Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, ce deuxième collectif budgétaire de l’année intervient dans un contexte de triple sauvetage : sauvetage de notre partenaire grec, qui n’est plus aujourd’hui en capacité de trouver sur les marchés la ressource qu’il doit emprunter ; sauvetage de la zone euro, de l’union monétaire, qui, à force de tergiversations, a frôlé le collapsus et doit se ressaisir d’urgence ; sauvetage, enfin, des créances détenues par les banques, parmi lesquelles les banques françaises figurent en bon rang.
La France, depuis le début de cette crise, a joué pleinement son rôle. Au nom du devoir de solidarité, au nom de la haute idée qu’elle se fait de l’Europe, comme destin partagé entre toutes les nations qui la composent, elle a d’emblée tracé les grandes lignes d’un plan d’action qui a fini par s’imposer à tous.
Je suis reconnaissant au Gouvernement de son action et je l’en félicite.
Sans aucun suspens, je crois pouvoir dire que la plupart d’entre nous ici voterons un projet de loi de finances rectificative dont, finalement, la principale qualité est de nous révéler à quel point nous sommes aujourd’hui « dos au mur », contraints de réagir et d’abandonner les faux-semblants qui nous ont, collectivement, conduits à l’épisode désastreux que nous venons de vivre.
Au fond, comme vient de le rappeler avec brio M. le rapporteur général, tous ces événements, qui se traduisent par la mise sous protectorat de la Grèce, par la dégringolade de l’euro, par un risque pas encore complètement écarté de désintégration de la monnaie unique, tout cela n’était-il pas éminemment prévisible ?
Nos partenaires grecs n’ont pas su abandonner des pratiques comptables et budgétaires regrettables, qui les ont conduits à l’impasse actuelle. Certes ! Mais le problème n’est-il pas plus profond, et comme inscrit dans la genèse même de la monnaie unique ? En effet, ce que révèle la crise dramatique que nous traversons, ce sont, me semble-t-il, les graves défauts, les graves fragilités, les graves lacunes de la gouvernance de la zone euro.
Qu’il me soit permis d’évoquer ici mes souvenirs de ministre des finances ayant participé à l’élaboration du pacte de stabilité et de croissance à Dublin, à l’automne 1996.
La monnaie unique était le complément indispensable du marché unique. Au début des années quatre-vingt-dix, la démonstration en était livrée avec éclat, chaque mois, par les dévaluations compétitives qui sapaient la croissance et détruisaient massivement les emplois. Il fallait donc une monnaie unique et nous avons pris le risque de faire naître, pour la première fois dans le monde, une monnaie orpheline d’État.
Pour pallier l’absence de pouvoir politique et le déficit de gouvernance économique, nous avons dû concevoir un règlement de copropriété de l’euro, gage de viabilité et de crédibilité du système. Malheureusement, les transgressions se sont multipliées. Certains États, et sans doute aussi la France, se sont parfois laissés aller à des déficits excessifs, car ils n’encouraient pas la sanction monétaire, le risque de dévaluation n’existant pas.
Nous connaissions d’emblée les difficultés que la mise en œuvre de cette monnaie unique finirait, tôt ou tard, par engendrer : parce que les économies qui cohabitent au sein de la zone euro sont très hétérogènes et ne convergent pas spontanément ; parce que les mécanismes de surveillance et de contrainte prévus par le pacte sont insuffisants, mais aussi lacunaires, pour ne pas dire défaillants. Convenons, au surplus, que le juge politique –la décision finale était en effet politique ! – a du mal à se montrer rigoureux. La crise grecque n’a été que le révélateur d’un vice originel, et nous ne pouvions pas ignorer ce qui finirait par arriver.
Je veux souligner, après M. le rapporteur général, l’ardente nécessité d’améliorer la gouvernance de l’Eurogroupe. Cette institution doit mettre en place des mécanismes de surveillance mutuelle et de sanction permettant d’entraver l’apparition des crises, bien plus en amont qu’elle ne le fait aujourd’hui. J’espère que cette crise constituera l’électrochoc salutaire dont nous avions besoin.
Il existe une Cour des comptes européenne, dont le champ de compétence s’arrête aux instances de l’Union et aux organismes recevant des fonds communautaires. Ne pourrait-on concevoir une structure supranationale d’audit et d’évaluation des comptes de l’ensemble des collectivités publiques membres de l’Europe ? Ne pourrait-on imaginer des audits croisés, réalisés par les cours des comptes des différents États membres, dans le cadre de cette surveillance mutuelle évoquée par Philippe Marini dans le rapport de la commission ?
Notre audition des représentants d’Eurostat, voilà un mois, nous a convaincus de la nécessité d’instituer une autorité européenne des comptes publics indépendante, et disposant de moyens humains et matériels conséquents. Le contrôle portant sur la sincérité des comptes transmis par les États membres ne peut pas continuer de reposer sur une vingtaine de collaborateurs, dont la capacité d’expertise et de réaction est nécessairement limitée.
Un enseignement majeur de la crise tient, enfin, au devoir d’exemplarité de la France, qui doit renvoyer à ses partenaires, aux opinions publiques et aux marchés financiers l’image d’un acteur fiable, résolument engagé sur la voie du redressement de ses finances publiques, sans faux-semblants et sans double langage.
Nous avons fait parvenir à Bruxelles un programme de stabilité par lequel nous avons annoncé notre volonté de revenir au respect des critères maastrichtiens en 2013, comme la Commission européenne nous l’avait demandé. Convenons, madame la ministre, monsieur le ministre, que ce document repose sur des hypothèses optimistes, … peut-être trop !