Interrogé sur la nécessité d'assurer une meilleure approche globale des comptes publics, M. Bertrand Fragonard a estimé que cette question donne en elle-même le sentiment que cette approche globale n'existe pas. Sa vision n'est pas aussi pessimiste : l'essentiel des questions est aujourd'hui connu ; les administrations publiques préparant le projet de loi de finances et le projet de loi de financement se parlent beaucoup. Si on regarde rétrospectivement ces trente dernières années, ce qui frappe n'est pas le manque d'approche globale, mais le manque de cohérence des politiques car trois grandes zones de faiblesse demeurent :
- le travail interministériel n'est parfois pas suffisamment approfondi. Le ministre des finances en particulier, lorsqu'il met en place une modification de l'impôt sur le revenu, ne pense pas nécessairement à prévenir son collègue chargé des affaires sociales, en dépit des répercutions évidentes sur la CSG. 600 millions d'euros ont ainsi été perdus en matière de CSG du simple fait de la réforme de l'avoir fiscal ;
- il reste des zones de friction entre budgets de l'Etat et de la sécurité sociale, notamment dans le domaine des exonérations, ce qui a conduit à l'apparition d'une dette importante du premier à l'égard de la seconde. Chacune des deux parties joue sa partition et avance ses pions, mais il ne s'agit en aucun cas d'un problème d'approche globale insuffisante des finances publiques ;
- certaines propositions, comme celle actuellement explorée tendant à la fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG, montrent qu'il existe sans doute trop peu de lieux où la législation fiscale et la législation sociale sont également connues et maîtrisées.
s'est ensuite déclaré opposé à la fusion loi de finances et loi de financement, y voyant trois obstacles. D'abord, la différence de nature des crédits adoptés dans les deux lois : les crédits de loi de finances sont limitatifs, alors que l'on imagine mal que la loi de financement soit bâtie à partir d'enveloppes de même nature ; ensuite, la fusion des deux lois sera automatiquement vécue par les partenaires sociaux comme une dépossession et celle-ci aboutira à réduire le nombre des personnes ayant une compétence dans le domaine de la protection sociale ; enfin, on peut avoir des doutes sur la possibilité d'appréhender ce « grand tout » que deviendront les lois de finances et les lois de financement rassemblées dans une gigantesque loi unique.
Au demeurant, jusqu'à présent personne n'a véritablement été capable d'expliquer les raisons positives qui pourraient justifier cette fusion. Le risque, en outre, est que les administrations concernées passent beaucoup de temps à concevoir les voies et moyens de cette fusion, au détriment d'autres sujets plus importants ces prochaines années.
Interrogé sur le rôle des partenaires sociaux, M. Bertrand Fragonard a relevé leur rôle très limité en tant que partenaires institutionnels au sein des conseils d'administration de la Cnaf et de la Cnav. Pour ne citer qu'un exemple, le débat de septembre 2003 sur la réforme des pensions de réversion devant le conseil d'administration de la Cnav s'est révélé très lacunaire. S'agissant de la branche famille, les partenaires sociaux ne sont intéressés que par la partie « action sociale » et ne discutent jamais des prestations légales. En réalité, l'Etat a aujourd'hui totalement la main sur les prestations légales et l'on peut se demander effectivement pourquoi il faudrait conserver les partenaires sociaux au sein des caisses.
La question inverse mérite cependant aussi d'être posée : pourquoi faudrait-il supprimer leur présence ? On peut en effet considérer qu'il est nécessaire de conserver un groupe de personnes capables de servir de relais dans la connaissance des mécanismes de la protection sociale. Pour ce qui est de la branche maladie, l'option mise en oeuvre par la réforme d'août 2004 a été de laisser au bénéfice de la Cnam et de l'union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) une zone de discussion conventionnelle maintenant l'Etat à distance. Toutefois, l'expérience le prouve, et tout particulièrement les discussions récentes sur la rétribution des médecins généralistes, l'Etat n'accepte pas véritablement son dessaisissement et continue de surveiller les discussions en usant de son droit d'agrément et de son rôle normatif.
a jugé qu'en définitive, même si les partenaires sociaux n'ont pas la main sur les décisions les plus importantes, il faut cependant essayer de faire vivre le paritarisme afin de laisser un maximum de personnes « dans le coup ». Par ailleurs, beaucoup de sujets peuvent être abordés dans le cadre de conversations parallèles avec les membres des conseils d'administration.
Il paraît en revanche difficile d'envisager d'aller plus loin dans la gestion paritaire de ces caisses. On pourrait certes théoriquement envisager que les prestations familiales constituent une enveloppe dont la gestion serait donnée en totalité aux partenaires sociaux, à l'instar de ce qui se fait déjà en matière de chômage et de retraite complémentaire. On n'imagine pas cependant l'Etat se retirer de sujets aussi importants, ayant de telles implications dans la vie de tous les jours.