Intervention de Alain Richard

Réunion du 29 mars 2016 à 14h30
Lutte contre le crime organisé et le terrorisme — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain RichardAlain Richard :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’examen du présent projet de loi doit se placer sous le signe de la permanence, et non de l’événementiel, parce que nous savons – j’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle – que l’offensive contre la société démocratique européenne qui est engagée depuis maintenant bien des années est durable. Cette offensive aura d’autres manifestations, nous connaîtrons sous peu d’autres périls, parce que la source d’impulsion du mouvement meurtrier qui nous frappe par ses actions terroristes est toujours là. Nous l’identifions aujourd'hui comme l’État islamique, mais nous savons aussi, ne serait-ce que par ce qui se passe, par exemple, en Afrique de l’Ouest ou dans la péninsule arabique, que cette source peut connaître des démultiplications.

Même si l’État islamique se trouve pour le moment affaibli militairement, nous savons bien que cela ne ralentira pas – en tout cas, pas à court terme – sa capacité d’organiser de nouvelles actions meurtrières.

Le projet de loi que nous examinons cet après-midi vise à renforcer la lutte à la fois contre le terrorisme et contre la grande criminalité.

De fait, il y a de sérieuses raisons de rapprocher ces deux phénomènes, qui, l’un comme l’autre, exploitent différents trafics, notamment le trafic des armes et des stupéfiants, recourent au blanchiment…

En outre, nous voyons bien, à mesure que les enquêtes sur les actes de terrorisme déjà perpétrés se déploient, qu’un très grand nombre des auteurs de tels actes et de leurs complices étaient déjà engagés dans le milieu de la criminalité – souvent, dans une criminalité d’« habitude ».

Le projet de loi comporte une série de mesures relatives à l’action de la justice ; de nombreux orateurs les ont déjà évoquées.

Pour ma part, je veux plutôt appeler l’attention du Sénat sur les moyens de prévention qui y sont développés.

Nous devons être conscients – il me semble que tous les membres de cet hémicycle le sont – de la difficulté que pose l’anticipation des préparatifs d’actions terroristes. En effet, il n’existe pas, en la matière, de science exacte ni de mécanisme garanti pour identifier à l’avance les individus effectivement dangereux.

Pour que cette prévention soit efficace, un éventail de mesures est nécessaire. Certaines d’entre elles existent déjà.

L’expérience de l’état d'urgence a montré la différence entre une situation dans laquelle on doit attendre la réalisation des délits et des crimes et la période au cours de laquelle une action préventive est possible.

Sur ce plan, le présent projet de loi contient des outils d’action préventive supplémentaires qu’il faut soutenir et saluer.

Le premier consiste à améliorer l’information rapide sur les individus repérés, mais que l’on situe à la limite d’entreprendre des actions terroristes : c’est la retenue de quatre heures.

Nous disons presque tous dans cette enceinte que cette mesure permet de consulter les fichiers. En réalité, s’il ne s’agissait que d’une consultation, qui est un acte quasi instantané, la durée de quatre heures ne serait pas véritablement justifiée.

Pourquoi ce laps de temps est-il nécessaire ?

D’une part, pour lever les doutes pouvant exister sur l’identité de l’individu contrôlé, car de multiples faits ont démontré, ces derniers mois, la capacité « quasi industrielle » – comme M. le ministre de l’intérieur l’a souvent qualifiée – des mouvements terroristes à fabriquer de faux documents. Au reste, même si l’on parvient à mettre en place une meilleure coopération à l’avenir, les faux documents ne disparaîtront pas du jour au lendemain !

D’autre part, le fichage qui permet d’identifier un individu peut être plus ou moins sérieusement et plus ou moins complètement documenté.

Par ailleurs, s’agissant de mouvements très internationalisés, qui traversent les frontières, les vérifications ont nécessairement un caractère international. Dans le cas du contrôle d’un ressortissant étranger, nos services ont besoin de disposer d’un certain délai pour effectuer les recoupements nécessaires avec les informations relevées à l’encontre de cette personne par les services de renseignement étrangers.

