Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, c’est en effet à la demande du groupe CRC-SPG que nous débattons en séance des projets de loi autorisant l’approbation d’accords relatifs à l’échange de renseignements fiscaux entre la France et dix États ou territoires, sur le modèle des conventions fiscales de l’OCDE.
Cette procédure démocratique permet de mettre en lumière le travail engagé, après le G20 de Londres, par la commission des finances, que je remercie de s’être intéressée de près à ces questions.
Nous sommes en effet les seuls parlementaires à pouvoir débattre de ces textes, car nos collègues de l’Assemblée nationale confient ce travail à leur commission des affaires étrangères. Je remercie donc les membres du groupe CRC-SPG d’avoir demandé l’organisation d’une discussion commune sur ces projets de loi, même si cela nous donne du travail supplémentaire. Mais, après tout, nous sommes là pour cela...
De plus, cela nous permet, en tant que parlementaires, de donner mandat à l’exécutif, alors que la France assume la présidence du G20 dans un contexte européen troublé, pour ne pas dire plus, et ce à moins de quatre mois du sommet de Cannes, qui se tiendra au début du mois de novembre.
Le Forum mondial, qui représente aujourd’hui 101 pays sous la houlette de l’OCDE, a tenu sa troisième réunion les 31 mai et 1er juin derniers, et a rendu publiques ses dernières évaluations concernant 35 États, parmi lesquels figurent la France et les États-Unis. D’ici à la réunion du G20 de Cannes, 25 autres rapports sont attendus. C’est un fait qui a son importance, car le Président de la République souhaite convaincre ses partenaires du G20 de publier une nouvelle liste noire de paradis fiscaux et territoires non coopératifs, rassemblant les pays dernièrement notés à la lumière des évaluations du Forum mondial.
J’indique que nous soutenons le Président de la République dans cet effort, et permettez-moi de me focaliser quelques instants sur la situation des pays européens.
Nous serons d’autant plus fondés à demander des efforts aux autres États du monde que nous serons capables, au sein de l’Union européenne, de faire preuve de la même vigilance à l’encontre de nos partenaires.
À cet égard, j’aimerais évoquer nos voisins suisses. N’ayez crainte, monsieur le ministre, j’emploierai un langage diplomatique, car je sais que les négociations en la matière ne sont jamais faciles, et qu’il ne suffit pas d’aborder la partie financière et fiscale des problèmes.
Ce pays, qui figurait dans les premières listes de paradis fiscaux publiées au printemps 2009, a tout entrepris, en toute logique, pour en sortir le plus rapidement possible. Pour autant, les accords d’échange d’informations fiscales récemment négociés par la Suisse ne sont pas, selon le groupe des Pairs présidé par François d’Aubert, totalement conformes aux normes de l’OCDE.
Nous suivrons avec intérêt les négociations entreprises par la Suisse, car une subtilité de sa législation fiscale permet actuellement d’opérer une distinction entre fraude et évasion.
Ainsi, lorsqu’un évadé fiscal oublie de déclarer de l’argent dans un établissement, cela est considéré comme une simple évasion, et les autorités suisses refusent alors de prendre contact avec les services fiscaux du pays d’origine de la personne. En droit français, on appelle ce type de pratique la « fraude passive ». Or celle-ci représente l’immense majorité des cas de ce que nous appelons simplement, nous, socialistes, la fraude.
La Suisse avait promis, en mars 2009, de supprimer cette subtilité juridique de sa législation, mais elle ne l’a toujours pas fait. Il faudra donc suivre avec intérêt l’actualité suisse dans les semaines à venir. Je sais que notre collègue Adrien Gouteyron y est aussi attentif que moi, car cela aura évidemment des répercussions dans toute l’Europe.
En effet, l’échange d’informations fiscales reste problématique au sein même de l’Europe, voire, parfois, au sein même de la zone euro. Des accords bilatéraux à des taux trop bas, qui vont à l’encontre des principes du Forum mondial et des orientations de la Commission européenne, sont actuellement en cours de négociation entre l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Suisse.
