Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, le 13 novembre dernier, la France a été frappée par les attentats les plus meurtriers perpétrés depuis la Seconde Guerre mondiale : 130 personnes y ont perdu la vie. L’ampleur et la violence de ces événements nous ont rappelé, de la manière la plus douloureuse qui soit, la vulnérabilité de notre démocratie face à la menace terroriste.
Réunis en Congrès à Versailles le 16 novembre dernier, nous étions convaincus de l’urgence d’agir efficacement contre cette menace, pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Le Président de la République y a prononcé devant nous, et à l’adresse du pays, un discours grave et fort, mais dont l’esprit et le vocabulaire ont pu surprendre certains. Il n’est qu’à le citer : « Nous sommes dans une guerre contre le terrorisme djihadiste, qui menace le monde entier et pas seulement la France. »
De quelle « guerre » parlait le Président de la République ? Les criminels qui s’en prenaient à nous étaient donc des « soldats » ? Des soldats de quel État ? Devions-nous reconnaître à Daech la dignité d’un État ?
Dans ce même discours, François Hollande préconisait une réforme de la Constitution afin de permettre « aux pouvoirs publics d’agir contre le terrorisme de guerre, en conformité avec les principes de l’État de droit ». De cette mise en scène est né le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, qui nous réunit aujourd’hui.
Une première question vient à l’esprit : est-ce bien le rôle d’une Constitution d’organiser la lutte contre le terrorisme ? Elle se trouve bientôt suivie d’une autre : est-il légitime d’y insérer deux nouveaux articles qui, à cet égard même et de l’aveu de tout observateur sensé, ne seront d’aucune portée pratique ?
Pour Nils Muižnieks, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, « les terroristes se nourrissent des peurs. Ils veulent nous faire croire que nous devons choisir entre libertés et sécurité. Or une démocratie n’a pas à faire ce choix. Un État démocratique doit s’opposer à la barbarie du terrorisme en évitant d’affaiblir l’État de droit et le respect des droits de l’homme. Ne pas réussir à trouver cet équilibre serait une victoire pour les terroristes. » C’est exactement ce que nous voulons.
Au lieu de chercher à comprendre, non pour excuser, mais pour agir efficacement et pallier nos propres faiblesses, nous continuons d’empiler les lois liberticides, comme nous l’avons fait après les attaques du mois de janvier 2015, sans pour autant – hélas ! – empêcher la tragédie du 13 novembre dernier. En effet, ces lois ne sont qu’une parade politique qui rassure uniquement l’exécutif et certains politiciens soucieux de ne pas rater leur réélection si par malheur un autre attentat se produisait, et beaucoup moins nos concitoyens que l’« état de guerre » proclamé plongent dans la paralysie et la peur.
D’un même mouvement, l’exécutif tente de « divertir » ainsi le peuple, au sens pascalien, d’autres problèmes aussi urgents, comme le chômage.
L’article 1er du présent texte qui a pour objet de constitutionnaliser l’état d’urgence viserait, d’une part, à renforcer les garanties des droits fondamentaux et des libertés publiques et, d’autre part, à adapter ce régime d’exception à la « nouvelle » menace terroriste. Ces arguments, répétés comme un mantra lors des débats à l’Assemblée nationale, sont peu convaincants.
De quelle garantie s’agit-il ? En fait, en gravant dans le marbre de la Constitution la possibilité pour le législateur de fixer les « mesures de police administrative » que les « autorités civiles » pourront mettre en œuvre en violation des libertés et des droits fondamentaux, c’est au contraire l’arbitraire du pouvoir législatif qui est ainsi constitutionnalisé.
Quant à l’idée selon laquelle constitutionnaliser l’état d’urgence permettrait d’adapter ce régime à la menace terroriste actuelle, elle paraît pour le moins contradictoire. L’état d’urgence est, et doit rester, une mesure temporaire prise pour répondre à un péril imminent. Or il me semble que le terrorisme auquel nous faisons face est, pour reprendre l’analyse du politologue Bernard Manin, une menace épisodique, mais par nature permanente.
J’ajouterai que le terrorisme peut être comparé à l’hydre de Lerne de la mythologie antique, ce monstre aux multiples têtes qui repoussaient à mesure qu’on les coupait. S’imaginer pouvoir dissuader d’agir, par l’accumulation de dispositions législatives, des personnes qui n’ont ni foi ni loi relève de la gageure et trahit une paresse de l’esprit.
Que nos gouvernants mettent tant d’énergie à modifier en vain notre Constitution témoigne du peu de respect qu’ils ont non seulement pour la Constitution elle-même, mais aussi pour le législateur en faisant perdre à celui-ci un temps précieux qu’il pourrait employer à d’autres objectifs cruciaux, comme sortir le pays du marasme économique.
Si ce projet avait émané de la droite, la gauche l’aurait critiqué avec véhémence.