Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 16 mars 2016 à 14h30
Protection de la nation — Discussion générale

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Il me paraît en outre d’autant plus vide de sens que nous devrons débattre bientôt d’un énième projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Associé à l’article 2, l’article relatif à l’état d’urgence contribue à plomber un peu plus un climat social déjà délétère, loin de cette « unité nationale » qu’il est peut-être sage de souhaiter, facile de proclamer, mais beaucoup plus difficile de réaliser.

Qui peut croire que l’article 2, qui constitutionnalise la menace d’une déchéance de nationalité, va nous protéger de terroristes qui n’ont que faire de leur nationalité et de leur passeport ?

Dois-je rappeler le clivage qu’a créé cet article aussi bien à droite qu’à gauche ? Cet article a provoqué un tel clivage parce qu’il ne s’agit plus en l’espèce d’opinions partisanes. L’enjeu est d’une autre nature : il s’agit d’une atteinte aux valeurs cardinales de notre République.

Il me semble que M. le Premier ministre n’est pas gêné outre mesure par l’absence de portée pratique de cette disposition, pourvu que le symbole y soit. C’est un peu ce que pensaient hier les partisans de la peine de mort : une fois qu’on était parvenu à leur démontrer son inutilité, il y avait encore le symbole ! Et de quel symbole parlons-nous en l’occurrence ? D’un symbole négatif source de division ! Il semble que, pour certains de nos gouvernants, l’histoire singulière de notre pays ne compte pour rien.

L’acrobatie rhétorique à laquelle on s’est livré en supprimant la mention des binationaux, juste pour obtenir le vote des députés, n’y changera rien. Personne n’a été dupe. Cet article ne concerne que les binationaux, et pas les uninationaux, sauf à fabriquer des apatrides, ce que les traités signés par la France interdisent.

Quelle catégorie de citoyens de seconde zone crée-t-on ici ? Comment parler encore d’unité nationale ? Au nom de cette unité, réellement souhaitée, le général de Gaulle, à la sortie de la guerre, dans une France meurtrie, préféra pour les collaborateurs actifs l’indignité nationale à la déchéance. Là, il y avait un symbole fort. Ne pourrions-nous pas opter pour la même démarche ?

Pourquoi ne pas consacrer tous nos efforts à nous mobiliser autour de la prévention et de la réduction des menaces que le terrorisme fait peser sur notre corps social, en y mettant à la fois plus d’intelligence et plus de pragmatisme ? Pourquoi modifier notre Constitution, dans laquelle doivent se reconnaître des millions de Français, en y insérant un article scélérat inspiré de l’extrême droite qui ne s’appliquera au mieux qu’à une poignée d’individus ne méritant certainement pas d’être même mentionnés dans la charte fondatrice de notre République ? Avons-nous pensé à l’usage que pourrait en faire cette extrême droite si un jour elle arrivait au pouvoir ?

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