Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 1er mars 2016 à 21h00
Dispositif exceptionnel d'accueil des réfugiés

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, au nom du groupe Les Républicains :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains a souhaité que puisse se tenir, ce soir, un débat sur la situation liée à la crise migratoire que nous connaissons depuis maintenant plusieurs mois.

Je voudrais tout d’abord rappeler quelques chiffres. En 2015, un million de migrants, venus de Syrie, d’Irak, d’Érythrée, parfois même d’ailleurs – par exemple, d’Afghanistan –, sont entrés sur le territoire européen. Les premiers chiffres pour 2016 font déjà état de plus de 110 000 arrivées sur les deux premiers mois de l’année, ce qui laisse augurer, à nouveau, que la barre du million de personnes sera atteinte cette année.

En ce début d’année, quelque 58 000 personnes sont déjà passées par la Grèce, un pays qui, sur le million de migrants enregistrés en 2015, a vu transiter sur son territoire 855 000 personnes, dont 500 000 entrées par l’île de Lesbos. Bien évidemment, des arrivées sont également constatées en Italie.

Tous ces migrants, en mettant le pied sur le sol européen, espèrent trouver un eldorado, celui que les membres des réseaux mafieux – ceux-là mêmes qui abusent de la plupart d’entre eux – leur ont sans doute promis. Malheureusement, ils se rendent vite compte que la situation n’est pas aussi simple.

D’abord désireux de rejoindre le nord de l’Europe, si possible la Grande-Bretagne, la majorité de ces migrants aspire ensuite à s’installer en Allemagne, répondant d'ailleurs, il faut le rappeler, à un appel que ce pays lui-même a lancé l’année dernière. Depuis lors, la situation paraît s’emballer.

En septembre 2015, la France décide d’accueillir, dans le cadre d’un programme de relocalisation, plus de 30 000 migrants pendant deux ans. L’Europe, quant à elle, décide d’instaurer un certain nombre de procédures. D’une part, elle renforce les moyens attribués au contrôle de ses frontières via l’agence FRONTEX ; d’autre part, elle crée des dispositifs de relocalisation, au travers de ce que l’on a appelé les hotspots, installés sur le territoire européen, singulièrement en Italie et en Grèce.

J’ai eu l’occasion, avec la commission des lois de notre assemblée, d’aller à Cergy-Pontoise et à Champagne-sur-Seine pour constater les premières mises en œuvre de ce programme de relocalisation. Plus récemment, nous nous sommes également rendus en Grèce, à Athènes, mais aussi à Lesbos, afin d’en savoir plus sur ce premier hotspot de Moria, destiné à accueillir les migrants.

Je vous livrerai un autre chiffre, si vous me le permettez, mes chers collègues : le passage entre la Turquie et l’île de Lesbos a concerné 10 000 personnes par jour dans le courant du mois d’août 2015, ce contingent oscillant entre 2 000 et 3 000 personnes pendant l’hiver.

En soi, la procédure de relocalisation est intéressante. Elle consiste à accueillir les populations migrantes dans des hotspots, en présence du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés – le HCR –, des différentes organisations, comme l’Organisation internationale pour les migrations – l’OMI - ou encore le Bureau européen d’appui en matière d’asile, parfois même de renforts nationaux, notamment français, pour « faire le tri », si l’on me permet cette expression un peu triviale.

On va donc identifier les migrants susceptibles de relever du droit d’asile et ceux qui sont plutôt des migrants économiques. Puis, par dérogation au dispositif instauré par le « règlement Dublin », on soulagera la Grèce en orientant les demandeurs d’asile vers des pays ayant formulé des offres de places. C’est le cas de la France, qui, je crois pouvoir le dire, a accueilli 201 personnes entre janvier et février, dans le cadre de ce programme de relocalisation.

Néanmoins, que constate-t-on ? Que les migrants ne relevant pas du droit d’asile bénéficient malgré tout d’un laissez-passer, car ils disposent d’un délai d’un mois – six mois pour les Syriens – pour retourner dans leur pays d’origine. Dès lors, et c’est un constat objectif, tout le monde reste !

Ceux qui peuvent bénéficier de la procédure d’asile – pour l’instant, ils sont très minoritaires – y ont recours, tandis que les autres se précipitent vers le nord de l’Europe. Ils prennent la route des Balkans ; en deux jours, ils sont en Allemagne et, quelques jours plus tard, en France, notamment à Calais. D’où la situation que nous connaissons aujourd'hui : 2 000 personnes accueillies à Calais au mois de juillet dernier, environ 4 000 au mois de septembre et probablement de l’ordre de 6 000, voilà quelques semaines.

Telle est la situation, malgré le travail que le Gouvernement a réalisé et que je reconnais, avec la prise en charge d’un important contingent de personnes – environ 2 000. Pour autant, même si nous reconnaissons la complexité de la situation, ce travail nous laisse parfois une impression de très grande difficulté.

