Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 22 mars 2016 à 15h15
Protection de la nation — Explications de vote sur l'ensemble

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

La capture à Molenbeek par la police belge, en collaboration avec les services français, de Salah Abdeslam, dernier membre présumé en vie du commando des attentats du 13 novembre, démontre une fois de plus que ce n’est pas l’inflation législative qui résoudra le problème complexe de la menace terroriste.

La coordination et la coopération européennes en matière de renseignement et de police se révèlent en revanche vitales pour accroître l’efficacité de la lutte antiterroriste.

Ni les événements récents, ni le fond ou la forme des débats de la semaine dernière n’ont infléchi notre position sur cette constitutionnalisation.

Sur la forme, d’abord, puisque le Premier ministre a annoncé d’emblée que la proposition du Sénat ne serait jamais adoptée par une majorité de députés, il aurait donc fallu, pour ne pas lui déplaire, que les sénateurs, dans leur pluralité d’opinions, taisent leurs convictions et votent conforme ce projet de loi.

Quand certains ont osé émettre des réserves, pointer les abus auxquels pouvait donner lieu la mise en place de l’état d’urgence et, parfois, renvoyer le Gouvernement à ses contradictions, la réponse de celui-ci a consisté à occulter les faits.

Monsieur le garde des sceaux, vous n’avez pas répondu à la remarque sur les abus liés à l’état d’urgence que j’ai faite lors de l’une de mes explications de vote. Votre silence est-il un aveu ?

Avant la deuxième prorogation de l’état d’urgence, on dénombrait 3 189 perquisitions administratives, menées de jour et de nuit, certaines avec grand fracas et parfois humiliation des familles, 541 armes saisies, 382 interpellations, 406 assignations à résidence. Par ailleurs, 200 poursuites judiciaires avaient été engagées, mais seulement quatre procédures effectivement en lien avec le terrorisme ont été ouvertes, sans parler des assignations à résidence abusives, comme celles qui ont visé de simples militants écologistes pendant la COP 21.

Peut-être est-il plus urgent de pister de futurs terroristes, de réformer nos services de renseignement, de raccourcir les délais d’intervention de la police, de mieux gérer le numéro vert, saturé le 13 novembre, ou la communication à l’intérieur de la police, de faire lire à vos collaborateurs les travaux des chercheurs sur le terrorisme, d’investir plus et mieux pour désendoctriner et réinsérer les candidats au djihadisme, d’assainir le terreau dans lequel celui-ci se développe…

À vous écouter, monsieur le garde des sceaux, la déchéance de nationalité ne concernera pas que les binationaux, elle ne vise que les terroristes, et ceux qui contestent une telle mesure n’ont rien compris ou sont des émotifs. Qu’importent les 5 millions de Français binationaux, qui se sont sentis stigmatisés, et tous ceux, binationaux ou pas, qui ont été scandalisés qu’un gouvernement de gauche soit à l’initiative d’une telle disposition !

Il est également à regretter que le président Bas, avec la bénédiction du Gouvernement, ait eu recours à un article du règlement réduisant à néant l’espace d’expression des opposants à la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité. Plus de soixante-dix sénateurs issus de tous les groupes de notre assemblée étaient pourtant signataires d’amendements de suppression de l’article 2, amendements qui n’auront été ni défendus ni mis aux voix.

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