Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 18 février 2016 à 14h30
Protection de l'enfant — Adoption en nouvelle lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Cela étant, la loi ne peut pas tout. Elle ne peut certainement pas assurer partout la même qualité de mobilisation.

Madame la ministre, en analysant l’état des lieux de l’application de la loi de 2007, vous observez des disparités de mise en œuvre dans les départements. C’est un fait, mais comment ces différences s’expliquent-elles ?

N’oubliez pas que, depuis 2007, les départements ont dû faire face à une augmentation de tous les publics pris en charge dans le cadre des politiques sociales.

Pour ce qui concerne spécifiquement l’aide sociale à l’enfance, ce n’est pas tant le nombre de demandes mais la complexité des situations qui a mobilisé les équipes. C’est également la prise en charge des mineurs isolés étrangers. Ce sont aussi le manque de soutien en pédopsychiatrie et le désengagement progressif de la protection judiciaire de la jeunesse. Tous ces facteurs conjugués ont sérieusement contrarié la bonne volonté des élus et des professionnels.

C’est pourquoi je m’oppose à toutes les mesures tendant à imposer des procédures supplémentaires, coûteuses et chronophages pour les départements.

Tout au long de nos débats, vous avez insisté sur l’absence de pilotage et de coordination nationale. Selon vous, la solution consiste dans la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance. Je ne conteste pas la nécessité d’un travail en réseau, d’échanges fructueux interdépartementaux. Mais pourquoi créer une nouvelle instance ?

L’ONED, qui sera rebaptisé Observatoire national de la protection de l’enfance, ou ONPE, peut tout à fait jouer ce rôle si on lui en donne les moyens. À l’instar des observatoires départementaux de la protection de l’enfance, qui, dans la plupart des cas, se sont dotés de ces deux missions, à savoir une mission d’observation et de recensement et une mission de régulation et de prospection, l’ONPE pourrait assurer cette supervision en proposant des orientations nationales, en formulant des avis et en évaluant l’offre de service.

En quelque sorte, un tel Observatoire national proposerait des moyens et des outils méthodologiques pour la connaissance, la compréhension, l’opérabilité et la régulation des dispositifs départementaux. Cette organisation aurait du sens.

Certes, l’ONED est aujourd’hui membre du GIP « enfance en danger », au même titre que le service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger. Ma collègue Hermeline Malherbe me le rappelle régulièrement, et à juste titre. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas confier cette compétence de coordination et de mobilisation des politiques de protection de l’enfance au GIP « enfance en danger » ?

Même s’il succède à deux instances qui ne fonctionnaient pas, un nouvel organisme exige un temps pour se mettre en place. Or l’ONPE ou le GIP « enfance en danger » pourraient compléter rapidement leur composition pour assumer ces attributions. Quelle économie de temps et de moyens !

L’État demande quotidiennement aux collectivités territoriales des efforts de mutualisation. Je ne comprends donc pas la solution ici proposée, mise à part votre intention de reprendre le pilotage des politiques de protection de l’enfance.

À la première question – la loi est-elle toujours la meilleure réponse aux problèmes ? –, je répondrai ainsi : la loi est nécessaire pour fixer le cadre et le faire évoluer dans un environnement en perpétuelle évolution, mais elle n’a nullement vocation à écrire la méthode de mise en œuvre.

D’où ma seconde question : pourquoi le sujet de la protection de l’enfance est-il si difficile ?

Si cette question est délicate, c’est tout d’abord parce que chacun reconnaît l’omniprésence de la notion et du sentiment de responsabilité affectant toute personne touchée de près ou de loin : toute affaire de maltraitance, d’abandon ou de mise en danger marque durablement et laisse de profonds traumatismes.

C’est la raison pour laquelle je tiens, une nouvelle fois, à saluer l’ensemble des personnels institutionnels et associatifs investis dans cette mission. Leur quotidien est pavé de doutes et parfois, heureusement, de satisfactions. Il faut donc leur faciliter la tâche et non l’entraver.

Autre difficulté : nous sommes dans une société où l’administratif prend le pas sur l’opérationnel. Nous ajoutons procédures, protocoles, référentiels, chartes, schémas, plans, pactes, donnant naissance à une avalanche à laquelle nous ne parvenons plus à faire face.

Bien sûr, il est impératif de trouver les voies de l’efficacité. Je dirais même plus, concernant cette compétence en particulier, je soutiens les principes d’efficience et d’excellence.

Gardons justement du temps sur le terrain, auprès des enfants, des jeunes et de leurs familles, auprès de nos partenaires. Une trop forte protocolisation de l’intervention risque, à terme, d’affecter profondément l’autonomie professionnelle, qui sait pourtant s’adapter avec intelligence aux circonstances particulières.

Il y a ensuite ce tabou, ce gros mot qu’il ne faut surtout pas prononcer : les moyens !

Vous le savez pourtant, les uns et les autres, les conseils départementaux sont pris à la gorge par la montée en charge de leurs dépenses sociales. C’est d’autant plus compliqué qu’il serait indispensable de développer des études, notamment sur le profil des enfants pris en charge et sur l’analyse des parcours, de croiser les regards entre protection de l’enfance et handicap, de regarder l’articulation possible avec la pédopsychiatrie, de tisser des liens avec le réseau universitaire. Mais avec quels moyens ? Il faudrait travailler sur la prévention autant que sur la réparation. Mais avec quels moyens ?

Sans moyens supplémentaires, les départements risquent à terme de se décourager. Comme le rappelle Christian Descheemacker, ancien président de chambre à la Cour des comptes, il est toujours dangereux d’avoir une compétence sans disposer des moyens de l’exercer.

Pour répondre à ma deuxième question, il faut rappeler que moyens et confiance sont les gages d’une bonne application des textes, et les garants d’une exigence de réussite.

Pour conclure, cette proposition de loi est intéressante sur certains aspects, mais elle est perfectible dans son versant opérationnel. Une coconstruction avec les départements, chefs de file en matière de protection de l’enfance, aurait permis de s’accorder sur une vision commune. En définitive, ce manque criant de travail avec les principaux acteurs aboutit non pas à une convergence de choix, mais à une insatisfaction de part et d’autre.

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