Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme si le drame que nous avons connu il y a un an ne suffisait pas, le suicide du directeur d’école de Villefontaine hier matin est venu brutalement raviver la douleur des familles.
C’est à ces familles que je pense ce soir, à elles qui attendaient des réponses dont elles seront à jamais privées ; à elles qui, dès le départ, ont cherché à dépasser leur douleur et qui m’ont confié dès nos premières rencontres leurs attentes à notre égard. Ces familles attendent de nous, Gouvernement et Parlement réunis, que nous apportions des réponses à la hauteur des dysfonctionnements constatés dans cette affaire.
Comme mon collègue garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, l’a indiqué, une enquête a été immédiatement ouverte par le procureur pour établir les circonstances exactes du décès. En outre, un travail est d’ores et déjà engagé pour avancer sur la voie d’un renforcement des mesures spécifiques de prévention des risques de suicide dans les milieux pénitentiaires.
Ces réponses-là sont essentielles, et nous les leur donnerons.
Plus encore, nous devons faire en sorte que ces drames ne puissent plus se reproduire. C’est ce que nous devons à ces familles qui ont fait face dans la dignité et ont cherché à chaque instant à dépasser leur émotion pour faire progresser notre droit.
Madame Troendlé, vous l’avez dit, les débats ont été longs et riches ici même comme à l’Assemblée nationale. Cela montre que nous avons su collectivement dépasser l’émotion et les clivages partisans pour réaliser ce que les pouvoirs publics auraient dû faire depuis longtemps.
À ce stade de mon intervention, je voudrais saluer l’esprit de responsabilité dont ont fait preuve les rapporteurs et les commissions des lois des deux assemblées pour parvenir à l’élaboration d’un texte commun en commission mixte paritaire. Je voudrais en particulier remercier le rapporteur François Zocchetto, pour le consensus qu’il a su trouver. En effet, chacun mesure combien le texte dont nous débattons pour la dernière fois ce soir est fondamental pour le fonctionnement de nos institutions.
Chacun connaît la suspicion qui s’est propagée à l’endroit de l’institution scolaire ; je n’y reviens donc pas. Faute d’informations, celle-ci a pu abriter dans ses murs un prédateur sexuel, condamné quelques années auparavant pour des faits graves, qui n’auraient dû entraîner qu’une seule chose : sa révocation !
Chacun mesure bien aussi que les cas de pédophilie dont nous parlons ne sont pas des événements isolés. Ce fléau existe, questionne et place toutes les institutions face à leurs responsabilités. Notre responsabilité collective, à vous parlementaires comme à nous ministres, c’est d’apporter une réponse non pas à un événement, mais au dysfonctionnement systématique dans la transmission d’informations entre l’autorité judiciaire et les administrations qu’a révélé cette affaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en vous soumettant ce texte avec ma collègue de l’époque, Christiane Taubira, nous n’avions d’autre ambition que de trouver les mécanismes et les procédures pour éviter que cette situation choquante ne se reproduise.
Nous avons certes eu des désaccords avec le rapporteur François Zocchetto, et nous nous en sommes longuement expliqués le 26 janvier dernier. Mais nous avons surtout partagé des préoccupations communes, comme la nécessaire lisibilité du droit, ou encore la réponse à apporter aux attentes exprimées par les présidents de conseil départemental concernant la surveillance de l’entourage des assistants maternels.
En élaborant un texte commun, la commission mixte paritaire est parvenue à fédérer les volontés exprimées dans les deux assemblées autour de quelques principes essentiels, auxquels j’adhère pleinement.
Loin du flou auquel les magistrats étaient jusqu’alors réduits, obligation sera faite demain à ces derniers de porter à la connaissance des administrations les condamnations les plus graves prononcées à l’encontre de personnes travaillant habituellement au contact des mineurs.
Dans un cadre désormais sécurisé et apportant toutes les garanties nécessaires pour les personnes mises en cause, les transmissions d’informations pourront intervenir au moment de la mise en examen, en amont donc des condamnations pénales.
Je me range à la position que la commission mixte paritaire a adoptée, car je crois aux nouveautés introduites dans le texte et fais confiance à l’esprit de responsabilité des magistrats.
Avec ce texte, nous permettrons dans tous les cas aux magistrats, que ce soit dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à domicile avec surveillance électronique, d’interdire à un individu mis en examen d’exercer une activité impliquant un contact avec des mineurs.
Comme vous tous, je veux croire que les magistrats s’emploieront sans tarder à engager des poursuites ou à décider une mise en examen lorsqu’il existera des indices graves ou concordants de l’existence d’une infraction grave. C’est à ce stade-là que mon administration pourra être informée.
Ce compromis auquel vous êtes parvenus, par-delà les approches partisanes, sera la base sur laquelle de nouvelles pratiques pourront se mettre en place dans les tribunaux comme dans les administrations.
