Quelques rappels sur ce texte que nous connaissons tous.
Devant la gravité de la situation à laquelle nous sommes confrontés depuis les attentats de janvier puis de novembre 2015, l'état d'urgence a été déclaré et le Président de la République a réuni la représentation nationale à Versailles. Dans son discours, il a annoncé une révision constitutionnelle pour permettre « aux pouvoirs publics d'agir contre le terrorisme de guerre, en conformité avec les principes de l'État de droit ». Jugeant l'article 16 et l'état de siège inadaptés à la situation, il a considéré que « cette guerre d'un autre type, face à un adversaire nouveau, appelle un régime constitutionnel permettant de gérer l'état de crise ». Il fallait « disposer d'un outil approprié afin que des mesures exceptionnelles puissent être prises pour une certaine durée, sans recourir à l'état d'urgence ni compromettre l'exercice des libertés publiques ».
Dans le même discours, le Président a annoncé - sans envisager, alors, de l'inclure dans une révision constitutionnelle - sa décision de proposer au Parlement l'extension de la peine de déchéance de nationalité pour actes de terrorisme aux Français de naissance possédant une autre nationalité. Il a décidé, postérieurement, que la révision porterait également sur cette question.
C'est sur cette base que le Conseil d'État a été saisi par le Premier ministre. Ses travaux ont conduit à ne pas retenir la proposition présidentielle de mettre en place un « outil approprié » permettant de prendre des mesures exceptionnelles sans recourir à l'état d'urgence. Dès lors, ne restait plus que la constitutionnalisation de l'état d'urgence, mis en place par la loi de 1955.
En revanche, le Conseil d'État a statué favorablement sur la question de la déchéance de nationalité. Le projet de révision constitutionnelle présenté au conseil des ministres est par conséquent double : constitutionnalisation de l'état d'urgence d'une part, possibilité de prononcer la déchéance de nationalité pour les Français de naissance détenteurs d'une autre nationalité d'autre part. L'inscription de ces deux dispositions dans le texte fondamental qui unit tous les Français est une initiative prise par le Président au nom de la lutte contre le terrorisme. Le texte a ensuite évolué devant l'Assemblée nationale, j'y reviendrai.
Première question : cette révision constitutionnelle est-elle nécessaire ? Si nous étions des universitaires appelés à donner un point de vue juridique, nous aurions les plus grands doutes. Mais il ne s'agit pas ici que de droit. Une révision constitutionnelle peut n'être pas nécessaire, mais utile. Il convient par conséquent d'élargir notre point de vue.
Je dois cependant développer les points de droit soulevés par ce texte.
D'abord, l'état d'urgence. Lors du débat sur la première loi de prorogation de l'état d'urgence, j'avais demandé au Premier ministre de saisir le Conseil constitutionnel afin de s'assurer que le système mis en place par la loi de 1955, et modifié depuis, était conforme à la Constitution. On aurait ainsi vidé d'emblée le débat sur cette question. Le Premier ministre a refusé. Néanmoins, le Conseil constitutionnel a depuis été saisi à trois reprises par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité. Il avait, auparavant, déjà estimé que la Constitution de 1958 n'avait pas pour effet implicite d'abroger l'état d'urgence ; cette fois, il a jugé conformes à la Constitution les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence depuis novembre, qu'il s'agisse des assignations à résidence, des limitations apportées à la liberté de réunion et de manifester ou des perquisitions ; seule la possibilité de saisir des données informatiques a été censurée car jugée trop intrusive.
Par conséquent, l'état d'urgence ne présente clairement aucun risque d'inconstitutionnalité. Et pourtant, le comité Vedel en 1993 puis le comité Balladur en 2007 ont proposé son inscription dans la Constitution. Il est vrai qu'y figure l'état de siège : soit l'état de siège est de trop, soit l'absence de l'état d'urgence est problématique. C'est avant tout une difficulté de nature intellectuelle.
Notre Constitution comprend des dispositions dont la présence s'impose pour des raisons non pas juridiques mais politiques. Dans les circonstances actuelles, on peut considérer qu'il y a un intérêt à constitutionnaliser l'état d'urgence - non pas pour donner des armes au Gouvernement dans la lutte contre le terrorisme, paradoxalement, mais au contraire pour mieux encadrer l'état d'urgence et empêcher que l'on déroge à un certain nombre de garanties fondamentales. C'est la seule raison qui me pousse à vous proposer d'admettre son inscription dans la Constitution - outre l'exigence politique de marquer le rassemblement des Français et l'unité de la représentation nationale par un acte symbolique fort.
Estimant que le texte de l'Assemblée nationale n'apportait pas assez de garanties, j'ai déposé plusieurs amendements pour en apporter de nouvelles.
La question de la déchéance de nationalité est plus délicate. Comme pour l'état d'urgence, on peut la trancher en invoquant l'absence de nécessité juridique. Le Conseil d'État s'est borné à soulever un risque d'inconstitutionnalité ; seul le Conseil constitutionnel en est juge. À la vérité, je crois ce risque faible. L'audition des professeurs de droit constitutionnel comme celle de Patrick Weil nous ont confirmé que la déchéance de nationalité des Français de naissance possédant une autre nationalité ne dérogeait pas aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République : en témoignent une loi de 1848, souvent modifiée, et plusieurs textes du début du XXème siècle permettant le retrait de la nationalité comme sanction d'un comportement, qui n'ont jamais été contestés - et sont, au demeurant, peu appliqués.
Je n'ignore pas la discussion juridique sur la conformité de cette mesure à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel « toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». La nationalité, qui fait partie de l'identité du citoyen, ferait partie de ces droits essentiels. Je ne crois pas à cette appréciation, dès lors que la jurisprudence reconnaît certains comportements - trahison, fait de rejoindre une armée étrangère en temps de guerre - comme incompatibles avec le maintien de la nationalité. L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme limite la déchéance de nationalité, mais ne l'interdit pas.
Par conséquent, l'inscription de cette mesure dans la Constitution ne répond pas à un besoin. Le 16 novembre, le Président lui-même ne l'envisageait pas, alors qu'il lui aurait été aisé de l'associer dès le départ à l'état d'urgence dans le projet de révision.
Je suis donc plus embarrassé pour la déchéance de nationalité que pour l'état d'urgence : admettre son inscription dans la Constitution me demande un effort.