Intervention de Jean-François Chadelat

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 13 mars 2007 : 1ère réunion
Evolutions du périmètre de la protection sociale — Audition de M. Jean-François Chadelat inspecteur général des affaires sociales directeur du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture maladie universelle

Jean-François Chadelat, inspecteur général des affaires sociales, directeur du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture maladie universelle :

en sa qualité de vice-président du comité d'histoire de la sécurité sociale, a d'abord rappelé quelques faits historiques. En 1956, un document d'une dizaine de pages a été élaboré et intitulé « Budget social de la nation », où figurait un certain nombre de chiffres relatifs à la sécurité sociale. Ce document a ensuite été annexé au projet de loi de finances sous la forme d'un jaune budgétaire. Même si, dès cette époque, le budget de la protection sociale était supérieur au budget de l'Etat, il ne faisait pas l'objet d'un vote. La loi du 24 décembre 1974 a modifié l'intitulé de ce document en le transformant en « Effort social de la nation », mais n'a toujours pas prévu de vote sur les montants qu'il contenait. A la fin des années soixante-dix, plusieurs propositions, dont la proposition de loi de Michel d'Ornano, ont eu pour objet la création d'un budget annexe de la protection sociale, analogue au budget annexe des prestations sociales agricoles (Bapsa), mais elles n'ont jamais abouti, le Conseil constitutionnel ayant déclaré inconstitutionnelle la proposition de loi d'Ornano.

Dans le cadre du plan Juppé de 1996, l'évidence selon laquelle la représentation nationale doit se prononcer sur les finances sociales a été inscrite dans la Constitution et a permis la création de la loi de financement de la sécurité sociale. Cette réforme majeure, maintenue à travers les alternances politiques, constitue un progrès considérable car elle a permis d'introduire une transparence, une clarté et une rigueur qui n'existaient pas auparavant dans la gestion des finances sociales. La commission des comptes de la sécurité sociale, qui ne se réunissait autrefois qu'en novembre, se réunit dorénavant en septembre, pour faire un point précis des comptes et interpeller ainsi le Gouvernement avant qu'il n'adopte le projet de loi de financement en Conseil des ministres. La loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale du 2 août 2005 constitue un deuxième progrès indéniable.

Au total, les finances sociales ont aujourd'hui une véritable avance sur le budget de l'Etat puisque d'une part, leur comptabilité s'effectue en droits constatés, d'autre part, elles répondent au principe de la pluriannualité. A cet égard, il est regrettable que les données pluriannuelles futures ne figurent qu'en annexe du projet de loi de financement de la sécurité sociale, car ces données fondamentales mériteraient qu'on leur accorde plus d'importance et que soient mieux justifiées les différentes hypothèses retenues. A titre d'exemple, la projection de l'annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 qui retient une progression en valeur de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) inférieure à la croissance du produit intérieur brut en volume est une absurdité.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale constitue néanmoins un progrès de la démocratie et du débat public, notamment grâce à la mise en place d'une possibilité de contrôle et de vérification réelle. La certification des comptes sera aussi un élément important d'amélioration de la gestion des finances sociales. Enfin, la création du comité d'alerte par la loi de 2004 sur la réforme de l'assurance maladie est une avancée.

La fusion de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale n'a aucun sens, car elle reviendrait à étatiser la sécurité sociale, à remettre en cause la nature spécifique des dépenses, selon le cas, limitatives ou évaluatives, de chacune de ces lois et à rendre moins transparente la situation générale des finances publiques. De ce point de vue, on doit accorder une confiance restreinte à la direction du budget qui sait transférer des dépenses du budget de l'Etat vers les autres budgets publics mais qui n'a jamais su faire d'économies. Les documents transmis à la commission européenne, dans lesquels figurent aussi bien les finances de l'Etat que celles des organismes de sécurité sociale ou des collectivités territoriales, permettent de répondre à l'exigence d'une approche transparente et globale des finances publiques.