Ce texte est une œuvre collective. En l’adoptant, le Sénat apportera sa contribution à l’avancée du droit sur un sujet extrêmement sensible et pour lequel notre législation avait pris trop de retard.
J’insiste sur ce point : ce retard n’était pas sans conséquence. En effet, en l’absence de cadre légal clair et précis, nous avions laissé perdurer – reconnaissons-le – des failles bien visibles pour les prédateurs sexuels, lesquels, on le sait, recherchent précisément des contextes professionnels dans lesquels ils peuvent côtoyer des enfants. Or il n’y a aucune place à l’école pour les prédateurs sexuels. Aucune !
En adoptant ce texte, vous le savez, vous apporterez une réponse pour l’avenir. En revanche, il faut avoir conscience qu’il ne s’agit d’une réponse ni aux errements du passé ni à l’interrogation des familles : comment garantir, en effet, qu’il n’y a pas au sein de l’école d’autres prédateurs en fonction, qui auraient été condamnés dans le passé pour des faits dont l’administration n’aurait pas eu connaissance ?
À cet égard, je m’étais engagée devant les familles de Villefontaine à prendre mes responsabilités. J’ai tenu cet engagement, puisque j’ai décidé à la fin du mois de janvier de mettre en œuvre le contrôle systématique des antécédents judiciaires des agents relevant de mon ministère et qui sont au contact de mineurs. Contrôler ainsi les casiers judiciaires de 850 000 agents constitue une opération de grande ampleur, qui prendra plus d’un an, à raison de 3 000 contrôles par jour.
Cette mesure inédite est indispensable pour montrer aux familles que nous avons tiré toutes les leçons de l’affaire de Villefontaine. Indispensable aussi pour que l’on en finisse avec la suspicion qui pèse sur les agents de l’éducation nationale. J’ai conscience qu’il ne suffit pas de la dénoncer et qu’il faut démontrer par des actes qu’elle n’est pas fondée. C’est le sens de cette opération de contrôle.
Être ferme sur les principes et transparente sur les actions que nous engageons, c’est la règle que je me suis fixée. Je m’y suis tenue à une occasion plus récente encore, lorsque j’ai diligenté une enquête administrative à propos de l’affaire de Villemoisson-sur-Orge, dont chacun a évidemment entendu parler : en 2007, un enseignant n’avait pas été sanctionné, alors qu’il avait été condamné précédemment et de manière définitive par un tribunal anglais. Je le redis ici : ce cas est différent de celui de Villefontaine, mais, comme pour cette affaire, je tirerai toutes les conséquences du rapport que me remettra prochainement l’inspection générale sur le sujet.
Pour que notre organisation soit sans faille face aux prédateurs, les textes sont nécessaires mais insuffisants. Nous avons aussi besoin de changer les pratiques. Avec la Chancellerie, depuis un an, nous avons donc préparé les professionnels de terrain, dans les parquets comme dans les rectorats, à fonctionner avec les nouvelles règles que, je l’espère, vous adopterez largement.
Depuis la rentrée scolaire de 2015, des référents « éducation nationale » ont été nommés dans chaque parquet et des référents « justice » sont identifiés dans chaque rectorat. Nos référents ont été formés avec l’appui de la Chancellerie. Désormais, il existe des procédures officielles et sécurisées d’échange d’informations entre eux.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes prêts à appliquer la loi que vous vous apprêtez à adopter. Pour tout vous dire, les textes d’application prévus par le projet de loi sont eux aussi déjà prêts, puisque nos administrations ont travaillé tout au long de la procédure parlementaire pour que nous mettions en œuvre cette loi au plus vite et dans l’intérêt de tous. C’est la raison pour laquelle je me suis permis de m’ouvrir aux rapporteurs des deux assemblées de mon regret de voir la commission mixte paritaire renvoyer la mise en œuvre de cette loi à des décrets en Conseil d’État plutôt qu’à des décrets simples.
Comprenons-nous bien, il ne s’agit évidemment pas de faire une quelconque offense au Conseil d’État. C’est au contraire en plein accord avec cette institution que nous avions opté pour des décrets simples qu’il est possible de publier rapidement. Vos collègues députés ont été unanimement sensibles à cette rapidité d’exécution, et je sais que votre assemblée n’y est pas non plus indifférente. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement dans des termes identiques à celui qui a été voté par l’Assemblée nationale. J’espère vraiment qu’il recueillera votre accord.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte de la commission mixte paritaire qui est soumis à votre approbation nous offre enfin le cadre juridique dont nous avons tant manqué par le passé pour protéger les mineurs, tout en apportant de précieuses garanties au respect de la présomption d’innocence. C’est un texte efficace, qui permettra aux professionnels de terrain d’agir et qui empêchera les dysfonctionnements que nous avons tous déplorés de se reproduire. En apportant votre soutien à un projet très largement coconstruit avec votre assemblée, vous participerez à la dynamique que doit insuffler ce texte dans les pratiques des magistrats et des administrations. Je vous remercie par avance de votre vote.