Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, le retour devant notre assemblée de cette proposition de loi en nouvelle lecture ne m’étonne point. Le sujet est grave et complexe, les interrogations sont nombreuses, les divergences sont profondes.
La commission mixte paritaire qui s’est tenue le 18 novembre dernier a échoué, aucun accord n’ayant été trouvé. Le principe de la pénalisation du client demeure l’élément de blocage.
Comme je l’ai fait lors du précédent examen de cette proposition de loi ici même, je souhaite participer au débat dans un esprit ouvert, dans le respect des positions de chacun.
Tout d’abord, le constat reste malheureusement le même : la France compte à l’heure actuelle environ 20 000 personnes prostituées, dont 90 % sont étrangères, la plupart exploitées par des réseaux mafieux en provenance d’Europe de l’Est, d’Afrique ou d’Asie. Précisons qu’environ 15 % des personnes prostituées sont des hommes. Les réseaux de proxénétisme sont nombreux – une quarantaine sont démantelés chaque année – et les incidents relevés par les forces de police ne sont pas rares ; ils vont parfois jusqu’au meurtre.
Notre souhait est, d’une part, de lutter contre ce système prostitutionnel et, d’autre part, de protéger les personnes prostituées, en leur permettant dans le meilleur des cas de sortir de ce milieu.
Sur le plan de l’accompagnement des personnes prostituées, la présente proposition de loi comporte des avancées significatives, qui ont été retenues par les deux chambres.
Plusieurs apports du Sénat ont été conservés. Le volet social du texte est particulièrement consensuel ; il est bon de le souligner.
Le texte instaure ainsi un droit pour toute victime de la prostitution à bénéficier d’un système de protection et d’assistance ; il met par ailleurs en place un parcours de sortie de la prostitution.
Personnes prostituées à leur propre compte ou victimes de réseaux, toutes doivent pouvoir bénéficier de la possibilité de sortir de ce milieu.
Les personnes engagées dans ce parcours de sortie seront sur la liste des publics prioritaires pour l’attribution de logements sociaux. Les victimes du proxénétisme et de la prostitution pourront bénéficier, dans des conditions sécurisantes, de places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale. En parallèle, les associations agréées pourront désormais bénéficier de l’allocation de logement temporaire.
Le texte améliore aussi la formation des professionnels engagés dans la prévention de la prostitution et l’identification des situations de prostitution.
De plus, la proposition de notre assemblée d’étendre le champ des compétences des inspecteurs du travail à la constatation des infractions de traite des êtres humains a été adoptée conforme par les députés.
Les avancées de ce texte dans le domaine social ne doivent pas être occultées par les divergences d’opinion sur les façons de lutter contre la prostitution, sujet que je vais maintenant aborder.
Pour lutter contre le système prostitutionnel, la proposition de loi prévoit d’abord un volet préventif.
Dans le domaine numérique, je regrette que les députés aient supprimé les dispositions permettant à l’autorité administrative de demander aux fournisseurs d’accès à internet de bloquer directement l’accès aux sites utilisés par les réseaux de prostitution. Nous ne devons pas sous-estimer l’importance du web dans cette lutte.
En matière d’éducation, je salue le développement d’une politique de prévention auprès des jeunes. La proposition de loi inscrit la lutte contre la marchandisation des corps parmi les sujets traités durant la scolarité.
Mais la prévention ne suffit pas. La répression est nécessaire. Or la question des mesures répressives reste le point fondamental de désaccord entre les deux assemblées.
Premier élément, acté par une position conforme des deux chambres : le droit positif actuel va être modifié concernant le délit de racolage public. Les chambres se sont finalement accordées sur son abrogation.
Second élément, cristallisant tous les désaccords : la pénalisation des clients. Elle a ses détracteurs ; je suis de ceux qui n’y sont, par principe, pas opposés.
Pénaliser le client revient à tarir la demande. Moins de clients, cela signifie moins de prostitution et, par conséquent, les réseaux, qui sont aujourd’hui le support de l’essentiel de la prostitution, ne s’enrichissent pas. Pénaliser le client permet de sanctionner la violence d’actes sexuels imposés par l’argent, l’abus de situations de précarité, et d’engager le recul du phénomène prostitutionnel en France.
Pensons également à l’aspect dissuasif de la pénalisation. Selon différentes associations, cette mesure réduirait de 30 % à 40 % le nombre de clients.
La pénalisation des clients me semblait donc constituer une étape dans la lutte contre la prostitution.
Lors de la précédente lecture, à titre personnel, pour un parallélisme des formes face au délit de racolage qui était alors maintenu, je me suis prononcé en faveur de la pénalisation du client. Il me semblait inconcevable de maintenir le délit de racolage tout en refusant la pénalisation du client. Seules les prostituées auraient été sanctionnées. Les clients auraient alors éprouvé un sentiment d’impunité. C’était là envoyer un très mauvais signal. De plus, cette situation – maintien du délit de racolage, sans pénalisation du client – revenait à ne pas modifier le droit positif. Or nous ne pouvions rester passifs.
L’abrogation du délit de racolage ayant été votée, je me suis interrogé sur l’importance de la pénalisation du client en elle-même.
Il est vrai que la pénalisation des clients provoquera une clandestinité importante. Pour leurs clients, les prostituées se cacheront et seront d’autant plus vulnérables. Le risque pour les personnes prostituées est donc non négligeable.
En outre, les services de police n’ont ni les moyens ni le temps nécessaires pour verbaliser les clients.
Enfin, tout juriste ne manquera pas d’observer que l’argument est bien faible juridiquement : comment en effet pénaliser quelqu’un pour l’achat d’un acte dont la consommation n’est pas interdite ? Puisque nous abrogeons le délit de racolage, comment sanctionner juridiquement le client ?
Pour toutes ces raisons, ou pour une partie d’entre elles, la commission spéciale souhaite ne pas instaurer de pénalisation du client.
Je l’avoue, ma crainte est que cette décision ne donne véritablement libre cours au phénomène prostitutionnel, puisque, sans délit de racolage ni pénalisation du client, le message envoyé aux réseaux mafieux n’est pas bon.
Et pourquoi le phénomène prostitutionnel se tarirait-il seul ?
Les avis sur cette question ne sont pas unanimes au sein d’un même parti, mais la discussion est utile et permet d’aboutir à de meilleurs raisonnements.
Je tiens à remercier M. le président de la commission spéciale et Mme la rapporteur pour la qualité de leurs travaux.
La majorité du groupe Les Républicains suivra les travaux de la commission spéciale.
À titre personnel, je m’abstiendrai sur les amendements du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC tendant à prévoir la pénalisation du client.
Nous n’avons pas « la » solution. Peut-être devrons-nous étudier ce qui se fait dans les pays qui nous entourent…