Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 10 mars 2016 à 10h30
Lutte contre le système prostitutionnel — Adoption en nouvelle lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Laurence Rossignol, ministre :

La violence est indissociable de l’univers prostitutionnel, comme l’ont souligné les auditions réalisées par la commission spéciale pour l’examen de la proposition de loi. S’il s’agit souvent de la violence exercée par les clients, face à laquelle les victimes ne portent souvent pas plainte, il peut aussi s’agir de celle qui est imposée par les proxénètes et les réseaux, parfois aussi par les personnes prostituées entre elles, voire par les voleurs ou encore les passants ou les riverains.

Une étude américaine, citée par les auteurs du rapport de l’IGAS sur les enjeux sanitaires de la prostitution, souligne un taux de mortalité deux fois plus élevé chez les femmes prostituées exerçant dans la rue par rapport à une population d’âge, de sexe et d’origine ethnique comparables.

Cette différence s’explique essentiellement par les violences subies, ainsi que par l’usage de drogues, souvent indispensable pour « tenir ». Cet exemple, même s’il ne concerne pas directement la France, n’en reste pas moins révélateur de la prégnance de la violence au sein de l’univers prostitutionnel.

Non seulement l’achat d’actes sexuels est contraire à l’égalité entre les hommes et les femmes, non seulement il génère de la violence, mais il participe aussi de l’organisation de réseaux lucratifs d’exploitation sexuelle.

« On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution ». À la troisième lecture de ce texte, je pense que vous connaissez tous l’auteur de cette phrase : Victor Hugo, dans Les Misérables – c’était en 1862…

À l’échelle de l’Union européenne, le nombre total de travailleurs forcés dans les États membres s’élèverait à 880 000 personnes, parmi lesquelles 270 000 seraient des victimes de l’exploitation sexuelle, d’après le rapport du Parlement européen sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux.

Les auditions menées par la commission spéciale ont montré le fonctionnement des réseaux, et force est de constater que la réalité de l’activité prostitutionnelle est le plus souvent faite de contrainte et de violence, parfois extrême, d’exploitation sexuelle et de confiscation des gains.

Plusieurs études mettent en lumière le caractère très lucratif de l’exploitation sexuelle et, plus généralement, de la traite des êtres humains. D’après une étude de 2001, réalisée par l’agence Interpol, le revenu moyen d’un proxénète pour une seule personne prostituée s’élèverait à environ 110 000 euros par an.

Au total, la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle serait, d’après l’Organisation des Nations unies, le deuxième trafic le plus rentable en matière de crime organisé.

Pour lutter contre ces réseaux, il faut leur opposer la fermeté d’un refus collectif du système prostitutionnel. C’est ce que la Suède a fait en 1999 en adoptant une loi abolitionniste.

D’après les conclusions de l’étude du Sénat sur cette question, « quelles que soient les difficultés rencontrées pour réunir des éléments sur le sujet et les précautions nécessaires dans l’interprétation des résultats, l’interdiction de l’achat de services sexuels a entraîné une diminution de moitié de la prostitution sur la voie publique en Suède, alors même que cette activité a crû dans les autres pays nordiques ».

Selon les estimations du ministère de la justice suédois, le nombre de personnes prostituées serait passé de 2 500 en 1999 à 1 500 en 2002. Aujourd’hui, seules quelques centaines de personnes prostituées exerceraient encore dans les rues du pays, tandis que la prostitution dans les hôtels et les restaurants aurait disparu.

Outre une diminution significative du nombre de personnes prostituées, la réforme suédoise a permis de modifier la perception du phénomène prostitutionnel par la population. Alors que, en 1996, 67 % de la population y était défavorable, 71 % des Suédois étaient en 2008 favorables à la loi pénalisant l’achat d’actes sexuels.

Comment ne pas voir que, pour réduire l’offre d’actes sexuels, il convient de réduire et tarir la demande ?

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