Intervention de Catherine Troendle

Réunion du 6 avril 2016 à 21h30
Information de l'administration et protection des mineurs — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Catherine TroendleCatherine Troendle, en remplacement de M. François Zocchetto, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire :

Il me revient de vous présenter les conclusions de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs, en remplacement de notre rapporteur, M. François Zocchetto, qui nous prie d’excuser son absence.

La commission mixte paritaire, réunie le mardi 22 mars à l’Assemblée nationale, est parvenue à un accord, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir, compte tenu de l’importance du sujet.

Je tiens à saluer l’ouverture d’esprit dont a su faire preuve le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Erwann Binet, en œuvrant, de concert avec François Zocchetto, à la construction de ce compromis.

Après l’adoption de ces conclusions par l’Assemblée nationale la semaine dernière, nous sommes appelés à nous prononcer dans une ambiance un peu particulière, eu égard aux événements qui se sont déroulés à la maison d’arrêt de Corbas dans la nuit de lundi à mardi derniers et qui vont priver un grand nombre de familles d’un procès pourtant attendu.

Mes chers collègues, je ne puis que vous inviter à adopter les conclusions auxquelles la commission mixte paritaire est parvenue. Sur ce dossier, en effet, trop de temps a été perdu depuis un an. Je ne reprendrai pas l’historique, mais je déplore que nous n’ayons pas été mis en mesure de nous prononcer sur un texte consacré à ce sujet dans des délais plus rapprochés des événements dramatiques survenus au printemps 2015, qui ont conduit à la prise de conscience de la nécessité de remédier à certaines lacunes de notre législation.

Sur ce sujet, le Sénat a su faire preuve d’ouverture d’esprit et infléchir les positions qu’il avait prises en octobre dernier.

Je souhaite le dire avec force : pour un grand nombre de sénateurs, le principe d’une communication d’informations à l’administration par l’autorité judiciaire sur des procédures pénales en cours n’allait pas de soi. Si personne ne conteste l’impérieuse nécessité d’assurer aux enfants la protection la plus complète contre les auteurs d’agressions sexuelles, cet impératif de protection ne saurait nous faire oublier l’un des principes majeurs de notre procédure pénale, consacré dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : la présomption d’innocence. Telle a été la position constante du Sénat et de votre commission des lois dans l’examen de ce projet de loi.

Nous avons finalement admis que des informations puissent être communiquées sur des procédures judiciaires en cours dès lors que celles-ci sont à un stade avancé : mise en examen par un juge d’instruction, qui suppose des indices graves ou concordants, ou saisine d’une juridiction de jugement, qui implique la mise en mouvement de l’action publique.

En revanche, toute communication avant ce stade, c’est-à-dire à l’issue de la garde à vue ou d’une audition libre, était pour nous à proscrire. En effet, la transmission d’informations à un tel moment de la procédure interviendrait de manière trop précoce, sans certitude sur la matérialité des faits, de surcroît dans le cadre d’une procédure non contradictoire ; de ce fait, elle contreviendrait gravement au principe constitutionnel de la présomption d’innocence.

Nous nous réjouissons que les députés se soient rangés à ce point de vue.

J’ajoute que la suppression de cette faculté n’entravera en rien les prérogatives dont dispose la justice pour mettre en place des mesures de sûreté si, au vu des circonstances et de la personnalité de l’auteur présumé des faits, il est estimé nécessaire de l’écarter d’un milieu professionnel impliquant un contact avec des mineurs.

De fait, le parquet a toujours la possibilité de saisir un juge d’instruction par réquisitoire introductif, ouvrant ainsi la voie à une possible mise en examen assortie d’un contrôle judiciaire. Si la saisine d’un juge d’instruction est considérée comme excessive, le parquet peut saisir le tribunal correctionnel par procès-verbal et, dans cette attente, saisir le juge des libertés et de la détention en vue d’un placement sous contrôle judiciaire. Au demeurant, le projet de loi sur le crime organisé, adopté hier après-midi par notre assemblée à une large majorité, contient une disposition facilitant les conditions dans lesquelles le parquet peut saisir dans ce cadre la juridiction de jugement.

