Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est saisie pour avis de plusieurs articles de la proposition de loi organique ayant des incidences sur le déroulement, dans les médias, de la campagne pour l’élection du Président de la République. Nous avons travaillé avec le triple objectif d’assurer le respect du pluralisme, la liberté éditoriale et la sincérité du scrutin.
Deux articles de la proposition de loi organique ont plus particulièrement retenu notre attention : l’article 4, relatif à l’accès des candidats à l’élection présidentielle aux médias audiovisuels, en particulier pendant la période dite intermédiaire, et l’article 7, qui vise à modifier les horaires des opérations de vote, en prévoyant l’ouverture des bureaux de vote de 8 heures à 19 heures, assortie de la possibilité de repousser leur fermeture à 20 heures.
La rédaction adoptée par l’Assemblée nationale reportait à 19 heures la fermeture des bureaux de vote, actuellement fixée à 18 heures dans de très nombreuses petites communes, en vue de retarder la réalisation des sondages effectués dans les bureaux tests sur le fondement des premiers bulletins dépouillés. De fait, dans cette hypothèse, les fuites sur internet devraient être moindres au cours de la période cruciale qui précède l’annonce des résultats, à 20 heures, mais le risque demeure néanmoins, compte tenu du maintien d’un décalage d’une heure avec la fermeture des bureaux de vote en zones urbaines.
De nombreux membres de notre commission se sont inquiétés des conséquences, pour les petites communes, de cet allongement d’une heure de la durée d’ouverture des bureaux de vote, faisant observer qu’il est déjà très difficile de constituer les bureaux. D’autres collègues se sont interrogés, a contrario, sur les raisons qui pourraient justifier le maintien d’un horaire de fermeture plus tardif dans certaines zones urbaines, faisant valoir que cela pouvait créer de la confusion, dans l’esprit des électeurs, sur l’horaire de fermeture de leur bureau de vote.
La commission des lois a décidé de supprimer la possibilité de prolonger l’ouverture des bureaux de vote jusqu’à 20 heures. Ce choix a le mérite de la cohérence et de la simplicité : si l’on fixe à 19 heures la fermeture de tous les bureaux de vote, les électeurs seront tous traités de la même façon et les risques de fuites seront minimisés.
J’en viens à l’article 4 de la proposition de loi organique, qui a retenu toute notre attention, notamment parce qu’il substitue le principe d’équité au principe d’égalité pendant la période intermédiaire en ce qui concerne les temps de parole des candidats. Il s’agit là d’un sujet très sensible, qui touche à notre conception même de la démocratie et du respect du pluralisme.
Le principe de l’égalité constitue la meilleure garantie pour vivifier notre démocratie. Nous savons tous combien notre pays souffre d’un déficit de renouvellement de ses élites politiques et des idées. Or voici que l’on nous invite à avaliser une évolution qui risque au contraire de favoriser les candidats les plus connus, les mieux installés et bénéficiant déjà de l’attention des médias.
Mes chers collègues, la procédure des parrainages joue déjà le rôle de filtre assurant le sérieux et la représentativité des candidatures. Lorsqu’un candidat a obtenu les parrainages nécessaires, il peut bénéficier du financement public de sa campagne ; rien ne justifie que l’on opère des distinctions entre les candidats remplissant toutes les conditions requises pour concourir.
Reconnaître au Conseil supérieur de l’audiovisuel un pouvoir d’appréciation sur la place à accorder dans les médias à tel ou tel candidat marquerait un recul pour notre vie démocratique, d’autant que le principe d’équité est déjà de règle en dehors de la période de l’élection présidentielle, ce qui nuit au droit d’expression des plus petites formations politiques.
Nous n’ignorons pas que la substitution de l’équité à l’égalité vise à lutter contre la tentation des médias de ne plus couvrir la campagne présidentielle pendant les trois semaines que dure la période intermédiaire. Les données réunies par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui font apparaître une diminution de 50 %, par rapport à 2007, du temps consacré aux prises de parole pendant la période intermédiaire en 2012, témoignent d’une difficulté. Faut-il pour autant modifier les règles pour remédier aux difficultés que rencontrent les médias pour les appliquer ? Les exigences démocratiques ne justifient-elles pas que ce soient plutôt les médias qui réfléchissent à la meilleure façon de rendre compte de la campagne présidentielle dans le respect du principe d’égalité ?
Je constate en outre que certains s’inquiètent des modalités d’application du principe d’équité, compte tenu de la nouvelle obligation d’assurer des « conditions de programmation comparables ». Aujourd’hui, avec le principe d’égalité, il est possible de jouer sur la diversité des formats et des plages horaires. La nouvelle contrainte des conditions de programmation identiques ne va-t-elle pas, en définitive, compliquer encore plus les choses ? N’est-on pas en train de construire une « usine à gaz » ? La question se pose vraiment !
En réalité, nous avons le sentiment qu’aucune véritable réflexion n’a été menée sur la manière de rendre compte d’une campagne présidentielle au XXIe siècle, en tenant compte notamment du développement des nouveaux médias et de la nécessité de proposer de nouveaux formats pour répondre aux nouveaux usages liés à la révolution numérique et au besoin de renouveau de nos compatriotes.
Que dire ensuite des élections primaires organisées par certaines formations politiques, qui ont pour effet d’offrir un surcroît de visibilité aux candidats qui y participent ? L’article 4 de la proposition de loi organique ne visant que la période intermédiaire qui précède la campagne officielle, rien ne garantit le respect du principe d’égalité, ni même celui du principe d’équité, entre les candidats à ces primaires, ni, a fortiori, entre ces derniers et les candidats à l’élection présidentielle n’ayant participé à aucune primaire, alors même que, si l’on en croit de nombreux analystes, les primaires seront plus importantes que le premier tour de l’élection présidentielle.
Pour en revenir au rôle du CSA, que la rédaction actuelle du texte tend à renforcer, nous ne pouvons que nous interroger sur la marge d’appréciation qui sera accordée à cette instance.
Au quatrième alinéa de l’article 4, la référence aux « résultats obtenus aux plus récentes élections » et aux enquêtes d’opinion pour déterminer la représentativité des candidats apparaît pour le moins réductrice.
Le second critère, mentionné au cinquième alinéa du même article, à savoir « la contribution de chaque candidat à l'animation du débat électoral », n’est pas, lui non plus, dénué d’une certaine subjectivité.
Par ailleurs, je ne suis pas sûre que l’on rende ainsi service au CSA, qui voit son rôle changer au fil du temps et devient le garant du pluralisme politique, et même de l’indépendance des rédactions