La proposition de loi du Sénat en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire nous revient en deuxième lecture après avoir été rejetée par une motion préalable des députés le 4 février dernier. Cela a empêché toute amélioration ou enrichissement de ce texte, alors qu'il aborde des questions importantes pour l'avenir de nos filières agricoles et alimentaires. Depuis notre premier examen en décembre, la situation pour les agriculteurs, et en particulier pour les éleveurs, ne s'est pas améliorée. Une fois passé le salon de l'agriculture, caisse de résonnance médiatique d'un cri de désespoir, n'oublions pas l'appel du monde paysan.
La production porcine est trop importante en Europe alors que certains débouchés importants, comme le marché russe, ont été fermés. Les cours du porc n'ont cessé de chuter, loin de l'objectif de 1,40 euro le kilo affiché l'été dernier. En janvier, le journal Les Échos faisait cette prédiction : « une année terrible s'annonce pour les éleveurs de porcs ». En 2015, les prix du lait prix s'établissaient tout juste au-dessus des 300 euros la tonne. La fin des quotas laitiers a poussé les pays producteurs en Europe, en particulier en Europe du Nord, à développer leur production, pour tirer profit d'une demande mondiale... qui n'a pas été au rendez-vous. L'année 2016 s'annonce difficile. Dans le secteur de la viande bovine, l'atonie de la consommation, combinée à des relations commerciales parfois difficiles au sein de la filière, n'offre pas de perspectives très positives. Le marché est aussi tiré vers le bas par la décapitalisation du troupeau laitier. À cela s'ajoute la crise sanitaire dans le secteur du foie gras dans le Sud-Ouest, à cause d'un épisode de grippe aviaire ayant conduit à des mesures drastiques de vide sanitaire.
La gravité de la crise a conduit les pouvoirs publics à mettre en oeuvre des mesures conjoncturelles : plus de 60 millions d'euros au Fonds d'allègement des charges, prise en charge de 50 millions d'euros de cotisations par les fonds d'action sociale de la MSA, ou encore, reports d'échéances bancaires à travers le dispositif de l'année blanche - très difficile cependant à appliquer.
Nécessaires, ces mesures sont néanmoins un peu tardives, et ne changent pas fondamentalement la donne pour l'agriculture française. Nous payons dans cette crise l'incapacité de l'Europe à s'organiser pour en prévenir ou en réparer les effets. La politique agricole commune (PAC) est orientée vers les marchés depuis 1992 et sa dernière réforme a réduit encore les instruments de régulation : fin confirmée des quotas laitiers, fin programmée des quotas de sucre, limitation à des niveaux très réduits des instruments d'intervention sur les marchés - stockage public et aide au stockage privé.
Lundi dernier, le Conseil des ministres de l'agriculture s'est soldé par quelques avancées, tardives et timides : les Européens vont pouvoir activer la clause de déséquilibres graves autorisant les organisations de producteurs de lait à passer des accords, en dérogation au droit de la concurrence, pour stabiliser les marchés. Mais l'efficacité du dispositif dépend de la bonne volonté de l'ensemble des États membres à le mettre en oeuvre : tout le monde doit adopter la même stratégie, sinon ceux qui réduiront volontairement leur production seront les dindons de la farce. Les plafonds d'intervention pour la poudre de lait et le beurre ont été doublés, avec un effet potentiel de retrait du marché des quantités excédentaires. Des mesures d'aide au stockage privé vont être rétablies dans le secteur porcin. Enfin, la Commission européenne a accepté l'expérimentation en France d'un étiquetage des produits carnés et laitiers transformés. Je réécris l'article 3 pour transposer cette décision.
Au-delà des mesures conjoncturelles, cette proposition de loi promeut des mesures structurelles orientées vers des gains de compétitivité de la ferme France, afin de redonner de la solidité à nos filières. La compétitivité est la condition indispensable du succès de notre agriculture, que cela plaise ou non. Il ne s'agit pas seulement de compétitivité-prix. La compétitivité hors-prix, par la qualité, les labels, la montée en gamme, a aussi un rôle à jouer. Mais n'oublions pas la nécessaire maîtrise des coûts de production.