S'agissant du rôle des partenaires sociaux, la réforme de la loi du 13 août 2004 a introduit un changement de méthode considérable dans la gouvernance de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). Désormais, les membres du conseil d'administration de la Cnam étudient les dossiers en amont et donnent un mandat explicite au directeur général qui, seul, négocie avec les professionnels de santé. Cette procédure, ajoutée à celle du comité d'alerte, a sans doute abouti à un amoindrissement du rôle des partenaires sociaux. Pour autant, le paritarisme reste la moins mauvaise forme de gouvernance des organismes de sécurité sociale, comme en témoigne, d'ailleurs, le retour du mouvement des entreprises de France (Medef) dans les différentes instances qu'il avait quittées. Le paritarisme fonctionne d'ailleurs très bien là où il est appliqué dans toute sa pureté, c'est-à-dire l'assurance chômage et les régimes complémentaires de retraite.

Puis M. Jean-François Chadelat a souligné que le financement de la protection sociale doit être évidemment différent selon les branches. Pour la vieillesse, le chômage, les accidents du travail et les indemnités journalières de la Cnam, le financement doit se faire par les cotisations, les prestations ayant un lien direct avec le travail. En revanche, pour l'assurance maladie et les prestations familiales, devenues universelles et totalement déconnectées du travail depuis longtemps, il n'est pas nécessaire de maintenir des cotisations liées au travail. La question qui se pose actuellement avec le plus d'acuité est donc celle de la justification du financement par les employeurs des cotisations famille et maladie.

C'est dans ce contexte que le Premier ministre Alain Juppé lui avait commandé, en 1997, un rapport sur les modalités de réforme des cotisations patronales de sécurité sociale. Ce rapport a été remis à Lionel Jospin, devenu entre-temps Premier ministre. Hostile aux conclusions du rapport Chadelat, il a commandé une autre étude à Edmond Malinvaud, chargé d'établir des propositions pour un financement de la sécurité sociale plus favorables à l'emploi. Depuis la remise de ces travaux, la question n'a pas évolué et le problème reste entier. La France, qui a conservé des cotisations patronales assises sur les salaires pour financer des dépenses sans lien avec le travail, est restée paradoxalement plus bismarckienne que l'Allemagne. Le mouvement lancé dans les années quatre-vingt de substitution aux cotisations salariales d'une contribution à assiette très large assise sur l'ensemble de la richesse nationale doit être étendu à la part patronale selon la même logique.

Le mouvement de fiscalisation de la protection sociale, qui n'a aucun lien avec une budgétisation de la protection sociale, résulte de la nécessité de trouver d'autres recettes pour financer les dépenses sociales. Une très longue liste de taxes est actuellement affectée à cet objet. Il est, à cet égard, regrettable que la taxe de 1967 sur les assurances des véhicules à moteur ait été préemptée pour un autre usage et que la taxe sur les boissons sucrées, qu'il avait proposée dans un rapport récent, n'ait pas été créée en faveur du Ffipsa. En tout état de cause, il est important de préserver la CSG telle qu'elle existe aujourd'hui et de ne pas la fusionner avec l'impôt sur le revenu en raison de la très grande différence d'assiette.

a confirmé que les dépenses sociales, qui ont déjà sensiblement augmenté au cours des dernières années, vont continuer à progresser alors que la situation des finances publiques est mauvaise. A l'horizon de vingt ou trente ans, les dépenses vieillesse vont augmenter de trois ou quatre points de PIB et les dépenses d'assurance maladie à un rythme plus rapide que celui de la richesse nationale. Il faut rappeler que 5 % des assurés produisent plus de la moitié des dépenses d'assurance maladie et qu'avec l'augmentation de l'espérance de vie, les six derniers mois de la vie donnent lieu à 10 % de ces dépenses. Si, en 1945, la sécurité sociale offrait des prestations d'une qualité encore limitée, qui s'est néanmoins améliorée avec l'accroissement de la richesse nationale, il en est tout autrement aujourd'hui, ce qui implique d'en tirer les conséquences.

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