Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 29 mars 2016 à 14h30
Lutte contre le crime organisé et le terrorisme — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Ce texte a été élaboré dans la précipitation, dans des conditions, hélas ! similaires à celles qui prévalaient le lendemain des attentats du 13 novembre dernier. Nous sommes dans l’exacte prolongation de la frénésie législative, qui touche tant l’exécutif que l’opposition et qui démontre d’abord notre faiblesse et notre difficulté à faire face, qu’exploitent d’ailleurs les criminels que nous combattons.

Pendant des années, la gauche s’est élevée contre un mécanisme qu’elle résumait par la formule : « Un fait divers, une loi ! » Aujourd’hui, notre exécutif a bel et bien mis le doigt dans ce terrible processus. On finira par conduire le pays vers un État de surveillance, puisque la sécurité est en train de se transformer en premier des droits au mépris de tous les autres, à travers un empilement de lois liberticides et, de surcroît, inopérantes.

On en vient ainsi à confondre le droit à la sûreté, inscrit dans la Déclaration de 1789, avec la sécurité à tout prix. Nos concitoyens ont besoin de cette sûreté, qui fait le lien entre sécurité et liberté, mais non de cette sécurité que vous tentez de nous imposer et qui tend à nous faire basculer dans un État de contrôle. Or notre État de droit n’est pas impuissant, il est seulement déboussolé par la complexité du phénomène terroriste, par la nouveauté de ses manifestations, par les failles de nos services de renseignement ou encore par le manque de coopération internationale.

Comme l’écrit Mireille-Delmas Marty, « la paix ne se gagnera pas en engageant le monde dans une surenchère répressive sans fin, mais en soumettant les pratiques de surveillance à un contrôle impartial et indépendant ». Seule la réaffirmation constante des principes de l’État de droit et de la démocratie peut constituer une réponse forte à des terroristes tentant de les mettre à bas.

Nous avons adopté trente lois antiterroristes entre 1999 et 2016. Ont-elles empêché le terrorisme d’opérer avec tant de facilité ? N’est-il pas temps de remettre la réflexion au centre ? Le présent texte est, à tous égards, emblématique, et il sera examiné en procédure accélérée. Or un projet de loi aussi dense et hybride, porteur de mesures conduisant à introduire dans le droit commun plus d’exceptions et de modifications majeures de notre procédure pénale, ne méritait-il pas que le législateur travaille dans de bonnes conditions plutôt que dans la précipitation ?

Je précise toutefois que les parties relatives à la protection des témoins et que les mesures financières sont plutôt positives.

Une fois encore, on nous demande de faire du replâtrage au lieu de conduire une réflexion d’ensemble sur l’architecture de la procédure pénale et de la sûreté intérieure. Au mieux, ce replâtrage rassure des politiciens en quête de gratification immédiate… Comme si une loi de plus, vite gravée dans le marbre, suffisait à témoigner de l’effort fait pour protéger la Nation ! N’oubliez pas, chers collègues, cette étonnante référence à la protection de la Nation dans l’intitulé du projet de loi constitutionnelle qui nous a été soumis récemment.

Comme le souligne la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, dans ses observations : « Une réforme de grande ampleur devrait se nourrir des apports de la recherche en sciences sociales. […] Connaître les causes est la première condition de la protection contre la menace. » Nous en sommes loin… Ces textes qui nous arrivent en flux continu ne sont que pansements posés sur des plaies vives, qui n’en resserrent pas moins à chaque fois l’étau sur nos libertés.

Souvenons-nous des mots de Jens Stoltenberg, premier ministre norvégien, à la suite de l’attentat d’Oslo et du massacre d’Utoya : « Nous ne devons pas renoncer à nos valeurs. Nous devons montrer que notre société ouverte peut faire face à cette épreuve. Que la meilleure réponse à la violence est encore plus de démocratie. Encore plus d’humanité. » Ce projet de loi est aux antipodes d’une telle attitude et répond à la terreur par une diminution des libertés individuelles et de la protection des droits fondamentaux ; aussi, le groupe écologiste s’y opposera.

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