Il s’agit donc bien d’un outil préventif qui permet de fiabiliser les renseignements recueillis sur une personne au prix, il est vrai, d’une sorte de préavis : l’individu placé en retenue de quatre heures aura compris qu’il était identifié comme un complice éventuel d’actions terroristes et se montrera d’autant plus prudent. Mais cela peut aussi s’avérer positif.

Dès que les informations suffisantes seront recueillies, la procédure basculera vers une mise en examen, sur la base de faits vérifiés.

Autre mesure de prévention ou d’anticipation, le repérage des participants aux actions armées menées à l’étranger. On arrive à identifier, parfois plusieurs semaines après leur retour sur le territoire, les personnes ayant choisi d’accompagner les mouvements armés de l’État islamique ou d’autres formations terroristes à l’étranger.

La mesure de contrôle administratif permet, comme on le dit chez les enquêteurs, de « loger » ces personnes en leur imposant une limite géographique, une obligation de pointage et une interdiction de contacts. Cela permet de disposer d’un minimum de temps – le rapporteur et la commission ont retenu une durée de deux mois, alors que l’Assemblée nationale et le Gouvernement proposaient un mois – pour vérifier si la personne est encore dans un circuit de préparation d’actes terroristes, auquel cas elle sera soumise à la justice, ou s’il s’agit d’un individu en phase de reprise avec la société, notamment d’une personne qui reconnaît l’erreur qu’elle a commise en se rendant auprès des militaires terroristes et dont l’aide peut s’avérer utile au repérage d’autres tentatives.

Nous sommes donc à la limite de la procédure judiciaire et de la prévention, puisque cet outil permet soit de poursuivre la personne à l’encontre de laquelle d’autres faits ont été relevés, soit de recueillir de précieuses informations.

D’autres mesures vont également dans le sens de la prévention. Je songe, par exemple, au resserrement du contrôle de la détention d’armes à travers l’interdiction individuelle de détention d’armes décidée par le préfet, à l’autorisation de la technique d’infiltration en matière de trafic d’armes pour la police nationale, la gendarmerie et les douanes et à l’extension du fichage génétique aux trafiquants d’armes de manière, là encore, à repérer les réseaux.

Michel Sapin a évoqué les mesures visant à renforcer l’efficacité de la lutte contre le financement du terrorisme. Il s’agit d’un aspect très important de ce texte.

Je voudrais enfin dire un mot d’un autre dispositif à caractère préventif, bien qu’il se situe déjà dans le cadre de la procédure judiciaire, et dont je ne peux pleinement me satisfaire : il s’agit de la protection des témoins.

Nous voyons bien, à travers les enquêtes, qu’un certain nombre de personnes, appartenant au second cercle des connaissances des auteurs ou des complices d’actions terroristes, auraient pu transmettre des informations. Et si elles n’ont pas témoigné, c’est sans doute, pour beaucoup d’entre elles, par crainte des représailles.

Le code de procédure pénale permet aujourd’hui de protéger partiellement les témoins grâce, par exemple, au huis clos ou au témoignage anonyme. Ces dispositifs permettent de protéger le témoin contre les agresseurs extérieurs au procès qui risqueraient de l’identifier.

En revanche, les personnes poursuivies dans le cadre du procès n’ignorent rien du témoin, ce qui nourrit la crainte de ces membres du second cercle. S’ils témoignent, ils savent que l’auteur de l’acte pourra les identifier.

Le décret d’application de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et qui met en place une protection complète des témoins n’a été pris qu’en 2014 ! Il me semble que nous n’avons, ni les ni les autres, à nous en enorgueillir… Je n’ose demander au Gouvernement combien de personnes bénéficient aujourd’hui de ce dispositif, craignant que les doigts d’une main ne suffisent largement à les dénombrer.

Il me semble que le Gouvernement doit réfléchir à ce sujet en matière d’actes terroristes graves. Aujourd’hui, les témoins ne sont pas assez protégés.

Nous allons avoir un débat approfondi sur ces questions. La preuve en est l’indulgence inhabituelle de M. le président §

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