Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 1er mars 2016 à 21h00
Dispositif exceptionnel d'accueil des réfugiés

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la guerre civile syrienne, l’aggravation du conflit en Libye et la situation dramatique de l’Érythrée ont jeté sur les mers et sur les routes des millions de femmes, d’hommes et d’enfants dont la priorité est de survivre. Ils tentent de gagner l’Europe dans les conditions dramatiques que l’on sait, espérant y trouver protection et sécurité.

En décembre 2015, l’Organisation internationale pour les migrations et le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés faisaient état de 1 005 504 entrées de migrants en Europe par voies maritime et terrestre.

Face à cette situation sans précédent, le Conseil de l’Union européenne a notamment pris la décision, en septembre dernier, de mettre en œuvre une procédure dite de « relocalisation », consistant à transférer les demandeurs d’asile arrivant en Grèce et en Italie vers d’autres États membres, chargés de l’étude de leur demande d’asile.

Cette procédure, qui devait concerner 160 000 personnes en deux ans, semblait constituer un pas en avant vers davantage de solidarité intra-européenne. La France prenait également ses responsabilités, s’engageant à accueillir environ 30 000 réfugiés dits « relocalisés » en deux ans.

Aujourd’hui, près de six mois après la mise en place de cette procédure et alors que notre commission des lois revient d’un voyage en Grèce dans le cadre de la mission de suivi et de contrôle du dispositif d’accueil des réfugiés, qu’en est-il ?

Eh bien, le moins que l’on puisse dire, mes chers collègues, c’est que la mise en place du programme de relocalisation est laborieuse !

Au 10 février, 218 personnes avaient été transférées de Grèce et 279 d’Italie vers les autres États membres ; la France pour sa part en avait accueilli 135. Au vu de tels chiffres, il pourra sembler dérisoire que notre Premier ministre affirme, comme il l’a fait lors de la conférence de Munich sur la sécurité des 12 et 13 février, que la France ne pourra accueillir plus que les 30 000 réfugiés prévus.

Cent trente-cinq personnes ! On est loin de la marée humaine annoncée par certains, parfois à des fins électoralistes. Comment expliquer ce phénomène alors que le cadre réglementaire existe et que la situation demeure si préoccupante ?

Rappelons aussi que la relocalisation ne concerne que les Syriens, les Érythréens et les Irakiens ; par ailleurs, elle ne permet pas le choix du pays de transfert. En fin de compte, environ 40 % des personnes arrivant en Italie et en Grèce ne relèvent pas de cette procédure. Nombre de ceux qui pourraient en bénéficier préfèrent ne pas faire de demande plutôt que de se voir imposer un pays de destination et de risquer de ne pas retrouver leurs proches.

Comme l’ont relevé nos collègues de la commission des lois lors de leur déplacement en Grèce, « le programme de relocalisation est encore trop timide et d’une échelle sans commune mesure avec les besoins réels ». Au rythme où vont les choses, il faudrait plusieurs dizaines d’années pour relocaliser dans les pays de l’Union européenne les 160 000 personnes prévues, et cela sans même compter, bien sûr, les milliers d’autres qui continuent d’arriver.

Il est heureux qu’Angela Merkel, ne cédant ni à la pression de son propre parti ni aux critiques venant de toutes parts, y compris des pays de l’Union européenne, continue de nous donner une leçon d’humanité. Quel contraste avec les déclarations de notre Premier ministre le 13 février ! « Nous ne pouvons pas accueillir plus de réfugiés. » Voilà une phrase qui laissera des traces dans l’histoire de notre pays.

Rien de très nouveau, en vérité. Rappelons-nous seulement l’accueil réservé en 1938 aux juifs fuyant l’Allemagne nazie et l’Autriche après l’Anschluss ou, en 1939, lors de la Retirada, aux milliers de Républicains espagnols entassés dans des camps d’internement.

Notre gouvernement a le devoir d’agir. Il est intolérable de durcir le ton dans les sommets internationaux et de recourir à ce fameux langage de fermeté, cédant ainsi au populisme, souvent teinté de xénophobie, qui ronge notre pays.

Au nom de la simple dignité humaine, nous sommes liés par les devoirs incombant à cette « patrie des droits humains » dont nous claironnons les principes sans prendre toujours concrètement soin de nous y tenir.

Essayons, de grâce, de ne pas l’oublier. Les autres pays européens sont également tenus de s’associer au mouvement de solidarité pour accueillir les réfugiés. Les égoïsmes nationaux en la matière risquent à la longue de faire craquer l’Union européenne.

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