Il paraît que l’Allemagne et la Suisse sont vraiment sur le point de signer un accord qui autorisera la Suisse à prélever un impôt à la source sur les revenus des actifs allemands dissimulés dans le pays, mais sans révéler l’identité des clients, ce qui est en contradiction complète avec la politique du Forum mondial et les efforts engagés aux niveaux international et européen.
Selon les informations fournies par la presse, un taux de 20 % environ de retenue à la source s’appliquerait aux avoirs dissimulés depuis dix ans et un taux de 26 % pèserait sur les revenus des nouveaux placements réalisés par des Allemands en Suisse. En contrepartie, l’Allemagne ne chercherait pas à obtenir d’informations sur ses ressortissants fraudeurs. Le pays espère récolter ainsi plusieurs dizaines de milliards d’euros – quelque 30 milliards d’euros, selon des estimations, ce qui n’est pas rien !
Ce genre d’accord met en œuvre une taxation régressive du capital, avec un taux qui ne varie pas en fonction des montants dissimulés et placés. Il faudra regarder précisément ce qu’il en est, car cela aura des répercussions importantes sur les négociations qui pourront avoir lieu au sein de l’Union européenne. Je pense d’ailleurs que si, d’ici au mois de novembre prochain, les choses n’ont pas avancé ou si elles ne suivent pas les préceptes du Forum mondial, le Président de la République en tirera les conséquences lors du sommet de Cannes.
Je rappelle, en effet, que, dans le cadre de la directive européenne Épargne de 2003, les revenus d’intérêt de l’épargne des non-résidents placée au sein de l’Union européenne sont censés être soit déclarés au pays d’origine, soit faire l’objet d’une retenue à la source de 35 %, au lieu des 20 % et des 26 % annoncés.
Le problème, c’est que l’application de cette directive ne concerne pas que les pays de l’Union européenne. Pour lutter contre la fuite des capitaux, le champ d’application de la directive a été élargi à plusieurs pays connus dans ce contexte, à savoir la Suisse, Monaco, le Liechtenstein, Saint-Marin, Andorre, les Antilles néerlandaises, Guernesey, Jersey, l’Île de Man, les Îles Caïmans et les Îles Vierges britanniques. La plupart de ces territoires ont décidé d’appliquer le système de retenue à la source. Seule une minorité collabore à l’échange d’informations, pourtant exigé par la communauté internationale.
Plus grave, trois pays au sein même de la zone euro – le Luxembourg, l’Autriche et la Belgique – ont obtenu, en 2003, un sursis par rapport à l’obligation d’informations, en s’acquittant d’une « perception pour l’État de résidence ». À l’origine, ce sursis ne devait être qu’une mesure transitoire. Huit ans après l’adoption de la directive, cette mesure est toujours d’actualité, alors qu’une crise financière historique affecte l’Union européenne !
La Belgique a consenti un petit effort en transmettant, à la mi-juin, dans le cadre de la directive Épargne, l’identité de plus de 250 000 contribuables à leur pays d’origine. Vingt-six pays ont reçu des données, et la France, avec 100 000 ressortissants sur les 250 000 détenteurs de comptes, n’est pas la dernière à être concernée ! J’y reviendrai ultérieurement, monsieur le ministre, mais je vous indique d’ores et déjà que le Parlement souhaite connaître, en toute transparence, l’action qui sera intentée envers ces ressortissants.
À cet égard, je veux signaler que des Français ont rendu compte à la cellule de régularisation mise en place à la fin de 2009. Je rappelle que le groupe socialiste avait apporté tout son soutien à l’amendement défendu par M. Woerth, alors ministre du budget, dans le cadre de la lutte contre la fraude ou l’évasion fiscale.
Le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Gilles Carrez, a estimé que cette cellule avait pu régulariser 7, 7 milliards d’actifs. La rentrée fiscale effective n’est pas négligeable dans la mesure où elle dépasserait 1 milliard d'euros. En ces temps de disette budgétaire, ce n’est pas neutre !