Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 16 mars 2016 à 21h45
Protection de la nation — Article 1er, amendement 25

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Le Gouvernement est réservé sur le sous-amendement n° 25 rectifié, pour ne pas dire qu’il y est défavorable. Deux états d’exception sont pour l’heure constitutionnalisés ; le Gouvernement propose qu’il y en ait un troisième, et nous essayons, sans qu’il y ait de vérité révélée en la matière, de rechercher une sorte de parallélisme des formes.

Aux termes de l’article 16 de la Constitution, le Parlement est consulté, par le biais des présidents des chambres, parce que le fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. Dans ce cas, le constituant de 1958 a estimé qu’il était utile d’interroger le pouvoir législatif.

Dans le cas de l’état d’urgence, il n’y a pas d’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics. De surcroît, les dispositions de la loi de 1955 ont déjà été intégrées et vous y avez ajouté le contrôle parlementaire, qui, selon nous, suffit amplement à associer le Parlement, au-delà d’ailleurs d’une simple consultation.

Sur les autres sous-amendements, le Gouvernement partage le point de vue exprimé excellemment par M. Bas. Là encore, certaines notions peuvent parfois apparaître imprécises, alors qu’en réalité elles sont bien définies par les jurisprudences, notamment celle des tribunaux administratifs. Je pense en particulier à la notion d’« atteintes graves à l’ordre public », très bien fixée par la jurisprudence du Conseil d’État, voire par celle du Conseil constitutionnel, qui a fait de la prévention des atteintes graves à l’ordre public un objectif à valeur constitutionnelle. Par conséquent, la référence à cette notion est source de sécurité juridique.

La notion de « péril imminent » a une vocation préventive, mais j’attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que le péril imminent doit naître d’atteintes graves à l’ordre public, qui est donc une notion bien définie. Dans ces conditions, le Gouvernement n’est pas convaincu qu’il soit utile de préciser cette formulation, comme certains d’entre vous le proposent.

Par exemple, le sous-amendement n° 38 rectifié tend à remplacer les mots « péril imminent » par les mots « danger public exceptionnel menaçant la vie de la nation ». Or le péril imminent peut ne concerner qu’une partie du territoire et de la population, et non la Nation tout entière. Ainsi, un précédent gouvernement a décrété l’état d’urgence sur le seul territoire de la Nouvelle-Calédonie. Il nous semble donc que la rédaction actuelle du texte est suffisamment sécurisée pour qu’il ne soit pas nécessaire d’introduire les précisions proposées, qui seraient à mon sens davantage source de confusion que de clarification : je le dis avec beaucoup d’humilité car, en la matière, il n’existe ni argument d’autorité ni vérité absolue.

Par conséquent, le Gouvernement sollicite lui aussi le retrait de ces sous-amendements ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Pour les mêmes raisons, le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 6 de la commission visant à supprimer le motif de calamité publique pour justifier la déclaration de l’état d’urgence. De notre point de vue, la référence à cette notion a une vocation « curative ». Certes, il n’y a jusqu’à présent jamais été recouru pour justifier l’instauration de l’état d’urgence, mais on peut parfaitement imaginer que, en cas d’accident technologique ou d’épidémie particulièrement fulgurante, cela puisse se révéler nécessaire. Par conséquent, il ne nous semble pas souhaitable de supprimer cette possibilité, qui pourrait s’avérer utile pour faire face à une crise civile de très grande ampleur. Le Gouvernement ne peut que constater, à regret, son désaccord avec le rapporteur sur ce point.

Enfin, dans le même esprit, l’amendement n° 70 rectifié ne nous paraît pas non plus compléter utilement la rédaction actuelle du texte. L’avis est donc défavorable.

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