Aujourd'hui, la situation se tend. Certains pays européens ont décidé de fermer leurs frontières, comme, récemment, la Belgique. Le ministre de l’intérieur allemand vient de déclarer que le nombre de réfugiés à la frontière turco-grecque devrait avoir baissé au 7 mars, sans quoi l’on verrait ce qu’il se passerait. On constate également un durcissement de la situation en Macédoine.

À Calais, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures : 125 containers permettent de loger 1 500 personnes ; le centre Jules Ferry accueille 500 personnes – c’est incontestable ; le démantèlement de la partie sud de la « jungle » est naturellement une bonne chose. À côté, la commune de Grande-Synthe vit d’autres événements tout aussi dramatiques, en l’absence, d’ailleurs, d’un certain nombre de dispositifs.

Voilà pourquoi ce débat ne doit pas simplement viser à dresser des constats ; nous devons essayer de tirer des conclusions et, peut-être, d’avancer quelques propositions.

Le plus difficile et le plus critiquable, me semble-t-il, c’est le rôle que détiennent les réseaux mafieux dans cette affaire, ainsi que le commerce parallèle et l’exploitation des personnes, notamment à Calais, mais pas seulement. Par ailleurs, on a récemment constaté une présence importante de mineurs isolés qui, naturellement, inquiète nos organisations internationales et nationales. Il se dit que 10 000 enfants auraient disparu durant cette crise migratoire. On sait enfin que les réseaux, comme No Border, par exemple, font un véritable contre-travail par rapport à l’action de nos services : ils incitent les migrants à ne pas avoir recours au dispositif d’accueil qui leur est proposé, voire à refuser de bénéficier des mesures d’asile.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas là pour dire que tout est bien ou que tout est mal. Je suis là parce que, me semble-t-il, nous avons besoin de trouver collectivement une solution, à tout le moins de dégager quelques pistes nous permettant de traiter une situation qui, au vu du contexte international, risque de durer !

Je le dis très franchement, nous avons toujours opéré un peu à contretemps. En tout cas, nous avons toujours eu un peu de retard par rapport aux événements. Je crois que, dans quelques jours ou quelques semaines, une rencontre aura lieu entre le Président de la République et la Chancelière allemande. Dans ce cadre, trois points mériteraient d’être soulignés.

Premier point, alors que l’on installe des hotspots sur le territoire européen, n’eût-il pas fallu réfléchir pour les créer dans les pays voisins des pays sources de cette migration ?

Il s’agirait, non pas de refuser sans humanité l’accès à notre territoire, mais d’éviter que des passeurs voyous profitent de ces personnes et les embarquent – la situation se renouvellera cet été – dans des aventures parfois mortelles. Il faudrait alors que l’on puisse, au travers d’une importante aide européenne, financer ces dispositifs et atteindre un standard d’accueil de haut niveau, ce que, je pense, nous appelons tous de nos vœux.

Deuxième point, se pose la question du rôle que notre pays doit jouer au plan européen pour redonner à l’Europe une véritable ambition en matière de politique migratoire, lui permettant de gérer cette crise et de ne pas agir au coup par coup.

Nous avons le sentiment, je le dis comme je le pense, que chacun joue sa partition personnelle, se souciant peu de ce qui se passe chez ses voisins et considérant que, hors de ses frontières, aucun problème ne se pose. Il faut absolument, monsieur le ministre, que par votre voix ou celle du Gouvernement, la France puisse reprendre une forme de leadership sur le sujet et imposer à l’Europe la mise en œuvre d’une politique migratoire claire.

Troisième point – le temps m’étant compté, j’en terminerai là –, qu’en est-il de notre propre situation nationale ?

S’agissant de Calais et de Grande-Synthe, la mise en place d’un hotspot n’est sans doute pas une bonne idée. En revanche, un dispositif plus structuré – il commence à l’être, je l’admets bien volontiers –, avec une présence permanente de tous nos services et un contrôle systématique des migrants présents, de manière à éviter la présence insupportable des réseaux mafieux et autres agitateurs, vous permettrait de traiter la situation de la meilleure manière possible.

Sans doute faut-il aussi, au regard des événements, repenser les accords du Touquet, en tout cas discuter avec vos collègues britanniques pour faire en sorte qu’ils prennent leur part de responsabilité et de charge dans le dispositif.

Voilà ce que je suis venu dire, ce soir, à cette tribune. Je ne suis pas venu polémiquer ; je cherche simplement à contribuer à un travail, qui est difficile. Dans ce cadre, constatons tout de même que nous avons besoin d’avoir une vision politique plus forte et, sans doute, d’y consacrer des moyens plus importants, afin de régler la question de la meilleure manière qui soit, de façon ferme et déterminée lorsque c’est nécessaire, mais aussi de façon accueillante à l’égard de ceux qui le méritent.

En tout cas, nous devons agir sans faiblesse et avec anticipation, afin que la situation actuelle – nous espérons qu’elle se règle très rapidement – puisse être traitée dans les meilleures conditions possible.

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