Intervention de Didier Marie

Réunion du 5 avril 2016 à 15h15
Dialogue avec les supporters et lutte contre le hooliganisme — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi, avant que nous n’abordions ce texte dans le détail, de procéder à un petit rappel de contexte. On ne peut pas traiter du supportérisme et du hooliganisme sans rappeler que le sport permet le dépassement de soi et qu’il est porteur de valeurs universelles de solidarité, de respect de l’autre et des règles communes, ainsi que d’un message de concorde.

Si chacun s’accorde à en reconnaître les vertus, tant pour la santé physique et mentale de ceux qui le pratiquent que pour son incidence sociale à travers les valeurs qu’il prône et les vrais moments de communion qu’il permet de vivre, il est aussi un miroir de notre société et de ses dimensions moins glorieuses : compétition acharnée, attrait et pouvoir de l’argent, individualisme et, dans les cas les plus extrêmes, nationalisme et xénophobie.

Le sport, depuis ses origines, doit composer entre sa dimension humaniste et les passions exacerbées qu’il suscite. Ainsi, la violence, dans les stades et autour de ceux-ci, ne date pas de l’ère contemporaine. Déjà les légions romaines, à l’instar de nos forces de l’ordre, intervenaient pour réprimer les débordements de ceux que l’on n’appelait pas encore les supporters lors des courses de chars à Constantinople.

Les chars ont disparu, mais la violence est malheureusement toujours là. Les stades en ont donné l’illustration la plus vive, non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi chez nous. J’en veux pour preuve les derniers incidents en date qui se sont déroulés au Havre, dans mon département.

On peut s’interroger sur les causes de ces comportements : présence nombreuse, effet de foule, confrontation d’équipes dont l’une, gagnante, est possiblement arrogante et l’autre, perdante, probablement frustrée…

Toutes les explications peuvent être fournies et les études ne manquent pas. Il n’en reste pas moins que la violence, qui doit être en permanence prévenue, contenue et réprimée, est inacceptable.

Dans le même temps, les événements sportifs ont toujours rassemblé des foules enthousiastes, venues partager un spectacle, soutenir l’image de leur territoire et l’excellence de ses représentants. Ce sont, pour elles, des moments de convivialité et de partage, créateurs de lien social, qu’il faut absolument préserver.

C’est pourquoi il faut, sans relâche, et en s’adaptant aux évolutions de notre société, rechercher et trouver le meilleur équilibre possible entre le maintien de la sécurité dans nos stades et la reconnaissance des valeurs portées par les supporters.

De nombreuses réflexions ont déjà été engagées sur cette question, comme l’ont rappelé les précédents orateurs : la révision en cours de la convention européenne de 1985, le Livre vert de 2010, le rapport de Jean Glavany intitulé Pour un modèle durable du football français, ou encore la proposition de loi de notre collègue et ami Dominique Bailly, dont nous reprendrons, sous forme d’amendements, plusieurs préconisations.

La présente proposition de loi, dans son aspect répressif, complète un arsenal déjà important qui a permis de réduire les actes de hooliganisme, notamment à travers la mise en œuvre du fichier national des interdits de stade, même si nous constatons un rebond des incidents en 2015.

Il est utile de préciser que si ce fichier s’adresse à toutes les manifestations sportives, il concerne essentiellement le football, qui cumule, à lui seul, 367 interdictions de stades en 2015, contre 3 pour le rugby, 3 pour le basket et aucune pour les autres disciplines sportives.

De façon plus générale, ce texte a le mérite de clarifier la répartition des rôles en matière de sécurité entre les organisateurs de manifestations sportives et l’État, et de responsabiliser les premiers en leur donnant les moyens d’assumer pleinement leurs obligations : refus d’accès au stade, résiliation d’abonnement, création de fichiers spécifiques.

Ces dispositions ont été encadrées pour préserver les libertés fondamentales. Toutefois, elles mériteraient de l’être davantage encore pour rassurer les supporters, qui craignent de possibles décisions arbitraires visant à éloigner du stade des personnes revendicatrices, mais peu ou pas dangereuses pour autant. Plusieurs des amendements déposés vont dans ce sens.

Le texte prévoit également d’allonger la durée des interdictions administratives de stade. Si l’on peut admettre cette mesure afin de rendre ces interdictions pleinement efficaces, j’attire votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur l’usage croissant de telles interdictions : celles-ci n’ont en effet pas vocation à se substituer aux mesures judiciaires et sont trop souvent assorties d’obligations de pointage qui peuvent rendre la vie d’un supporter particulièrement difficile quand le club qu’il soutient dispute près de soixante rencontres par an. Nous le rappelons : ces mesures doivent être strictement proportionnées aux risques que représente la personne concernée.

Enfin, il nous paraît judicieux d’étendre les interdictions judiciaires à ce que l’on appelle les « fan zones », tout en considérant nécessaire d’en préciser le périmètre.

Sur les sept articles que compte cette proposition de loi, cinq concernent la dimension répressive. L’article 5, particulièrement important et attendu, marque un véritable tournant en ce qu’il reconnaît – enfin ! – l’existence, le rôle et la place des supporters. Il existe aujourd’hui une réelle volonté de la part de ces derniers de se structurer et de devenir des interlocuteurs crédibles des autorités et des clubs. Cela s’est traduit par la tenue des assises du supportérisme, ici même, au Sénat, et par la création du Conseil national des supporters de football et de l’Association nationale des supporters.

Il est indispensable d’accompagner les supporters et de stimuler leur rôle non seulement social et démocratique, mais aussi d’acteurs de prévention des comportements indésirables.

Les associations de supporters doivent être reconnues et dissociées clairement des hooligans : elles jouent un rôle d’intégrateur social pour leurs membres et de consolidation des identités individuelles et collectives, notamment pour les plus jeunes ; elles constituent des espaces d’apprentissage de la vie associative et militante ; elles sont enfin régulatrices de la violence lorsqu’elles exercent un contrôle efficace sur leurs membres – c’est la raison pour laquelle nous considérons qu’elles doivent avoir connaissance des interdits de stade liés à leur club.

Les autorités publiques, les collectivités territoriales, mais aussi les sociétés commerciales organisatrices d’événements sportifs doivent poursuivre et approfondir le dialogue avec ces associations – et, quand cela n’est pas encore fait, l’engager – et aider à leur structuration.

Ainsi, l’amélioration de la représentation de ces associations, à travers la création d’une instance nationale du supportérisme, est une excellente décision, qui mériterait d’être prolongée – ce sera l’objet de deux amendements. Ce serait le gage d’une plus grande transparence et d’une plus grande durabilité du sport, vecteur de cohésion sociale et de responsabilité sociétale.

Nous plaidons donc, monsieur le secrétaire d’État, pour que soit trouvé le meilleur équilibre entre adaptation des mesures répressives, garantie des libertés individuelles et reconnaissance du rôle des associations. Nous soutiendrons toutes les avancées qui feront de ce texte une loi contre les hooligans et pour les supporters.

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