne permet l’exonération en France d’un revenu taxable seulement à Singapour que si le bénéficiaire a été effectivement assujetti à l’impôt à Singapour à raison de ce revenu.
Troisièmement, cet accord introduit des dispositifs pour lutter contre les montages dits de treaty shopping, à savoir la structuration d’investissements de manière à bénéficier de tel ou tel traité bilatéral. Ainsi, le bénéfice des taux de retenue à la source réduits prévus par la convention n’est octroyé que si le récipiendaire des revenus en est le bénéficiaire effectif. La même exigence conditionne l’octroi d’un crédit d’impôt par la France à raison des revenus imposés à Singapour.
Quatrièmement, une clause anti-abus générale a été introduite, permettant de refuser le bénéfice de toute réduction ou exonération prévue par la convention lorsque les opérations susceptibles d’en bénéficier ont été conçues dans le but principal – j’insiste sur cet adjectif – d’obtenir ces avantages conventionnels.
Cinquièmement et en dernier lieu, alors que l’ancienne convention prévoyait un mécanisme de crédit d’impôt forfaitaire permettant, dans certains cas, à un contribuable résidant en France d’imputer sur son impôt français un montant plus élevé que la retenue à la source subie à Singapour, ce dispositif coûteux pour nos finances publiques et qui a perdu toute justification économique sera supprimé, certes à l’expiration d’une période transitoire.
Pour en venir au second point de ma présentation, cette convention prévoit des aménagements fiscaux favorables aux opérateurs économiques.
Ainsi, le seuil à partir duquel un chantier de construction ou de montage mis en place par une entreprise d’un État sur le territoire de l’autre peut constituer un établissement stable pour ce dernier a été porté, à la demande de la France, de six mois dans la convention actuelle à douze. Les frottements fiscaux, comme il est d’usage de dire, seront donc limités aux projets particulièrement structurants.
Les intérêts versés par une entreprise seront imposés dans le seul État du bénéficiaire. Concrètement, les institutions prêteuses françaises n’acquitteront pas de retenue à la source pour les intérêts que leur verseront des filiales françaises établies à Singapour. En outre, cela évitera que l’État du prêteur n’ait à accepter l’imputation de crédit d’impôt représentative de cette retenue à la source.
Enfin, de manière plus générale, la rédaction de la nouvelle convention a été rapprochée de celle du modèle de l’Organisation de coopération et de développement économique, l’OCDE, ce qui facilite et sécurise son interprétation par l’ensemble des acteurs.
Ce texte est donc équilibré et cohérent. Il marque un réel progrès dans la lutte contre la fraude. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite donc, bien entendu, à ratifier cette convention.