a proposé que l'on envisage aussi qu'il soit possible de ne pas accroître la dépense publique de nature sociale. Certes, on imagine mal que le poids des retraites n'augmente pas au cours des prochaines années. En matière de santé, il apparaît également évident qu'en l'absence de toute mesure, le poids des dépenses va s'accroître.
La question est néanmoins posée de savoir si l'on peut accepter que, dans l'avenir, une partie importante de la progression de la richesse nationale soit détournée au profit exclusif du domaine de la santé. Il est nécessaire de se demander jusqu'à quel point de pourcentage du PIB la société est prête à porter le niveau des dépenses de la branche maladie, car c'est sur cette branche que les choix se feront.
On pourrait parfaitement imaginer de reporter une partie de ces dépenses sur les ménages tout en les aidant à recourir à des couvertures de prévoyance. Le plus probable est cependant que le poids de la dépense socialisée continue d'augmenter, y compris pour la branche maladie.
En termes de recettes, il apparaît évident que l'assiette masse salariale ne pourra pas être plus sollicitée qu'elle ne l'est aujourd'hui pour assurer ce financement croissant et qu'il sera nécessaire de recourir soit à la TVA sociale, soit à une augmentation de la CSG.
A ce sujet, M. Bertrand Fragonard a jugé que les Français ont admis la CSG dont ils acceptent la proportionnalité et l'assiette large mais dont ils ignorent le caractère régressif lié à sa déductibilité partielle. La montée en puissance dans les réflexions de la TVA sociale apparaît plus récente. Elle date d'il y a deux ou trois ans, lorsque les Allemands ont commencé à envisager d'y recourir.
Interrogé sur la question de savoir s'il existe toujours un espace autonome pour la protection sociale au sein des finances publiques, M. Bertrand Fragonard a écarté une interprétation du concept d'autonomie comme pouvant signifier que la protection sociale se trouverait placée en dehors de la sphère de contrôle de la puissance publique.
Mis à part l'assurance chômage et les régimes de retraite complémentaire, les autres composantes de la protection sociale ne sont pas placées en dehors de ce contrôle et il n'est pas souhaitable qu'elles le soient. En tout état de cause, la puissance publique, lorsqu'elle délègue, ne le fait qu'avec « mauvaise humeur ».
L'autonomie dont on peut parler aujourd'hui pour les branches de la sécurité sociale recouvre une certaine démocratie sociale qui se reflète dans le paritarisme, doublée d'une relative autonomie financière.
En ce qui concerne la simplification et la transparence accrue des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, il n'existe aucun motif de confusion dès lors que les comptes sont clairs et que les règles fixées sont respectées. Sur la question particulière de la dette de l'Etat à l'égard des organismes de protection sociale, les différents éléments du dossier sont techniquement parfaitement établis et la difficulté ne provient actuellement que d'un manque de volonté politique. Cette « guerre picrocholine », coûteuse en temps, mobilise les différentes administrations et le Parlement et occulte des sujets bien plus importants.
Ces questions sont d'autant plus irritantes qu'il n'existe en définitive qu'assez peu de surface de contact entre la sécurité sociale et l'Etat. L'essentiel est donc de fixer des règles et de s'y tenir afin de ne pas empoisonner l'atmosphère avec des sujets qui ne représentent pas des enjeux macroéconomiques majeurs. De ce point de vue, la dette de l'Etat à l'égard de la protection sociale n'est un problème insurmontable ni dans son étendue, ni dans sa technicité.
Interrogé enfin sur les voies et moyens d'une amélioration de la gouvernance de la sécurité sociale, M. Bertrand Fragonard a estimé que de grands progrès ont été faits en matière de cadrage. La question se pose de savoir s'il faut aller plus loin.
On observe que le comité d'alerte prévu pour l'Ondam n'a jamais été mis en oeuvre jusqu'à présent. La force de ce mécanisme d'alerte est de permettre de visualiser un dérapage éventuel et surtout d'obliger les responsables publics à prendre des mesures de redressement. L'assurance maladie se prête bien à ce type de pratique dans la mesure où le législateur a créé un lien entre un objectif voté, le contrôle en cours d'exercice du respect de cet objectif et la mise en place automatique de mesures de redressement en cas de non-respect.
Il n'est pas certain qu'il soit en revanche possible de généraliser cette mécanique aux autres branches. L'assurance vieillesse et les prestations familiales sont des dispositifs règlementaires pour lesquels le seul instrument de régulation en cours d'année ne serait que le gel de l'indexation sur les prix à laquelle ces prestations obéissent. Les dépenses de ces deux branches n'ont donc pas la plasticité de celles de la branche maladie.
Au demeurant, si un dérapage doit être constaté en cours d'exercice pour les retraites et la branche famille, il ne peut provenir que de l'élaboration d'un budget insincère par les gestionnaires des caisses. Il n'existe aucun motif de dérapage de l'ordre de 0,75 % comme celui envisagé pour l'Ondam s'agissant de prestations indexées sur les prix et dont le nombre de bénéficiaires peut en principe être établi a priori.
Il est néanmoins possible que les gestionnaires fassent des erreurs, parfois de bonne foi. Ainsi la loi famille de 1994, qui a créé l'allocation parentale d'éducation, contenait des évaluations fautives sur trois points : natalité sous-estimée (sur la base des données de l'institut national des études démographiques, on tablait sur 710.000 naissances par an au lieu de 800.000 effectives) ; progression des recettes fixée à 2,25 %, sur la foi des prévisions du ministère du budget, alors qu'une croissance aussi forte ne s'est pas vérifiée en pratique ; mauvaise anticipation du fait que les femmes bénéficiaires demanderaient en priorité à toucher l'allocation pour passer ensuite dans le dispositif de chômage, et non l'inverse.
Relevant également les erreurs d'évaluation commises sur la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), M. Bertrand Fragonard en a renvoyé une partie de la responsabilité sur le Parlement, regrettant que celui-ci accepte trop souvent de discuter de textes de loi à partir de fiches d'impact qui ne sont pas toujours bien faites.
Dans le même ordre d'idée, la réforme des retraites de 2003 a réservé deux surprises : les bénéficiaires ont usé, plus qu'on ne l'avait anticipé initialement, de la possibilité qui leur était offerte de partir plus tôt à la retraite ; en outre, les Français, effrayés par l'échéance de 2008, ont préféré partir plus tôt à la retraite, même lorsqu'ils n'avaient pas acquis l'ensemble de leurs droits. Là encore, il n'est pas dit que ces dérapages de la loi Fillon aient été faciles à prévoir.
En conclusion, la mise en place de l'Ondam ou la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale, par exemple, ont introduit plus de clarté et un meilleur niveau de connaissance. La direction de la sécurité sociale apparaît en outre comme un maillon solide en dépit de la modestie de ses moyens et cette structure travaille en bonne entente avec la direction du budget. Il est donc tout à fait possible de piloter correctement la sécurité sociale. Ce qui manque aujourd'hui n'est pas la connaissance mais la volonté d'arrêter l'augmentation continue des prélèvements obligatoires.