Cette proposition de loi a également servi d'aiguillon. Le Gouvernement a annoncé une évolution des dispositions sur les relations commerciales de la loi de modernisation de l'économie (LME) : cela se fera dans le projet de loi pour la transparence de la vie économique, dite loi Sapin II. Le même texte devrait imposer l'incessibilité des contrats laitiers à titre onéreux, inscrite à l'article 1er bis de la présente proposition de loi à mon initiative. Avant l'avancée européenne de lundi dernier, le Gouvernement avait annoncé un décret imposant aux transformateurs et aux distributeurs l'indication de l'origine de la viande et du lait en tant qu'ingrédients dans les produits transformés, répondant à la préoccupation exprimée à l'article 3. La déduction pour aléas (DPA) a été assouplie à l'article 35 de la loi de finances rectificative pour 2015 dans le même sens que celui proposé à l'article 6 de la proposition de loi, même si le texte adopté par le Parlement va beaucoup moins loin. Un dispositif exceptionnel d'amortissement accéléré de l'investissement dans les bâtiments d'élevage et les installations et matériels de stockage des effluents a été prévu à l'article 31 du même texte, créant un article 39 quinquies FB du code général des impôts, comme ce que nous avions prévu à l'article 7 : je proposerai de supprimer l'article, désormais satisfait. Un assouplissement du régime des installations classées pour la protection de l'environnement concernant les bovins a été annoncé mi-février par le Premier ministre. Le seuil d'autorisation passerait à 800 animaux pour l'élevage bovin allaitant et 400 pour les vaches laitières, tandis que le régime de déclaration avec contrôle périodique disparaîtrait : ces annonces vont dans le sens de l'article 8 qui allège les normes applicables aux agriculteurs. À la veille du salon de l'agriculture, le président de la République a également annoncé une baisse de 7 points des charges sociales supportées par les agriculteurs, répondant en partie à la demande exprimée à l'article 9, qui concernait plutôt les salariés agricoles.
Plusieurs de nos propositions ont donc prospéré, d'autres peuvent encore être défendues : celle d'allonger de cinq à six ans la durée des exonérations de charges d'un jeune qui s'installe, par exemple, n'a pas été reprise. Nous devrons aussi débattre de l'obligation d'assurance pour les jeunes entrant dans le parcours d'installation, que j'avais fait ajouter dans notre proposition de loi. Enfin, exigeons du Gouvernement qu'il propose rapidement aux jeunes des solutions de financement innovantes, comme les prêts de carrière.
Notre proposition de loi a été singulièrement enrichie sur les normes, en particulier grâce aux amendements de Daniel Dubois : outre l'exigence de simplification du droit applicable aux études d'impact, outre la feuille de route annuelle sur la simplification en agriculture négociée avec les professionnels, nous avons adopté le principe très symbolique de suppression d'une norme existante pour toute création de norme nouvelle.
Continuons à défendre la modulation des échéances d'emprunts, même si la rédaction de l'article 4 peut encore être améliorée par un amendement que je vous présenterai. Le crédit d'impôt en faveur de l'assurance des exploitations agricoles que nous avions ajouté à l'article 6 ter, quoique vertueux, n'a pas non plus été repris. Pour alléger les charges générales, nous avions adopté à l'article 11 bis le principe d'une exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties. Nous regrettons aussi que ni la loi de finances, ni la loi de finances rectificative n'aient permis aux agriculteurs de révoquer l'option de calcul de l'impôt à la moyenne triennale, proposée par l'article 11 pour les revenus de l'année 2015.
Deux points sensibles, enfin, sur lesquels nous pourrons encore travailler d'ici l'examen en séance publique : en première lecture, nous avions adopté des dispositions pour améliorer la transparence des relations commerciales, en sanctionnant les opérateurs refusant de répondre aux enquêtes de l'Observatoire des prix et des marges. Nous avions aussi instauré une incessibilité à titre onéreux des contrats laitiers : les rachats de contrats pèsent négativement sur les résultats des producteurs, alors qu'ils sont déjà fragiles. Conservons une approche très pragmatique, afin de renforcer les capacités de régulation des organisations de producteurs. Le récent rapport du Conseil général de l'agriculture (CGAAER) sur l'application de la contractualisation dans le secteur laitier nous invite à mieux encadrer la deuxième génération de contrats qui va être prochainement négociée : renforcer le contrat-cadre rééquilibrerait les relations commerciales. À ce stade, nous avons conservé le principe d'incessibilité des contrats laitiers, afin d'éviter une restructuration laitière inorganisée qui pénaliserait les seuls producteurs.
En cas de défaillance, les agriculteurs, exploitants individuels, sont le plus souvent responsables de leurs dettes professionnelles sur leur patrimoine personnel. Les outils juridiques existants pour les protéger sont peu utilisés. Poursuivons la réflexion sur leur sécurisation économique. Mon amendement à l'article 4 oblige les établissements financiers à proposer un cautionnement mutuel plutôt que des garanties personnelles. D'autres propositions pourront être faites d'ici la séance.