Intervention de Jacky Deromedi

Réunion du 18 février 2016 à 10h30
Convention fiscale avec singapour — Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacky DeromediJacky Deromedi :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous comprendrez que, ayant été élue des Français de Singapour avant mon élection au Sénat et étant résidente depuis vingt-sept ans à Singapour, où j’ai créé un cabinet d’aménagement d’espaces professionnels et commerciaux, je m’intéresse particulièrement au projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.

Le 15 janvier 2015, M. le ministre des finances a signé avec son homologue singapourien la nouvelle convention fiscale franco-singapourienne.

Le premier objectif de cette convention est d’améliorer les conditions fiscales pour les nombreuses entreprises françaises établies sur place. Les deux ministres signataires se sont dits confiants dans le potentiel d’accroissement des flux commerciaux et des flux d’investissement de la nouvelle convention, alors que les relations économiques entre Singapour et la France sont déjà excellentes.

Rappelons que Singapour a fêté l’an dernier le cinquantième anniversaire de son indépendance. La France s’est associée à ce grand événement. Singapour est un partenaire commercial important tant la cité-État a acquis un poids important dans l’économie mondiale : c’est l’un des cinq États avec lesquels l’Hexagone a un excédent commercial après le Royaume-Uni, Hong Kong et les Émirats arabes unis. En 2013, c’était même le troisième du palmarès, avec un excédent de 2, 3 milliards d’euros selon Bercy. Surtout, Singapour ne compte pas moins de 600 filiales d’entreprises françaises, ainsi que 15 000 Français sur son sol.

Comme le souligne le site de l’ambassade de France à Singapour, la cité-État « met tout en œuvre pour créer un environnement économique favorable au développement et à l’épanouissement des entreprises et des talents étrangers : des infrastructures hors pair, des services très efficaces, un cadre juridique sécurisant, une qualité de vie certaine ».

La convention fiscale franco-singapourienne datait de 1974. Les relations commerciales entre les deux pays ont considérablement évolué depuis cette date. Il était temps d’actualiser ce texte en l’adaptant à ces nouvelles données économiques. Notre collègue Éric Doligé ayant excellemment développé les dispositions de la nouvelle convention dans son rapport, je me bornerai à pointer quelques orientations du nouveau texte.

D’abord, les notions de résidence et d’établissement stables qui figurent dans toutes les conventions fiscales présentent quelques particularités dans le texte soumis à nos délibérations. Ainsi, l’article 4 de la convention s’éloigne du modèle de l’OCDE s’agissant des critères de détermination de la résidence en supprimant le troisième critère, la nationalité.

Par ailleurs, la définition de résident n’exclut pas les contribuables uniquement soumis à une obligation fiscale limitée dans l’un des deux États.

La notion d’établissement stable a été précisée en ce qui concerne les chantiers de construction, d’assemblage ou de montage.

La durée des chantiers au-delà de laquelle l’imposition du résultat revient à l’État de situation du chantier est portée à douze mois, au lieu de six mois dans l’actuelle convention. Les activités de supervision liées à la réalisation d’un chantier seront soumises à la même règle.

Autre particularité : l’imposition des dividendes. Le taux limite de la retenue à la source prélevée sur les dividendes sera de 5 %, au lieu de 10 % dans l’actuelle convention, lorsque la société détient une participation d’au moins 10 % dans le capital de sa filiale établie dans l’autre pays. C’est une bonne nouvelle pour nos entreprises. En revanche, le taux limite restera fixé à 15 % dans tous les autres cas.

Le but premier de toute convention fiscale est d’éliminer les doubles impositions. Il s’agit notamment de permettre à une entreprise imposée dans un État de bénéficier d’un crédit d’impôt dans l’autre pour ne pas être taxée deux fois. Cette méthode a été modernisée. La nouvelle convention supprime le mécanisme des crédits d’impôt forfaitaires qui concernent les dividendes, les intérêts et les redevances. Le crédit d’impôt correspondra à l’impôt effectivement payé à Singapour.

Ouverte aux échanges, Singapour lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales a évalué, lors de son assemblée plénière à Jakarta les 21 et 22 novembre 2013, la législation et les pratiques de Singapour. Cette évaluation place Singapour au même niveau que des pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni.

La coopération de nos deux pays en matière fiscale est excellente. Depuis 2011, une cinquantaine de demandes de renseignements ont été adressées à Singapour par la France. Toutes ont obtenu des réponses dans un délai jugé très correct, de deux mois en moyenne.

La nouvelle convention comprend un dispositif d’échanges de renseignements conforme au standard international. Elle prévoit aussi d’améliorer les échanges dits « à la demande », lors d’enquêtes, en les mettant aux nouvelles normes de l’OCDE. L’engagement a été pris de part et d’autre de mettre en œuvre la nouvelle norme mondiale sur l’échange automatique de données fiscales d’ici à 2018. L’échange automatique est perçu comme le moyen le plus efficace d’éradiquer la fraude.

Des mesures anti-abus sont prévues, pour éviter que ne bénéficient de cette convention des sociétés n’ayant aucune activité économique réelle à Singapour, mais y pratiquant une optimisation fiscale agressive – montages financiers complexes, etc.

L’un des objectifs est d’éviter le fameux « chalandage réglementaire » : cette pratique décriée par l’OCDE consiste, pour des investisseurs, à s’installer dans un pays uniquement pour bénéficier de son réseau d’accords fiscaux avantageux.

On peut regretter l’absence de mise à jour de l’article sur les redevances. L’absence de clause d’assistance au recouvrement aura un effet induit préjudiciable aux contribuables français lorsqu’ils sont amenés à transférer leur domicile fiscal à Singapour en relevant de l’exit tax. En effet, quelles que soient les raisons de cette nouvelle domiciliation, personnelles ou professionnelles, le contribuable devra continuer à fournir des garanties équivalentes à l’impôt latent, ce qui représente une charge financière. J’invite le Gouvernement à être particulièrement attentif à cette situation.

En résumé, la convention est globalement équilibrée : à la fois, pardonnez-moi cet anglicisme, probusiness et sévère pour les situations abusives. On ne peut que souhaiter sa ratification rapide afin de favoriser les échanges franco-singapouriens, qui sont de l’intérêt de nos entreprises, de l’intérêt de notre commerce extérieur, et qui favoriseront, bien au-delà des intérêts matériels, l’amitié traditionnelle entre nos deux peuples, qui n’a cessé de se renforcer durant les deux dernières décennies.

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