Intervention de Michelle Meunier

Réunion du 10 mars 2016 à 10h30
Lutte contre le système prostitutionnel — Adoption en nouvelle lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier, rapporteur de la commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous y voilà !

Nous arrivons au terme d’un long parcours législatif entamé à l’Assemblée nationale à la fin de l’année 2013. Plus de deux années à mener des auditions et à débattre d’un texte qui s’est fixé pour ambition de mieux lutter contre ce que notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a très justement appelé « la plus vieille violence du monde faite aux femmes ».

Selon moi, cette longue maturation aura été très profitable, puisqu’elle aura permis que soient portés à la connaissance de la représentation nationale des éléments très précis sur la situation des personnes prostituées et sur les relations étroites du phénomène de la prostitution avec d’autres aspects de la grande criminalité et des réseaux mafieux, tels que la traite des êtres humains ou encore l’exploitation des migrantes.

La réflexion, très complète, que nous avons menée et les débats, très riches, qui se sont tenus en commission spéciale comme en séance publique ont ainsi permis d’éloigner la discussion de toutes les idées reçues, de tous les clichés, qui, souvent, prévalaient encore sur cette douloureuse question.

En outre, les échanges avec l’Assemblée nationale, en particulier avec la rapporteur, Maud Olivier, et le président de la commission spéciale, Guy Geoffroy, dont je tiens à saluer ici le travail et l’engagement, ont été très constructifs.

Pour autant, nos deux chambres, réunies en commission mixte paritaire le 18 novembre dernier, ne sont pas parvenues à s’accorder sur un texte susceptible de faire ensuite consensus.

Alors que des convergences étaient apparues sur la plupart des volets de la proposition de loi, tels que la lutte contre les réseaux, l’accompagnement sanitaire, social et professionnel ou la prévention et l’éducation à la sexualité, ses dispositions les plus symboliques et les plus médiatisées, relatives à la pénalisation de l’achat d’acte sexuel notamment, continuent de diviser nos deux assemblées.

Ainsi, chargée d’établir un texte de nouvelle lecture au cours de sa réunion du 16 février dernier, notre commission spéciale a, de nouveau, supprimé les articles 16 et 17, qui pénalisent les clients de personnes prostituées et créent une peine complémentaire de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels. Elle a, par cohérence, supprimé, à l’article 18, les dispositions prévoyant qu’un bilan de la création de l’infraction de recours à la prostitution serait effectué dans le cadre du rapport d’évaluation de la proposition de loi.

Je regrette profondément ces suppressions, qui sont, à mes yeux, contraires à ce que doit être aujourd’hui une politique de lutte contre l’exploitation sexuelle cohérente, efficace et conforme à l’engagement abolitionniste de la France, cet engagement que vous portez fièrement, madame la ministre, et qui trouve toute sa place dans l’action menée par votre ministère au service de la défense et de la promotion des droits des femmes ; cet engagement que vous portiez déjà, voilà près de deux ans au Sénat, lorsque vous étiez rapporteur de notre commission spéciale, comme vous venez de nous le rappeler.

Disons-le clairement et sans tabou : il est urgent de le reconnaître, la prostitution est une violence que le client ne peut ignorer. Il est par conséquent indispensable qu’il assume pleinement les conséquences de ses actes et en soit sanctionné.

Notre société doit en effet définitivement changer le regard qu’elle porte sur la personne prostituée, pour la considérer désormais comme une victime à part entière : victime de violences, victime d’un système, victime de réseaux. Son client, lui, doit être mis face à ses responsabilités, car, sans client, pas de prostitution !

Mes regrets sont d’autant plus vifs que la pénalisation des clients, qui est l’un des quatre leviers complémentaires ici prévus, constitue le seul point sur lequel notre commission spéciale a modifié le texte qui venait d’être adopté en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale.

Ainsi, nous n’avons pas modifié les dispositions relatives à la lutte contre la traite des êtres humains. En nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a conservé les améliorations apportées en deuxième lecture par le Sénat à l’article 1er ter relatif à la protection des victimes de la traite et du proxénétisme qui acceptent de collaborer avec les services de police.

Elle les a également complétées, en prévoyant que les dispositions du code pénal relatives à l’audition de témoins, qui peut déboucher sur une retenue de quatre heures, sont applicables aux personnes prostituées. La navette parlementaire nous a permis d’aboutir à un dispositif équilibré qui sera, selon moi, bien plus efficace pour démanteler les réseaux de traite que le délit de racolage, dont notre assemblée a accepté la suppression en deuxième lecture.

De toute façon, notre commission spéciale n’a apporté aucun changement aux articles relatifs à l’accompagnement social des personnes prostituées. Là encore, la navette nous a permis d’améliorer dans un esprit consensuel le texte initial de la proposition de loi, pour en faire un texte utile et juste.

S’agissant du parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle, créé à l’article 3, nos deux assemblées sont parvenues à une rédaction de compromis. Elle permettra à l’ensemble des associations qui aident les personnes en difficulté, en particulier les personnes prostituées, de participer à l’élaboration et à la mise en œuvre du parcours.

Enfin, en ce qui concerne l’article 6, qui crée une autorisation provisoire de séjour, je crois que nous sommes, là encore, parvenus à une solution équilibrée. Si l’article dispose, conformément au souhait de l’Assemblée nationale, que la personne désirant bénéficier de ce titre de séjour doit avoir cessé l’activité de prostitution, il est également précisé qu’elle doit être engagée dans le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle.

Nous savons toutes et tous combien le chemin vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes est long et semé d’embûches. Il demande de la patience, de la volonté et du courage.

La Journée internationale des droits des femmes, que nous avons célébrée voilà à peine quarante-huit heures, est là pour nous le rappeler – symboliquement – chaque année et pour nous inviter à une vigilance et à un combat de tous les instants.

Dans ce contexte, je crois que le texte sur lequel nous allons nous prononcer aujourd’hui, au-delà des dispositions concrètes qui permettront d’améliorer de façon sensible la vie des personnes victimes de la prostitution, est également symbolique : il s’agit d’affirmer que ce qui a longtemps été toléré, voire considéré comme « naturel », au nom d’une prétendue supériorité masculine, n’est aujourd’hui plus acceptable dans une société où les femmes et les hommes sont égaux et doivent être considérés comme tels dans toutes les sphères de la vie.

Je crois donc, à titre personnel, que notre assemblée s’honorerait à adopter la proposition de loi dans toutes ses composantes, y compris les articles 16 et 17.

Car il devient urgent de reconnaître, enfin, le caractère à la fois injuste et inefficace de notre politique actuelle et d’en tirer les conclusions en changeant de cap, pour de bon !

Cette conviction est déjà largement partagée sur les travées des assemblées, comme sur le terrain, auprès des associations. Et d’ici à quelques années, je l’espère, elle apparaîtra à toutes et tous comme une évidence !

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