Le secret des affaires est une question très importante. Il s'agit en outre d’un sujet qui m’est cher, puisque nous l’avons abordé, l’année dernière, dans le cadre de la mission d’information sur le droit des entreprises que j’ai conduite avec mon collègue Michel Delebarre, au nom de la commission des lois.
Tous les amendements qui ont été présentés tendent à revenir sur les notions angulaires de « secret en matière commerciale et industrielle » et de « secret des affaires ».
Quel est l’enjeu ? Il s’agit de permettre l’ouverture et le partage des données, notamment celles des services publics industriels et commerciaux, les SPIC, sans nuire à l’efficacité, à l’innovation et à la compétitivité de nos services publics. Il ne nous faut effectivement pas perdre de vue, d’une part, la définition très large du service public à la française, qui rend difficile toute comparaison internationale en termes d’open data, et, d’autre part, le contexte de mondialisation et de concurrence dans lequel nos services publics évoluent.
Pour répondre aux craintes suscitées par la jurisprudence de la CADA, qui, il est vrai, a beaucoup évolué avant de se stabiliser, le Gouvernement a introduit, à l’Assemblée nationale, une définition du secret en matière commerciale et industrielle reprenant le triptyque secret des procédés, secret des informations économiques et financières, secret des stratégies commerciales et industrielles.
Je rappelle que cette acception large de la notion de « secret en matière commerciale et industrielle » dans la jurisprudence de la CADA répond à la difficulté née de ce que la notion de « secret des affaires » ne figure pas dans la « loi CADA » codifiée et que des avis se fondant sur ce secret des affaires ont été contredits – je tiens à rester aimable envers la CADA – par la jurisprudence du Conseil d’État, lequel a privilégié la notion de « vie privée des personnes morales », qui en laisse sceptiques plus d’un, à commencer par la Cour de cassation.
Cependant, comme M. Commeinhes le soulève très justement dans l’objet de son amendement, la difficulté que pose l’insertion opérée à l’Assemblée nationale tient à la cristallisation d’une jurisprudence, l’empêchant d’évoluer à l’avenir, au gré des évolutions de notre société.
J’ajoute, par ailleurs, que cette jurisprudence repose essentiellement sur des cas de demande de communication de documents dans le cadre de la commande publique, donnant lieu à une appréciation au cas par cas, comme le précise une note de la CADA et de la direction des affaires juridiques, la DAJ, datée du 5 février 2015 : « L’atteinte au secret en matière commerciale et industrielle est appréciée différemment par la CADA, selon que les documents concernent l’entreprise retenue ou les entreprises non retenues. […] En outre, dans certaines circonstances particulières, la communication de documents qui, à l’ordinaire, serait autorisée, peut être réduite, voire refusée dans un souci de garantir le respect de la libre concurrence. » On le voit, l’ouverture des données publiques nécessite une appréciation nouvelle de cette notion.
Pour cette raison, la commission des lois a, sur mon initiative, introduit la notion de « secret des affaires », en complément de celle du « secret en matière commerciale et industrielle ».
Cette notion n’est pas étrangère à notre droit : le code de commerce s’y réfère à plusieurs reprises, de même que le Conseil d’État. Ainsi, le 6 avril 2001, celui-ci a estimé que « l'administration ne peut être tenue […] de communiquer des pièces couvertes par un secret protégé par la loi, tel le secret des affaires, sans l'autorisation de celui dans l'intérêt duquel le secret a été édicté, qu'il s'agisse de pièces n'émanant pas de l'administration, mais qu'elle détient ou de pièces émanant de l'administration ou d'un organisme de contrôle dépendant de l'État, tels les passages de rapports reproduisant des informations couvertes par le secret ».
En outre, la directive sur le secret des affaires, que nous serons, je l’espère, appelés à transposer le plus rapidement possible, a été adoptée par le Parlement européen le 14 avril dernier. Le secret des affaires y est ainsi défini : « Aux fins de la présente directive, on entend par […] “secret d’affaires”, des informations qui répondent à toutes les conditions suivantes :
« a) elles sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles ;
« b) elles ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes ;
« c) elles ont fait l’objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes ».
La principale différence de ces informations avec le secret en matière commerciale et industrielle réside donc dans la prise en compte des efforts entrepris par leur détenteur pour en garantir le secret.
Pour les raisons que je viens d’exposer, j’émets un avis défavorable sur tous ces amendements, qui sont contraires à la position de la commission.