Je crois donc que le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire n’offre pas, sur ce point, de moindres garanties de protection pour les mineurs, compte tenu des alternatives que je viens de mentionner, tout en maintenant chacun dans son rôle, autorité judiciaire et administration. En effet, il n’appartient pas à l’administration de tutelle d’un agent de prendre de telles mesures de sûreté.

Je reste persuadée que, au contraire, cette suppression prévient le risque que des personnes soient injustement mises en cause et voient leur réputation, ainsi que leur intégrité mentale et psychique, gravement compromise avant toute condamnation. Ce risque existe et nous ne pouvons l’ignorer.

Pour le reste, au-delà des différentes clarifications juridiques que le Sénat a opérées et qui ont été entérinées par la commission mixte paritaire, je tiens à souligner que celle-ci a confirmé un apport majeur du travail de notre assemblée : l’élargissement des facultés de consultation du casier judiciaire par les conseils départementaux pour l’octroi des agréments des assistants maternels et familiaux.

Enfin, je dois dire un mot du renoncement du Sénat à une disposition à laquelle nous étions très attachés, moi la première : le caractère systématique, dans le respect des prescriptions de la jurisprudence constitutionnelle, de la peine complémentaire d’interdiction d’exercice d’une activité auprès des mineurs pour les personnes reconnues coupables d’une infraction sexuelle contre mineur. Je regrette que nous n’ayons pas pu convaincre les députés du bien-fondé de notre position en la matière. Oserai-je dire qu’il y a là, pour nos collègues députés et sénateurs socialistes, un point de blocage, que je ne saurais m’expliquer autrement que par des considérations un peu militantes ?

Il me semble pourtant qu’une telle mesure serait d’une grande efficacité. En effet, elle garantirait que les juges correctionnels se prononcent systématiquement sur les peines complémentaires. Ils pourraient au besoin les écarter, s’ils ne les estiment pas fondées, mais, en tout état de cause, nous serions prémunis contre le risque d’oubli de l’existence même de cette faculté à la disposition de la juridiction de jugement.

Toutefois, le compromis était au prix de ce renoncement. Beaucoup de temps ayant déjà été perdu, comme je l’ai souligné au début de mon intervention, nous ne pouvions risquer d’en perdre encore avec l’échec de la commission mixte paritaire, qui aurait entraîné une nouvelle lecture dans chaque assemblée, puis la lecture définitive par l’Assemblée nationale.

Tels sont, mes chers collègues, les principaux éléments du compromis qui vous est soumis et que je vous invite à approuver.

Je dois dire, avec une pointe d’ironie, que je m’explique mal l’amendement déposé par le Gouvernement sur les conclusions de la commission mixte paritaire et tendant à supprimer la disposition prévoyant un décret en Conseil d’État pour l’application du projet de loi. Je me l’explique d’autant moins bien qu’un tel formalisme constitue une garantie juridique sans nuire en rien à l’efficacité de l’action publique ; tout au plus faut-il quelques semaines pour que le Conseil d’État examine le projet de décret et rende son avis. Au surplus, il est curieux que cet examen juridique soit considéré comme trop lourd alors que tant de temps s’est déjà écoulé et que la future loi ne sera applicable, ainsi qu’il est expliqué dans l’étude d’impact du projet de loi, qu’au début de l’année 2017, du fait de la nécessité de mettre à niveau les outils informatiques de la justice.

En vérité, l’efficacité du dispositif se heurtera nécessairement aux moyens dont disposent actuellement les parquets et à leur contexte de charges d’activité. À l’inadaptation des effectifs du ministère public et à l’importance et la multiplicité de ses missions s’ajoute l’inadaptation de ses moyens informatiques, un problème qui a déjà été soulevé à de nombreuses reprises dans notre assemblée. Un tel constat ne peut que faire écho aux récents propos du garde des sceaux sur les moyens de fonctionnement de la justice.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, modifiées par l’amendement du Gouvernement.

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