Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées revient en nouvelle lecture au Sénat, la commission mixte paritaire n’étant pas parvenue à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion.
Notons néanmoins que ce texte rencontre un consensus des deux chambres sur plusieurs dispositions, à mes yeux importantes, qui ont d’ores et déjà été adoptées et qui permettront des avancées, notamment sur le volet social et préventif, comme l’a rappelé Mme la rapporteur.
En nouvelle lecture, après la réunion de la commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale a retenu plusieurs des apports importants du Sénat. Elle a ainsi adopté le dispositif dont pourront bénéficier les victimes de la traite et du proxénétisme, assimilé au dispositif du « repenti », afin de faciliter la coopération des personnes prostituées avec la justice dans le but de démanteler les réseaux. Elle a également voté l’extension de la liste des publics prioritaires pour l’attribution de logements sociaux aux victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme ainsi qu’aux personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution.
Cependant, depuis le début de son processus législatif, entamé à l’automne 2013, ce texte, plus précisément sa mesure la plus médiatique, qui prévoit la pénalisation des clients de prostituées, divise profondément le Sénat et l’Assemblée nationale. Depuis sa création au mois de janvier 2014, la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi, dont je suis membre, a rencontré des dizaines de personnes – représentants du monde associatif et des milieux judiciaire et policier, personnes prostituées, chercheurs et personnalités qualifiées – et, sur ce sujet, la question est loin d’être simple.
Pourtant, à mon sens, plusieurs raisons s’opposent à la pénalisation des clients.
En effet, la pénalisation accroît l’isolement et l’insécurité des personnes prostituées. Qui plus est, d’après les policiers et les magistrats, la pénalisation des clients ne constituera pas un instrument très utile dans la lutte contre les réseaux, puisque les clients ne donneront pas d’informations sur ces derniers, pour la simple raison qu’ils n’en disposeront pas. De plus, la quasi-totalité des associations œuvrant pour l’accès aux droits et aux soins des personnes prostituées ont alerté sur les risques sociaux et sanitaires de cette mesure : les personnes prostituées seraient davantage précarisées et fragilisées, alors même que c’est l’objectif inverse qui est visé, ce qui risque de rendre la prostitution « clandestine ».
À cela s’ajoute le fait que la pénalisation des clients serait difficilement applicable : les policiers de la Brigade de répression du proxénétisme ont ainsi estimé qu’il sera ardu de réunir les faits constitutifs de l’infraction – une relation sexuelle avec une prostituée en échange d’une somme d’argent – autrement que lors d’un délit flagrant.
Par ailleurs – et c’est fondamental ! –, il est incohérent de prohiber l’achat de services sexuels alors même que la vente de ces mêmes services serait parfaitement légale. L’échange de services de cette nature deviendrait ainsi un acte pénalement ambigu, autorisé dans l’un de ses aspects et interdit dans un autre, pourtant indissociable du premier.
En outre, il serait difficile de justifier que le législateur puisse s’immiscer dans d’éventuelles relations entre adultes consentants. C’est en tout cas contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, dans un arrêt de 2007, a indiqué que « la prostitution, en général, n’est incompatible avec la dignité de la personne humaine que lorsqu’elle est contrainte ». C’est donc cette position que la commission spéciale a choisi de maintenir, en s’opposant de nouveau à la pénalisation du client.
Dans les faits, la distinction est très difficile à observer entre une activité exercée dans le cadre d’un lien de subordination et l’usage d’une activité s’exerçant librement. C’est pourquoi le groupe Les Républicains soutient le texte issu de la commission spéciale, qu’il trouve fidèle aux premières conclusions issues des travaux approfondis qu’elle a menés, en accord avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir s’interroger sur la manière de maintenir l’ordre public et de lutter efficacement contre les réseaux sans pour autant rendre coupables les personnes prostituées de l’exercice de leur activité.
Telle est bien la position que le groupe Les Républicains défend et votera aujourd’hui.