Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce fut évident pour nous tous, le Congrès de Versailles fut un moment solennel, un moment fort où le Président de la République annonça sa volonté de réviser notre Constitution, afin de l’adapter à la réalité nouvelle du péril et de la menace.
Comme vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, notre pays est en guerre. Jamais la France n’a été visée de la sorte. Aujourd’hui, beaucoup s’interrogent sur l’opportunité juridique de cette révision constitutionnelle, alors que les deux principaux articles du projet de loi constitutionnelle renvoient à des mesures déjà prévues et encadrées dans notre droit positif.
Depuis la loi de 1955, les différents textes relatifs à l’état d’urgence encadrent clairement les conditions de procédure de sa mise en œuvre. Au demeurant, le Conseil constitutionnel a admis l’existence de l’état d’urgence et a clairement déclaré celui-ci conforme à la Constitution.
Dès lors, pourquoi inscrire ce dispositif dans la Constitution ? Telle est la question lancinante.
Au-delà du symbole fort, cette inscription donnerait aux pouvoirs publics une légitimité renforcée. Au-delà de la garantie, de la légitimité et de l’encadrement constitutionnels dont bénéficierait alors ce mécanisme, elle permettrait de renvoyer à une loi organique le soin de prévoir le régime respectif de l’état de crise et de sa mise en œuvre.
Le nouvel article 36-1 de la Constitution adopté par l’Assemblée nationale renforce et aménage les conditions de déclenchement de l’état d’urgence et renvoie à un futur projet de loi d’application l’énoncé des mesures dérogatoires pouvant être prises durant l’application de celui-ci.
Le Sénat peut saluer – et il doit le faire ! – le travail de la commission des lois, particulièrement de son président et rapporteur, Philippe Bas, reprenant les principes énoncés le 16 novembre dernier à Versailles. Les amendements que défendra notre collègue sont les bienvenus en ce qu’ils visent à fixer des limites aux pouvoirs de police administrative, à accroître les prérogatives de contrôle du Parlement, du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de l’autorité judiciaire, et à limiter dans le temps le délai maximal de prorogation de l’état d’urgence.
Ce faisant, le Sénat est dans son rôle essentiel en assurant cette pondération.
Concernant la question de la déchéance de nationalité, le Conseil constitutionnel s’est prononcé à deux reprises sur la procédure et a déclaré conforme à la Constitution une telle déchéance, tout en précisant qu’il s’agissait bien là d’une sanction.
Par ailleurs, cette disposition n’a pas été considérée comme étant contraire à nos engagements internationaux.
La démarche du Gouvernement est donc inédite : elle s’inscrit davantage dans le registre de la prévention, en anticipant une éventuelle décision contraire du Conseil constitutionnel.
Ainsi en est-il de l’engagement pris par le Président de la République devant le Congrès qui prévoyait de compléter l’article 34 de notre Constitution pour habiliter expressément le législateur à fixer les conditions dans lesquelles un Français de naissance qui détient une autre nationalité peut être déchu de la nationalité française. Cette rédaction prévenait le risque d’apatridie. Mais le débat qui s’est ensuivi à l'Assemblée nationale s’est fait dans la confusion.
Pourquoi avoir accepté, monsieur le Premier ministre, que les députés prennent le contre-pied de la position annoncée par le Président de la République lors du Congrès ?
Il n’est plus question de Français de naissance, ni de condition de binationalité. Face à cette nouvelle rédaction, vous avez pris l’engagement devant les députés de ratifier la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie et de prévoir, dans la loi ordinaire, que la déchéance de nationalité ne pourra être prononcée si elle a pour effet de rendre l’intéressé apatride.
Très franchement, vous nous donnez un peu le tournis ! Vous posez dans la Constitution un grand principe, que vous vous empressez ensuite de corriger par la voie d’une loi, qui plus est, ordinaire ! Tout cela manque de clarté. Là encore, inspirez-vous, monsieur le Premier ministre, de la position de la commission des lois qui est empreinte de responsabilité !
Malgré tous ces arguments, je n’aurais pas de scrupule, pour peu que vous l’entendiez et que vous l’acceptiez, à soutenir l’esprit des projets du Président de la République issus du Congrès de Versailles et les projets eux-mêmes. Ne nous enfermons pas dans le juridisme excessif, comme l’a souligné Roger Karoutchi !