Intervention de Christophe-André Frassa

Réunion du 26 avril 2016 à 14h30
République numérique — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, notre assemblée est appelée aujourd’hui à examiner le projet de loi pour une République numérique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée.

Derrière un titre très ambitieux, ce projet de loi aborde des sujets dont la variété a conduit quatre autres commissions à se saisir pour avis de certaines de ses dispositions. La commission des lois, dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur, a conservé l’examen au fond de soixante-seize articles sur quatre-vingt-dix-neuf, qui relèvent de sa compétence au titre des libertés publiques, du droit administratif, du droit pénal, du droit de la consommation, du statut de la copropriété ou encore du droit des collectivités territoriales.

Je vous exposerai brièvement la position de la commission des lois sur ces nombreux thèmes. Cette position s’articule sur un axe central : approuver les orientations du texte, tout en l’encadrant davantage.

Votre commission a marqué son accord avec ce projet de loi. Sans constituer la révolution qu’annonce son intitulé – vous me permettrez, madame la secrétaire d’État, ce petit désaccord avec vous –, il comporte un certain nombre de dispositions utiles pour assurer une meilleure régulation de la société numérique et pour améliorer la protection des droits des individus.

Les cent soixante-douze amendements que votre commission a adoptés témoignent de sa volonté de renforcer l’adaptation de notre cadre juridique au monde numérique en respectant nos engagements européens et en veillant à ne pas créer plus de risques pour les droits de nos concitoyens que de bénéfices pour la société tout entière.

En premier lieu, votre commission s’est attachée à dissiper les inquiétudes des acteurs économiques suscitées par les nouvelles obligations en matière d’ouverture des données publiques.

Consciente du bouleversement que ces dernières représentent, en particulier pour les services publics industriels et commerciaux, votre commission a souhaité prolonger l’effort initié à l’Assemblée nationale pour renforcer les garanties apportées par la loi portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, dite « loi CADA ». Elle a ainsi introduit dans le code des relations entre le public et l’administration la notion de secret des affaires, déjà connue en droit de la concurrence. Elle a également prévu, à l’article 4 du projet de loi, une analyse des risques préalable à la diffusion des données, de façon à prévenir les violations de secrets protégés par la loi et la réidentification des personnes.

Par ailleurs, la commission des lois a souhaité rééquilibrer le dispositif d’envoi dématérialisé de données à l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, en prévoyant notamment que la concertation prévue avec les entreprises soit organisée avant la décision du ministre chargé de l’économie d’exiger ce type d’envoi.

Certains acteurs économiques craignent que l’anticipation de la réglementation européenne ou la création de nouvelles obligations ne désavantagent nos entreprises par rapport à leurs concurrents européens. Votre rapporteur a été particulièrement attentif à cette inquiétude. C’est ainsi que, sur mon initiative, la commission a prévu que les dispositions relatives à la portabilité des données personnelles entreraient en vigueur en même temps que règlement européen, afin que nos entreprises ne soient pas soumises à une contrainte que ne subiraient pas encore leurs concurrents européens.

Votre commission a aussi supprimé plusieurs contraintes excessives pesant sur les plateformes, comme l’obligation de désigner une personne physique comme représentant légal dans notre pays, et en a remplacé certaines autres par des dispositifs plus adaptés. Ainsi, sur l’initiative du rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Philippe Dallier, dont je tiens à saluer le travail, la commission des lois a prévu de soumettre les plateformes collaboratives à une obligation de déclaration à l’administration fiscale des revenus perçus par les intéressés.

Votre commission a également refusé que la succession numérique soit traitée différemment de la mort numérique : après que son rapporteur eut souligné les multiples contradictions auxquelles conduisait le texte adopté par les députés, elle est revenue à la rédaction initiale du projet de loi, plus conforme aux principes qui régissent notre droit de la protection de la vie privée.

En deuxième lieu, nous nous sommes attachés à assurer la convergence entre le projet de loi et le futur règlement général européen sur la protection des données personnelles. À plusieurs reprises, votre commission a adopté des amendements visant à anticiper correctement la prochaine entrée en vigueur de ce règlement. Ainsi, elle a étendu les garanties offertes pour l’exercice du droit à l’oubli sur les données collectées auprès d’un mineur : le responsable de traitement devra lui-même contacter ceux auxquels il aurait transmis les données en cause.

En revanche, si votre commission a estimé nécessaire d’accroître le montant des sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, elle a jugé qu’il était prématuré de s’aligner sur les montants du règlement européen.

En troisième lieu, votre commission a souhaité promouvoir des dispositifs plus lisibles et mieux articulés les uns avec les autres.

Tout d’abord, elle a déploré la très grande complexité des dispositifs d’ouverture des données publiques prévus par le projet de loi, qui s’ajoutent à d’autres dispositifs issus d’autres textes. Par exemple, une même information relative à une délégation de service public pourrait faire l’objet de six flux de données différents, sous le régime de droit commun issu de la loi CADA, celui de l’ordonnance « concessions » et les différents régimes sectoriels. Cet empilement de dispositifs nuit à leur lisibilité et peut paraître contradictoire avec l’ambition initiale du projet de loi, qui consiste à faciliter l’accès des citoyens à l’information publique. Des amendements ont ainsi été adoptés pour simplifier les dispositifs applicables aux délégations de service public, ainsi qu’aux subventions.

De même, votre commission a veillé à rationaliser le régime applicable aux lettres recommandées électroniques, afin de permettre aux citoyens de s’approprier cet outil créé dans les années 2000, mais peu utilisé depuis lors.

Elle a également intégré la stratégie des usages et services dans un schéma territorial existant pour ne pas multiplier les documents de planification et rejeté la création de syndicats mixtes ouverts de syndicats mixtes ouverts, les SMO de SMO, pour privilégier les outils qui existent.

En quatrième lieu, votre commission a veillé à mieux encadrer certaines activités et pratiques, en vue de prévenir les dérives.

Ainsi, elle a adopté un dispositif permettant aux personnes découvrant des failles informatiques de les signaler, sans pour autant inciter à la cyberdélinquance.

Elle a également modifié la rédaction des dispositions relatives au délit réprimant les atteintes à la vie privée, afin que la présomption de consentement ne pèse que sur la captation de contenus privés, et non sur leur diffusion.

En outre, elle a proposé un cadre légal permettant le développement des pratiques compétitives de jeux vidéo, tout en encadrant ces manifestations.

Mes chers collègues, la commission des lois vous invite à adopter le projet de loi dans le texte qu’elle a établi !

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