Il est toujours difficile d’intervenir après un orateur avec qui on est à peu près d’accord. Je risque donc de répéter un certain nombre de points, et je vous prie de bien vouloir m’en excuser, mes chers collègues.
Contrairement à la convention fiscale avec Singapour, qui est de portée générale, le présent accord avec la Suisse vise à répondre à un problème ponctuel et précis : l’échange d’informations fiscales.
Est-il nécessaire de rappeler combien la bonne coopération fiscale avec la Suisse est importante ? Les faits parlent d’eux-mêmes : 85 % des 45 000 régularisations effectuées depuis 2013 auprès du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives proviennent de la Confédération helvétique. On peut aussi rappeler que, en février 2015, l’affaire Swiss Leaks révélait un vaste système de fraude fiscale organisé par la banque HSBC. En janvier 2016, les médias faisaient état de près de 38 000 comptes non déclarés, soit près de 12 milliards d’euros, détenus par des citoyens français auprès de la banque UBS.
On pourrait à première vue s’étonner que le Parlement soit à nouveau saisi de ce sujet : les échanges de renseignements fiscaux entre la France et la Suisse sont, en théorie, régis depuis 2009 par un dispositif conforme au standard de l’OCDE. La convention fiscale bilatérale de 1966, modifiée par un avenant d’août 2009, prévoit en effet un mécanisme d’échange d’informations « à la demande », grâce auquel l’État requérant peut obtenir des éléments de nature à prouver que certaines bases fiscales ont été illégalement soustraites à l’impôt.
Toutefois, la ratification de cet avenant avait à l’époque été conditionnée par la Suisse à la signature d’un échange de lettres, daté du 11 février 2010, qui paraphrase l’avenant par des formulations ambiguës. Alors qu’il aurait tout à fait pu être utilisé par la France pour appuyer ses demandes, cet échange de lettres est en pratique invoqué par la Suisse pour écarter de nombreuses requêtes, qu’elle ne juge pas « vraisemblablement pertinentes ».
L’interprétation restrictive de la Suisse interdit notamment les demandes qui ne comportent pas le nom et l’adresse du contribuable, et celles qui ne désignent pas précisément la banque qui détient les informations, des éléments que, par définition, on ignore fréquemment, comme M. le secrétaire d’État l’a rappelé.
C’est très précisément à ces insuffisances que s’est heurtée la demande adressée par la France le 24 janvier 2013 dans le cadre de ce qui est devenu « l’affaire Cahuzac ». D’une manière générale, l’attitude vétilleuse des autorités suisses aboutit fréquemment à ce que les réponses, si elles sont transmises, soient inutilisables. Sur les 426 demandes formulées entre le 1er janvier 2011 et le 15 avril 2013, seules 29 réponses ont été reçues par la France, soit 6, 5 % du total, et seulement 6 ont été jugées satisfaisantes.
Avec la modification des commentaires de l’OCDE sur son modèle et, plus généralement, la pression internationale croissante sur la Suisse, la mise en conformité du dispositif est devenue possible, et même inévitable. Elle a abouti au présent accord du 25 juin 2014, qui aurait dû initialement être inclus dans la nouvelle convention sur les successions si celle-ci n’avait pas été rejetée par le Parlement suisse en 2014.
Ce texte prévoit trois avancées notables.
Premièrement, il assouplit les conditions d’identification de la personne visée : celle-ci doit toujours être « identifiée », mais plus forcément par son nom et son adresse. Cela constitue une réponse à la dissimulation parfois grossière du bénéficiaire effectif des avoirs derrière un prête-nom ou une structure intermédiaire. Elle ouvre par la même occasion la possibilité de procéder à des « demandes groupées ».
Deuxièmement, cet accord met fin à l’obligation d’identifier au préalable l’établissement financier qui détient les informations recherchées. Le nom et l’adresse de la banque ne seront fournis par l’autorité requérante que « dans la mesure où ils sont connus » : en fait, c’est déjà ce que dit l’accord actuel, mais la nouvelle formulation « efface » son interprétation restrictive.
Troisièmement, l’accord contient une clause de portée générale, qui stipule que les éléments de la convention et du protocole « doivent être interprétés de manière à ne pas faire obstacle à un échange effectif de renseignements ». Il s’agit d’une sorte de précaution supplémentaire, recommandée par l’OCDE, et qui devrait prévenir d’éventuelles interprétations restrictives à l’avenir.
Cet accord s’applique aux faits survenus à compter du 1er février 2013, une portée rétroactive qui correspond opportunément au délai de prescription fiscale.
Bien sûr, le présent accord se limite à améliorer l’échange « à la demande » entre les deux pays. Ce dispositif conserve sa faiblesse intrinsèque : il suppose de savoir au préalable ce que l’on cherche, ce qui est par définition rarement le cas, et repose in fine sur la bonne volonté des autorités interrogées.
Toutefois, il est raisonnable d’espérer que la Suisse mette en œuvre l’échange automatique d’informations d’ici à 2018, comme elle s’y est engagée, avec 94 autres pays, le 29 octobre 2014 à Berlin, et comme elle le pratique déjà avec les États-Unis dans le cadre de la loi « FATCA », ou Foreign Account Tax Compliance A ct.
La loi fédérale a été récemment modifiée afin de permettre la mise en œuvre de ce dispositif, qui signe véritablement la fin du secret bancaire. L’échange automatique oblige en effet les États à transmettre de leur propre initiative et de façon exhaustive les informations concernant les comptes détenus par des non-résidents, conformément à une « norme commune de déclaration » particulièrement exigeante présentée par l’OCDE l’année dernière.
S’agissant de l’accord « FATCA », je souhaiterais d’ailleurs interroger le ministre sur la réalité de la coopération des États-Unis. La France a déjà envoyé les premières informations. Les États-Unis sont censés l’avoir fait également de leur côté, conformément à leur engagement : est-ce bien le cas ? Je parle non pas du solde des comptes, car FATCA n’est pas réciproque sur ce point – les membres de la commission des finances l’ont suffisamment déploré –, mais bien de toutes les autres informations. Les États-Unis jouent-ils le jeu ?
Pour en revenir à la Suisse, l’amélioration réelle de notre coopération fiscale devra bien sûr être confirmée dans les prochaines années, mais ses premiers effets sont indéniables. La perspective de la levée du secret bancaire a d’ores et déjà conduit près de 45 000 « repentis » à se manifester auprès du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives depuis 2013, produisant 1, 9 milliard d’euros de recettes en 2014, 2, 7 milliards d’euros en 2015, et probablement un peu plus de 2 milliards d’euros en 2016. La place de Genève, qui ne fait pas mystère de ces bouleversements, incite désormais ses clients à régulariser leur situation.
Concrètement, à quoi ressemblent aujourd’hui les échanges d’informations entre les deux pays ? Il était difficile de le savoir, puisque le « jaune » budgétaire sur la coopération fiscale de la France avec ses partenaires n’était plus disponible depuis deux ans. À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie d’avoir précisé que ce document nous sera remis sous quelques jours.